note

Gouverner le système énergétique par les besoins

Une introduction à la planification énergétique

par un groupe d’ingénieur·es et d’expert·es spécialistes des questions énergétiques coordonné par Jean-Baptiste Grenier

Face à la crise écologique, il faut organiser urgemment la bifurcation de notre système énergétique, qui dépend encore à 2/3 des énergies fossiles. Or, les politiques néolibérales nous mènent droit dans le mur. Nous proposons une autre méthode : celle de la planification. Autrement dit, gouverner le système énergétique à partir des besoins, et en respectant les limites planétaires. Sobriété, réindustrialisation, mix énergétique…

Pour réussir la sortie des énergies fossiles et le passage à un mix 100% renouvelable, il est impératif de partir de la question des besoins, et donc des consommations énergétiques. Des actions doivent être entreprises pour baisser la consommation énergétique finale. Cette entreprise de sobriété peut se conjuguer avec une logique de justice sociale, en ciblant certains usages énergétiques abusifs et en ouvrant de nouveaux droits.

Ensuite se pose la question de la production d’énergie en tant que telle. La montée en puissance des énergies renouvelable est possible techniquement. Eolien, solaire, hydraulique, marine, biomasse : la France dispoe de nombreux leviers dont il faut examiner les avantages, les inconvénients et les méthodes de déploiement. Reste à sortir des logiques de marché pour l’organiser.

« Les énergies fossiles sont désormais devenues le levier général de la production de survaleur » – Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, p. 122).

INTRODUCTION

L’humanité est face à un défi énergétique jamais relevé. Il s’agit de passer, par une action consciente, d’un système énergétique basé sur des énergies fossiles à un système basé sur des énergies renouvelables (EnR). Contrairement aux transitions énergétiques intervenues précédemment dans l’histoire, celle-ci implique d’arrêter définitivement certaines sources énergétiques, et donc de diminuer notre consommation énergétique globale.

Cette tâche est indispensable pour préserver le seul écosystème compatible avec la vie humaine et en particulier pour contenir le réchauffement climatique dans des limites acceptables pour elle. Pourtant, tous les programmes politiques en présence dans le débat public ne l’intègrent pas. Et pour ceux qui l’intègrent, rares sont ceux qui en tirent toutes les conséquences. La décroissance de notre consommation d’énergie requiert de sortir certains secteurs de la logique capitaliste du « toujours plus », de dé-marchandiser et de répartir autrement les ressources. Passer d’un système à l’autre demande aussi un haut niveau de planification.

Nous sommes un groupe d’ingénieur·es et de professionnel·les de l’énergie. Pour ces raisons, nous pensons que les programmes présentés par la gauche de rupture – L’Avenir en commun, le programme partagé de la NUPES et le programme du Nouveau Front populaire (NFP) – sont les seuls à prendre en compte pleinement ces objectifs. C’est pourquoi nous avons voulu dans cette note, avec notre expertise, et en s’appuyant sur un certain nombre de travaux menés par des collègues du secteur (rapports RTE, ADEME, Négawatt, Shift Project), détailler les chemins possibles pour la bifurcation énergétique proposée dans ces programmes. Nous exposons dans les pages qui suivent des options techniques et leurs conditions politiques de réalisation dans une optique de justice sociale et environnementale. Ces lignes n’ont bien entendu pas vocation à remplacer le travail politique mené par les militants, les élus, les citoyens à travers leurs choix souverains. Elles sont simplement une contribution, une pierre à l’édifice de la planification écologique à mettre en œuvre le plus rapidement possible. En aucun cas, ce travail ne peut remplacer celui d’un programme politique. Il s’agit plutôt ici de présenter un univers des possibles, dans le cadre d’un objectif et de contraintes. Les choix énergétiques sont politiques et aucune technocratie, même éclairée, ne pourra jamais s’affranchir de ce fait.

Relever le défi de la rupture

1.     Pourquoi faut-il planifier ?

Notre civilisation matérielle repose sur une énergie abondante, abordable et disponible tout le temps, partout. Cette énergie, avant tout fossile (charbon, pétrole, gaz) est au cœur des activités humaines. En deux siècles, la consommation énergétique mondiale a été multipliée d’un facteur 20. L’énergie abondante a permis l’intensification sans précédent des échanges, l’accroissement de la production et l’accumulation de valeurs et de patrimoine (industriel, immobilier, commercial).

Figure 1 – Consommation mondiale d’énergie primaire* directe, en térawattheure (TWh), de 1800 à 2023

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Note de lecture : La consommation d’énergie dans le monde a longtemps reposé sur la biomasse traditionnelle, notamment le bois et la tourbe, en rouge sur le graphique. Elle connaît depuis 1950 une explosion, notamment tirée par le charbon (en gris), le pétrole (en bleu) et le gaz (en violet). Les énergies renouvelables correspondent à une partie minoritaire de l’énergie primaire consommée.

Source : Energy Institute, Our World in Data, 2023, URL : https://ourworldindata.org/grapher/global-primary-energy

L’activité humaine, décuplée par les énergies fossiles, a un impact critique sur l’environnement, sur les sols, sur les matériaux, sur le vivant et sur les équilibres chimiques qui composent le climat. Parmi ces impacts, l’emballement climatique met en danger les conditions d’existence des sociétés humaines et des écosystèmes. Cet emballement climatique est causé à 80 % par les énergies fossiles, dont la combustion produit des gaz à effet de serre (GES). Pour limiter l’emballement climatique, il faut atteindre au plus vite la neutralité climatique, consistant à ne pas émettre plus d’émissions de GES que les écosystèmes ne sont capables d’en absorber chaque année.

Cela implique l’arrêt de l’utilisation des énergies fossiles, ce qui passe par la réduction de certaines activités humaines et le remplacement des énergies fossiles par d’autres sources d’énergie. Cette transition est urgente, et si les conséquences recherchées sont internationales, la France doit prendre sa part. Elle exige une quantité d’efforts humains dans un laps de temps réduit, donc des moyens importants positionnés de manière stratégique. La planification de ces efforts est une condition du succès de cette transition.

Les Nations unies se sont donné par conséquent des objectifs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et contenir le changement climatique dans le siècle qui vient sous des seuils tolérables. C’est ainsi qu’en 2015 fut signé lors de la 21e Conférence des parties (COP21) l’accord de Paris sur le climat. Cet accord fixe des objectifs de réduction du réchauffement global pour « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». La France et l’Union européenne sont signataires de l’accord de Paris sur le climat qui est un accord juridiquement contraignant[1] en droit international. Ses objectifs globaux doivent donc être traduits dans leurs droits nationaux respectifs. C’est le cas pour l’Union européenne qui vise zéro émissions nettes en 2050 et une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990.

La France fixe dans sa Stratégie française énergie climat (SFEC) l’objectif de réduction des émissions brutes de 50 % en 2030 par rapport à 1990. Cet objectif est censé être traduit dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC*), qui fixe des plafonds d’émissions par secteur à ne pas dépasser pour les trois prochaines périodes de 5 ans, définit des trajectoires cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour chaque grand secteur émetteur (Transports, Agriculture, Bâtiments, Industrie, Énergie, Déchets) et une trajectoire cible d’absorption des émissions pour le secteur des sols et des forêts. En parallèle, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe les grandes orientations pour la production énergétique (électricité, chaleur, bio-énergies…) des deux prochaines périodes de 5 ans. Pour la première fois, une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) devait être votée au Parlement avant le 1er juillet 2023 pour fixer les grands objectifs de la Nation en matière de programmation énergétique pour les 5 années à venir : une obligation législative depuis la loi climat-énergie du 8 novembre 2019.

Pourtant, après avoir reculé à plusieurs reprises ces dernières années, le gouvernement a fini par l’abandonner purement et simplement, en annonçant le 10 avril 2024 son souhait de ne pas légiférer sur la programmation. L’avenir énergétique du pays sera décidé par décret, sans l’aval de la représentation nationale. Le Haut conseil pour le climat (HCC) avait d’ailleurs adressé un courrier au Premier ministre[2] pour déplorer l’absence de la loi de programmation, pourtant essentielle à la mise en œuvre de la bifurcation écologique de la France.

Ainsi, les projets de SNBC et de PPE mis en concertation en novembre 2024 ont été élaborés sans consulter le Parlement ; et le gouvernement s’apprête à mettre en œuvre la nouvelle feuille de route énergétique de la France par décret d’ici l’été 2025.

De son côté, le Sénat adoptait en octobre 2024 sa propre « loi de programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie », une sorte de LPEC au rabais, qui renforce la place du nucléaire, ne prévoit pas de développer les EnR ni même de réduire nos émissions de 55 % d’ici 20230 comme le veut notre objectif européen. Pourtant, après le débat (sans vote) sur la souveraineté énergétique prévu le 28 avril, c’est cette proposition de loi que le gouvernement envisage de mettre à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale en juin pour venir éventuellement compléter sa feuille de route.

Bref, si la planification écologique a bien été récupérée un temps par le pouvoir comme expression, les travaux pratiques, eux, ne sont jamais venus. Il y aurait beaucoup à faire pour construire une trajectoire de sortie des énergies fossiles. Pour piloter et prévoir une si grande bifurcation d’un système aussi complexe que l’est le système énergétique, on ne peut laisser le marché guider à l’aveugle. Il faut planifier.

2.     Le système énergétique français dépend encore des énergies fossiles

En France, les énergies fossiles représentent les deux tiers de l’énergie consommée. C’est donc en cohérence que les dernières lois énergétiques ont cherché à associer les objectifs énergétiques et climatiques, avant l’abandon du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat.

La France consomme en moyenne près de 1 500 TWh d’énergie finale*. En 2023, cette consommation était de 1 496 TWh d’énergie servant principalement pour les bâtiments résidentiels et tertiaires (44 %), le transport (34 %) et l’industrie (19 %). Elle est alimentée aux ⅔ à partir d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), à 19 % de nucléaire et à 20,3 %[3] d’énergies renouvelables électriques et thermiques. En 2022, ces dernières sont constituées principalement de bois-énergie (31 %), des barrages hydrauliques (14 %), de la chaleur extraite de l’environnement par les pompes à chaleur (13 %), de l’éolien (13,6 %), des biocarburants (10,4 %) et pour le reste (18 %) du biogaz et du photovoltaïque. Ainsi, les énergies renouvelables électriques ne représentent qu’un tiers des énergies renouvelables, et ne couvrent que 3 % du besoin énergétique final français.

C’est l’emploi massif d’énergies fossiles, principalement dans les transports (pétrole) et pour les besoins de chaleur (chauffage, eau chaude sanitaire et processus industriels, qui nécessitent notamment du gaz), qui est responsable de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national. À ces émissions s’ajoutent celles de l’agriculture (responsable de 19 % des émissions territoriales) liées notamment au changement d’affectation des terres et au méthane émis par l’élevage, donc des émissions non liées à l’utilisation d’énergie.

Si les émissions produites sur le territoire national font l’objet de certains textes (la Stratégie nationale bas-carbone et programmation pluriannuelle de l’énergie par exemple), une large partie des émissions générées par la consommation française n’ont pas lieu sur le territoire français mais sont dites « importées ». On appelle émissions « importées » les émissions nécessaires à la production et au transport des objets que nous consommons mais ne produisons pas (voitures, informatique, vêtements, certains matériaux de construction, produits chimiques, médicaments, etc.). Celles-ci sont environ égales à nos émissions territoriales et constituent avec elles, une fois déduites nos exportations, ce qu’on appelle « l’empreinte carbone » de la France (51 % d’émissions territoriales et 49 % importées en 2019[4]). Pourtant, elles constituent un angle mort majeur de la politique climatique française. Le HCC, organisme indépendant chargé d’évaluer l’action climat du gouvernement, note que « la SNBC actuelle n’indique cependant pas d’objectif quantifié de réduction des émissions importées ni d’horizon temporel ». Le HCC propose, lui, de viser pour 2050 « une diminution de 65 % des émissions importées » et de « 27 % à l’horizon 2030 ». Cela pourrait constituer un premier combat parlementaire, d’autant plus que la loi énergie climat de 2019 impose des objectifs indicatifs en empreinte dans les stratégies bas-carbone publiées après 2022[5].

Figure 2 – Évolution de l’empreinte carbone (en mégatonne d’équivalent CO2 et en tonne d’équivalent CO2 par habitant) de la France depuis 1990

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Note de lecture : En 2021, les émissions intérieures en France, hors exportations, étaient de 303 MtCO2e au total. Les émissions importées étaient de 363 MtCO2e en tout. L’empreinte carbone par habitant est passée de 12,8 tCO2e/hab en 1990 à près de 14 tCO2e/hab en 2008, et est estimée provisoirement à 9,4 tCO2e/hab en 2023.

Source : SDES-Insee, 2024, « Estimation de l’empreinte carbone de la France entre 1990 et 2023 », URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/emissions-de-gaz-effet-de-serre-et-empreinte-carbone-de-la-france-une-baisse-significative-en-2023

La mesure précise des émissions importées fait encore l’objet de débats méthodologiques et statistiques concernant son mode de calcul. C’est le fait du manque de transparence des entreprises sur les émissions le long de leurs chaînes de production et d’approvisionnement, du manque de connaissance et de transparence sur les lieux de production situés à l’étranger, et de la faible lisibilité des données douanières, accompagnée de fraudes à la déclaration massives (notamment dans l’e-commerce).

Pour autant, il existe des leviers importants de réduction des émissions importées. Le plus évident est la réduction de la consommation de biens importés. Le second est la relocalisation ciblée de certaines productions, qui, en plus de les rendre le plus souvent moins polluantes sur le territoire français qu’à l’étranger, permettra de répondre pleinement à nos objectifs sociaux et de souveraineté. La seule suppression du transport international ne peut être un argument suffisant pour une relocalisation à but écologique. Des outils comme la taxe carbone aux frontières peuvent être des stratégies de choix pour diminuer la consommation de biens importés, encourager les relocalisations, ou inciter les entreprises étrangères à baisser l’empreinte carbone de leurs produits. Mais le problème fondamental de la taxe carbone est qu’elle peut constituer un droit à polluer pour ceux qui peuvent la payer.

Ainsi, que ce soit sur son territoire ou via les émissions importées, la France est encore très dépendante des énergies fossiles, et cela a des conséquences sur sa capacité à respecter les objectifs de baisse d’émissions. Le constat sur l’action des gouvernements successifs contre le changement climatique est limpide : elle n’a pas été à la hauteur, que ce soit en matière d’ambitions, de moyens financiers et humains et en conséquence de résultats. Plusieurs promesses-phares du mandat Macron n’ont pas été mises en place : reconversion des centrales à charbon françaises, interdiction des vols intérieurs pour lesquels une alternative ferroviaire de moins de 4 h 30 existe…[6]Les mesures élaborées par la Convention citoyenne pour le climat en juin 2020 n’ont pour la plupart pas été reprises par le gouvernement.

L’objectif de 2020 d’atteindre 23 % d’énergies renouvelables thermiques et électriques dans la consommation d’énergie finale n’a toujours pas été atteint en 2022 (20,7 %) et la France est loin de l’objectif de 42,5 % fixé par la Commission européenne pour 2030. D’après le Haut conseil pour le climat[7], seules 6 des 25 orientations sectorielles de la SNBC « bénéficient de mesures au niveau requis pour l’atteinte des budgets carbone »[8]. L’État a été condamné en 2021 pour ne pas avoir respecté le premier budget carbone (2015-2018). Le budget suivant (2019-2023), établi lors de la SNBC 1, n’a pas non plus été respecté, mais il a été rehaussé lors de la SNBC 2. Cette manœuvre technique permet à l’État de paraître en ligne avec les objectifs carbone, mais le respect du dernier budget carbone est notamment lié à la crise conjoncturelle du Covid-19. Pour respecter les prochains budgets carbone, jalons nécessaires vers le zéro émissions nettes, le rythme annuel de baisse des émissions de gaz à effet de serre doit atteindre en moyenne -4,7 %[9] sur la prochaine décennie, alors qu’il n’a été que de -1,7 % sur la dernière décennie.

Figure 3 – Émissions de gaz à effet de serre en France (hors secteur des terres et des forêts) en mégatonnes d’équivalent C02

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Note de lecture : En 2022, les émissions de gaz à effet de serre en France (hors forêts et terres) sont estimées à 404 mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e). Ce montant respecte le nouveau budget carbone de la SNBC 2, mais pas le précédent décidé dans la SNBC 1.

Source : ministère de la Transition énergétique, 07/2022, Ajustement technique des budgets carbone, URL : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Ajustement%20technique%20des%20budgets%20carbone-1.pdf

3.     L’impasse des politiques néolibérales productivistes

Cette incapacité majeure à prendre à bras-le-corps le défi climatique n’est pas uniquement le fruit d’une incompétence politique, elle est la conséquence directe de l’affrontement violent entre les logiques néolibérales capitalistes et les limites planétaires. Le triptyque mondialisation-concurrence-croissance et la recherche de profit comme moteur principal du fonctionnement des entreprises, sont profondément incompatibles avec les ambitions climatiques. Pire encore, ils aggravent les inégalités et renforcent les tensions entre groupes sociaux, ethniques ou de genre dans la compétition pour l’accès aux gains permis par la croissance.

Cette situation n’est pas le fruit d’un hasard, mais la conséquence même de l’intrication entre les logiques capitalistes, l’emploi massif d’énergies fossiles et plus globalement le « pillage de la nature ». Chez les sociologues John Bellamy Foster et Brett Clark (2022)[10], le mode de production capitaliste repose sur des conditions de reproduction d’ordre écologique et social, des forces gratuites comme la nature ou le travail reproductif et domestique. Elles sont indispensables pour perpétuer le processus d’accumulation. Les auteurs postulent l’existence d’une contradiction fondamentale entre la logique d’accumulation du capital et la préservation de ses conditions de reproduction écologiques et sociales.

La tradition écomarxiste formule aussi l’hypothèse que le capitalisme sape ses propres fondations. James O’Connor (1992)[11] détaillait comment « la logique du profit conduit le capital à refuser d’assumer les coûts de reproduction de ses « conditions de production » : force de travail, infrastructures, aménagement et planification, environnement ». Pour revenir à Marx, « le capital épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur [12] ».

Pour Foster et Clark (2022), le capital se distingue par sa « tentative nécessaire et persistante de transcender ou de réajuster ses limites eu égard à ses conditions externes de production, afin de renforcer le processus d’accumulation ». Ainsi, lorsque le capitalisme se heurte à des limites, il met en œuvre toute une série de mécanismes et de déplacements pour continuer cette accumulation coûte que coûte : utilisation de nouvelles ressources, de nouvelles réserves minérales, en changeant le lieu de production ou en développant de nouvelles technologies. Ces déplacements permanents créent de nouvelles frontières d’exploitation et de nouveaux lieux ou mécanismes de domination, de destruction, afin de perpétuer le processus d’accumulation.

En cela, les auteurs rejoignent aussi l’analyse formulée par Andreas Malm[13], qui explique que si le travail est « l’âme du capitalisme », la nature et les ressources qu’elle fournit en sont son corps. Sans la nature, les énergies et les ressources nécessaires à la mise en valeur du capital, le processus d’accumulation fondamental du capitalisme ne serait pas possible. Les énergies fossiles, qui permettent de démultiplier dans des proportions considérables la production d’un travailleur, sont l’adjuvant parfait et le corollaire nécessaire au processus de mise en valeur du capital par le travail humain. Le charbon et l’huile, plus tard le pétrole et le gaz, sont les auxiliaires de la production capitaliste. Ils sont, dit Malm, le « levier général de production de survaleur ».

Les politiques publiques tablant uniquement sur les technologies vertes et les incitations économiques ne sont pas suffisantes pour permettre la transition. Par exemple, l’énergie produite de manière renouvelable ne vient pas se substituer mais s’additionner aux énergies fossiles. Les subventions publiques à la rénovation peinent à trouver des projets de rénovation complète faute d’investissement dans les filières d’éducation et les chaînes de matériaux. Face aux obligations normatives sur les véhicules individuels, l’industrie automobile développe des SUV pour des ventes chères mais peu nombreuses, incapables de répondre au besoin de massification.

C’est pourquoi nous soutenons la nécessité d’un changement de paradigme économique et politique.

4.     Objectifs de la note

Cette note vise à présenter de manière ciblée plusieurs enjeux stratégiques pour la gauche de rupture au cours des discussions à venir. De nombreux choix de transition relèvent avant tout des prérogatives des décideurs publics et du politique. Ce travail ne vise pas à choisir à leur place, mais de présenter le champ de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.

Il serait prétentieux de vouloir tout résumer dans les quelques pages qui vont suivre. Nous tenterons de présenter, de « faire sentir », les grands équilibres qui régissent la question énergétique et climatique. Le système énergétique est un système complexe, où l’ensemble des secteurs sont profondément interconnectés, et pour lequel une approche systémique est indispensable.

Nous essayerons de présenter, pour les grands enjeux identifiés, les principaux leviers dont dispose le législateur, ainsi que les conséquences sectorielles de l’activation de chaque levier. Nous tâcherons à chaque fois de rendre visibles les équilibres entre les leviers humains (sobriété, justice, démocratie) et les leviers technologiques (maturité, perspectives, risques). De brefs rappels techniques pourront être apportés. Enfin, des pistes de réflexion législatives et politiques sont suggérées.

Nous renverrons à chaque fois que c’est nécessaire, pertinent et possible vers les travaux scientifiques et intellectuels les plus récents pour étayer et compléter nos propos. Nous nous appuierons notamment sur trois travaux prospectifs d’ampleur :

  • les scénarios « Futurs énergétiques 2050 » de RTE* (novembre 2020)[14] pour ce qui concerne le mix électrique ;
  • les scénarios « Transition(s) 2050 » de l’ADEME* (janvier 2021)[15] concernant l’atteinte du zéro émissions nettes ;
  • les scénarios des think tanks The Shift Project (Plan de transformation de l’économie française, février 2022[16]) ou négaWatt* (négaWatt 2022, janvier 2022[17]), auxquels s’ajoutent des scénarios sectoriels ou à dimension internationale.

Ces travaux ont pour certains été commentés, analysés, traduits par plusieurs laboratoires de réflexion de notre écosystème (Intérêt général, Institut Rousseau, Institut la Boétie, Fondation Jean Jaurès, etc.).

Notre raisonnement part des émissions liées à la composition actuelle du mix énergétique français, qui est encore très fortement dépendant des énergies fossiles (près des deux tiers). Notre empreinte climatique repose aussi en bonne partie sur nos émissions importées, pour lesquelles aucun objectif contraignant n’existe à l’heure actuelle et qui constitue par là même un impensé de notre politique climatique. Le retard pris dans la sortie des énergies fossiles du pays s’explique en premier lieu par des décennies de politiques néolibérales sans réelle planification cohérente ni moyens suffisants. Un changement de paradigme nous semble indispensable pour mettre un terme à l’accumulation capitaliste et l’extension et l’intensification mortifère de l’exploitation des populations et des ressources.

Il nous semble en effet essentiel, à rebours des politiques énergétiques précédentes qui cherchent à répondre à la consommation quelle qu’elle soit, de questionner les besoins à pourvoir avant de décider du déploiement d’infrastructures énergétiques. Le premier enjeu clef identifié est donc celui de la détermination d’une cible de consommation énergétique sans carbone à l’horizon 2050 qui correspondrait à la société appelée par des programmes de gauche de rupture. Pour nous appuyer sur des exemples concrets, nous avons pris comme exemples de programmes de rupture pour la France : L’Avenir en commun, placé en tête de la gauche par les électeurs en 2017 et en 2022, le programme partagé de la NUPES en 2022 ou encore le programme du NFP ayant remporté les élections législatives en 2024. Ces trois documents programmatiques sont issus d’intenses discussions avec les forces vives du pays : mouvement social, associations, ONG, scientifiques, partis politiques.

Nous nous efforcerons donc dans cette note d’expliciter, de décrire et de détailler les implications de tels programmes sur la planification énergétique de la Nation. Cette ambition demande d’étudier avec attention deux questions : jusqu’où la sobriété est-elle possible et souhaitable ? Et, jusqu’où réindustrialiser notre pays ? Cette première étape consiste à identifier nos besoins pour déterminer une cible de consommation d’énergie (Enjeu n° 1). Elle constitue les fondations qui permettront de gouverner le système énergétique par les besoins, secteur par secteur.

Cette base permet d’établir des objectifs et des stratégies dans les différents secteurs énergétiques au sein de quatre principaux défis : sortir du tout-pétrole (Enjeu n° 2), sortir du tout-gaz (Enjeu n° 3), sélectionner le mix électrique capable de répondre aux besoins identifiés en minimisant l’impact environnemental et les risques (Enjeu n° 4) et replacer la question de la biomasse et de la gestion des sols à vocation agricole et forestière au cœur du débat énergétique (Enjeu n° 5). La question du nucléaire est aussi évoquée plusieurs fois dans le document. Le gouvernement a voulu focaliser le débat énergétique uniquement là-dessus, à tort selon nous. Le corpus que représentent L’Avenir en commun et le programme partagé de la NUPES proposent la sortie du nucléaire, le second précisant la possibilité de « laisser ce point à la sagesse du Parlement ». Le contrat de législature du NFP, lui, ne prévoit pas de décisions nouvelles sur les centrales pendant la législature. Cette note se situe dans l’épure générale de ces différents programmes.

L’atteinte des objectifs sectoriels identifiés dans ces sections repose sur des conditions de possibilité démocratiques, industrielles, géopolitiques et financières que nous présenterons par la suite. Ces enjeux transverses se déploient dans chaque secteur et doivent être interrogés de manière systématique. Ils seront approfondis dans une prochaine note du département de planification écologique de l’Institut La Boétie. Pour les lister, il s’agit des questions de souveraineté industrielle, des questions géopolitiques et des mécanismes de financement.

À retenir :

➔La France consomme chaque année environ 1 500 TWh d’énergie finale, dont deux tiers sont des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Le nucléaire représente 19 % de l’énergie consommée, et les EnR* (électriques et thermiques) en représentent 20 %. C’est l’usage massif d’énergies fossiles qui est responsable de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national.

Les émissions importées (= issues d’importations) sont presque égales aux émissions territoriales (= sur le territoire français). Bien que compris dans la loi énergie et climat de 2019, les textes programmatiques ne se sont pas encore emparés de ce sujet (ni la Stratégie nationale bas-carbone, ni le projet de loi souveraineté énergétique) : il s’agit d’un angle mort majeur de la politique d’atténuation du changement climatique.

Le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre est trop faible par rapport à l’urgence : celles-ci ont diminué en moyenne de 1,7 %/an sur la dernière décennie, alors qu’il faudrait atteindre 4,7 %/an sur la décennie à venir pour suivre les objectifs de la SNBC. Cela est le reflet d’une volonté politique absente (moyens humains et financiers grandement insuffisants) mais également d’un affrontement violent entre les logiques néolibérales capitalistes et les limites planétaires.

➔ Le gouvernement a repoussé aux calendes grecques l’adoption d’une véritable loi de programmation sur l’énergie et le climat par laquelle le Parlement pourrait débattre de la planification énergétique du pays.  

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Inscrire dans la loi un objectif de diminution de 27 % des émissions importées en 2030 et de 65 % en 2050 (Haut conseil pour le climat).

➔ Inscrire dans la loi un dispositif systématique d’évaluation de l’impact climatique des lois, afin de vérifier leur conformité avec nos engagements climatiques (Haut conseil pour le climat).  

Première partie — Partir des besoins pour déterminer une cible de consommation d’énergie (Enjeu n° 1)

Produire toujours plus, mais pour quoi faire ? Tout choix énergétique doit se faire au regard des besoins réels de la société, secteur par secteur. Le système économique capitaliste actuel commence par produire sans s’interroger sur la finalité de la production. De ce fait, il encourage toujours davantage de consommation, rencontre régulièrement des crises de débouchés et dépasse les limites planétaires.

Il en allait de même jusqu’ici en matière énergétique. Le développement capitaliste allait de pair avec une construction sans cesse accélérée de nouveaux moyens de production et de canaux d’approvisionnement, sans poser la question de leur finalité. Cette approche rencontre aujourd’hui une triple impasse écologique, économique et sociale, qui nous oblige à baisser notre consommation d’énergie.

La méthode doit donc changer. Bâtir le mix énergétique de demain doit se faire en regardant précisément ce qui est nécessaire et ce que notre environnement peut supporter. Autrement dit, il est nécessaire de gouverner le système énergétique par les besoins. Cette première section se livre à un exercice prospectif, visant à identifier, à partir des scénarios existants, ce qui pourrait être la cible de consommation énergétique de la société de 2050 en accord avec les programmes de rupture avec le néolibéralisme et le respect de la règle verte*. L’estimation des besoins dans cette note se concentre sur deux thématiques : le niveau de sobriété souhaitable et atteignable, et l’ampleur de la réindustrialisation jugée nécessaire. Une cible de consommation énergétique et électrique sera proposée, à partir de grandes hypothèses structurantes.

1.     Quels besoins pour quelle sobriété ?

a.     L’indispensable sobriété

Remplacer l’intégralité des ⅔ d’énergies fossiles de la consommation actuelle d’énergie en France n’est pas possible techniquement compte tenu de ce que l’on connaît. Pour accélérer la sortie des énergies fossiles, il est donc indispensable de réduire notre consommation d’énergie, a minima jusqu’au développement massif d’autres sources d’énergie. Deux grands leviers peuvent être utilisés dans ce but :

  • la sobriété, c’est-à-dire des renoncements délibérés à des usages consommateurs d’énergie, correspondant à un premier levier humain ;
  • l’efficacité énergétique, qui permet de baisser la consommation d’énergie à service et confort constant, à travers des leviers techniques et technologiques.

Ces deux leviers n’ont pas la même fiabilité. La sobriété apporte mécaniquement une baisse de consommation énergétique. L’efficacité, elle, peut être suivie d’un effet rebond, par lequel les gains d’efficacité sont compensés par une hausse des usages d’énergie. Par exemple, en isolant son logement on peut chauffer davantage qu’avant en gardant une facture constante). La sobriété est donc le premier pilier, avant l’efficacité énergétique : rien ne sert de rendre plus efficaces des processus dont on pourrait se passer.

L’Institut la Boétie s’était déjà penché sur cette question en décembre 2022, dans une note[18] analysant la faiblesse du plan de sobriété gouvernemental, aveugle aux inégalités sociales dans l’accès à l’énergie. Il avait alors proposé dix mesures à court terme et dix à long terme pour baisser les consommations. Dans cette première partie, nous élargissons la focale par rapport à cette précédente note : nous nous intéresserons à ce que veut dire la sobriété sur nos modes de vie et sur les outils de la puissance publique pour la mettre en œuvre.

b.    Jusqu’où peut-on activer les leviers structurels de sobriété dans la justice ?

Pour obtenir des ordres de grandeur des économies d’énergie obtenues par différents scénarios de sobriété, nous avons basé notre analyse sur l’étude « Transition 2050 » de l’Agence de la transition écologique (ADEME). Son travail très complet[19] détaille quatre scénarios menant à l’atteinte du zéro émissions nettes en 2050 et au respect des limites planétaires. Ils reposent sur différents paris politiques, sociaux et technologiques. Parmi ces scénarios, seul le dernier appelé S4 ne recourt pas ou peu à la sobriété dans l’évolution des modes de vie. Il est fondé sur une forme de solutionnisme technologique, c’est-à-dire qu’il ne compte quasiment que sur la technologie de capture et de stockage du carbone pour faire face au dérèglement climatique.

Figure 4 – Présentation des quatre scénarios de « Transition 2050 » de l’ADEME

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Note de lecture : Chaque scénario de l’ADEME propose une façon différente d’atteindre zéro émissions nettes. Le scénario S4 comporte le moins de changement de comportements et s’en remet lourdement aux technologies de captage et de stockage de CO2. À l’autre bout du spectre, le scénario S1 opère des changements fondamentaux dans les modes de vie.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

En dehors de ce pari, risqué, l’ensemble des autres scénarios font appel à des leviers de sobriété. Nous proposons de regarder en détail les principaux leviers structurels mobilisés par l’ADEME :

  • Levier structurel n° 1 : une baisse de -30 % à -70 % de la consommation de viande

L’alimentation est responsable de 25 % de l’empreinte carbone française[20] et doit donc fortement évoluer pour respecter nos engagements climatiques. En la matière, le scénario le plus ambitieux (intitulé « génération frugale », S1) prévoit une diminution de -70 % de la consommation de viande avec 30 % de végétariens et 30 % de flexitariens en 2050. Le scénario S2 prévoit, lui, 40 % de végétariens et de personnes qui réduisent leur consommation de viande. Ainsi, l’évolution des régimes alimentaires permet bien de diminuer l’impact écologique de notre alimentation en diminuant l’empreinte carbone (émissions de GES*), l’empreinte énergie (consommation d’énergie) et l’empreinte sol (surface utilisée). Il permet aussi de rationaliser l’usage de l’eau. Ce levier est donc crucial mais n’est pas directement lié à la question de l’énergie, puisque ces émissions émanent des cheptels et des changements d’affectation des sols.

Figure 5 – Proportion de chaque régime alimentaire (omnivore, flexitarien et végétarien) dans la population actuelle, selon chaque scénario

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Note de lecture : Dans le scénario S2, 50 % de la population mange 45 g de viande par jour ou plus, 30 % en mangent entre 1 et 30 grammes, et le reste est végétarien, et notamment nouvellement végétarien par rapport à aujourd’hui.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

Figure 6 – Évolution des empreintes énergie, sol et GES en fonction de la consommation de viande, par rapport à leur niveau actuel, selon chaque scénario

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Note de lecture : La première ligne montre les objectifs de réduction de consommation de viande pour 2050 selon chaque scénario. Ensuite, l’empreinte énergie, l’empreinte sol et l’empreinte de GES sont exprimées pour chaque nouveau seuil de consommation. Par exemple, selon le scénario S2 avec une baisse de -50 % de la consommation de viande, on voit que l’empreinte énergie baisse de -21 %, l’empreinte de GES de -32 % et l’empreinte sol de -29 %.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022,  URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

  • Levier structurel n° 2 : une baisse de la construction neuve

    Le secteur résidentiel et tertiaire est responsable de 47 % des consommations énergétiques et de 22 % des émissions de GES. De plus, les besoins en matériaux pour la construction représentent une part importante des consommations énergétiques du secteur industriel. L’ADEME table notamment sur la baisse du nombre de résidences secondaires et de la construction de nouvelles maisons individuelles, ainsi que sur la rénovation thermique des bâtiments.

    Figure 7 – Parc de résidences principales en 2050 dans chaque scénario

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    Note de lecture : Chaque bâton vertical représente un scénario pour 2050. Les couleurs ensuite représentent chacune un type de logement (existant, neuf individuel et neuf collectif) en millions. Par exemple, dans le scénario S2, 27 millions de logements correspondent à ceux existants aujourd’hui (violet), 2 millions à des logements neufs individuels (gris) et 3 millions à des logements neufs collectifs (bleu clair).

    Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html


    Figure 8 – Parc immobilier du secteur tertiaire en 2050 dans chaque scénario

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    Note de lecture : Chaque bâton vertical représente un scénario pour 2050. Les couleurs représentent un type de bâtiment (existant ou neuf) occupé par le secteur des services publics et du commerce, en millions. Par exemple, dans le scénario S2, 702 millions de m² de bâtiments du secteur tertiaire restent par rapport à ceux existants aujourd’hui (en violet), et les 130 millions m² (en gris) correspondent à des bâtiments neufs.

    Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html


    Figure 9 – Occupation et type des logements en 2050 selon chaque scénario

     2015TendancielS1S2S3S4
    Nombre de personnes par logement2,232,022,122,122,022,02
    Part de résidences secondaires9,5 %9,1 %2,5 %5 %9,1 %9,1 %
    Part des maisons individuelles dans nouvelles constructions45 %45 %15 %15 %25 %45 %
    Part des logements ayant atteint le niveau BBC/16 %79 %81 %20 %40 %
    TERTIAIRE – surface construite (Millions de mètres carrés chauffés)/261130132166261

    Note de lecture : La première ligne du tableau indique le nombre de personnes par logement en 2050 en fonction de chaque scénario (colonnes). Par exemple, dans le scénario S2, il est prévu d’atteindre 2,12 personnes par logement en moyenne. Les lignes suivantes montrent pour chaque scénario le pourcentage de résidences secondaires, de maisons individuelles et de logements dits basse consommation (BBC). La dernière ligne indique la surface construite pour le secteur tertiaire dans chaque scénario.

    Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

  • Levier structurel n° 3 : la diminution du nombre de kilomètres parcourus par personne et par an

    Dans le scénario S2 de l’ADEME, il est par exemple prévu une réduction de -17 % de la distance parcourue par personne et par an (elle serait de -32 % dans le scénario S1, basé sur le plus de sobriété). Afin d’atteindre cette diminution, différentes politiques publiques doivent être portées : politiques de proximité entre le domicile et le travail (par exemple par un meilleur aménagement du territoire ou la mise en place de bourse à l’emploi pour échanger son poste au sein d’une même entreprise, en favorisant les tiers-lieux ou le télétravail pour ceux qui le peuvent, ou en soutenant les déménagements pour se rapprocher de l’emploi), aménagement du territoire qui facilite la ville du quart d’heure*, réouverture des services publics ou recherche de tourisme local.

  • Levier structurel n° 4 : la mise en œuvre d’une société de la réparation, du réemploi et du recyclage, avec une baisse des consommations de biens manufacturés neufs et jetables

    Dans les deux scénarios de l’ADEME recourant le plus à la sobriété, entre 70 % et 80 % de l’acier, de l’aluminium, du verre, du papier-carton et des plastiques devraient provenir du recyclage en 2050. La réparation et le réemploi des objets doivent augmenter massivement. Cela correspond aux leviers proposés par des programmes comme L’Avenir en commun et le programme du NFP de lutte contre l’obsolescence programmée, en imposant une obligation de disponibilité des pièces de rechange et en garantissant l’accès à la réparation et le réemploi.

  • Levier structurel n° 5 : un développement de la mutualisation d’équipements

    Chacun des leviers de sobriété repose en partie sur des mutualisations qui vont à l’encontre des dynamiques d’individualisation observées dans les dernières décennies. Il faut pour cela développer le covoiturage, mutualiser certains espaces (buanderies, terrasses, chambres d’amis, résidences secondaires) ou favoriser le prêt d’équipements entre voisins.

Ces 5 grands leviers de sobriété vont définir le niveau de sobriété global. Il va de soi que chaque levier de sobriété ne doit pas être sollicité avec la même ampleur selon le revenu et le capital des ménages concernés. Les leviers évoqués ci-dessus seront d’autant plus justes et efficaces s’ils s’appliquent aux usages les plus privilégiés. La mise en sobriété forcée des consommations ostentatoires des plus aisés peut constituer sur chaque levier un bon début, politiquement mobilisateur.

c.     Pour éviter la pénurie, une sobriété démocratiquement décidée est nécessaire

Ces modifications de mode de vie sont conséquentes, mais nécessaires. En effet, l’ampleur des changements climatiques en cours et la sortie des énergies fossiles augmentent les risques de désorganisation des chaînes de production, d’accès aux ressources stratégiques et les risques de renchérissement de biens. Depuis quelques années, des pénuries se multiplient : médicaments et matériel médical, matières premières lors de la reprise économique, gaz suite à la guerre en Ukraine ou insécurité d’approvisionnement en électricité à l’hiver 2022-2023. Elles ont fait l’objet de mesures d’urgence presque systématiquement socialement injustes.

Dans la gestion des crises de pénurie par le marché, les populations les plus pauvres sont exclues de l’accès à des consommations essentielles du fait de l’accroissement des prix : se nourrir sainement, se déplacer, se loger dignement et se chauffer à des prix abordables… Par exemple, la baisse de la consommation d’électricité observée depuis l’hiver 2022 était la conséquence des prix élevés[21] (baisse des températures notamment dans les parcs sociaux) bien plus que celle d’un effort équitablement réparti dans le cadre du plan de sobriété gouvernemental. De même, le renchérissement du carburant ou des prix de l’alimentaire touche avant tout les plus précaires. La hausse de 21 % en 2 ans des prix de l’alimentaire conduit notamment à ce qu’un tiers des Français ne puissent se procurer une alimentation saine en quantité suffisante pour manger trois repas par jour[22].

Il s’agit d’injustices dans l’accès à l’énergie et dans la protection face aux crises. Les plus aisés et les plus grosses entreprises peuvent se permettre de faire face aux pénuries, si ce n’est même d’en bénéficier[23]. Pour les autres, de réelles politiques publiques de gestion de la pénurie sont nécessaires. La détermination démocratique des conditions d’accès aux ressources essentielles en période de crise est alors essentielle. La sobriété doit donc être planifiée et une vraie réflexion sur les outils de politiques publiques, qu’ils soient économiques ou réglementaires, doit être menée.

d.    Comment mettre en œuvre la sobriété de manière juste : à rebours du signal-prix, le rôle des tarifications progressives et des quotas

Le principe du « signal-prix » est d’augmenter le prix de certains biens ou services pour en dissuader l’achat. Lorsqu’un gouvernement cherche à mettre en place un signal-prix, il le fait le plus souvent via une taxe. Le principal problème de ce système est son injustice sociale : la consommation des ménages les moins riches est davantage impactée que celle des ménages les plus riches.

En plus de l’interdiction à la marge de certains usages énergétiques démesurés, nous discuterons ici de deux types d’outils complémentaires qui s’opposent au signal-prix, et qui doivent intégrer la réflexion : les tarifications progressives et les quotas.

L’interdiction de certains usages énergétiques, déterminée démocratiquement

La question se pose de l’interdiction de certaines consommations énergétiques jugées collectivement inutiles afin de privilégier d’autres usages jugés utiles ou essentiels. La question se pose par exemple pour les normes téléphoniques de demain comme la 6G, très consommatrices d’énergie, et pour des usages de luxe émergents, comme les yachts géants, les avions de luxe et plus généralement toute technologie intensive en énergie. Il est essentiel que la décision de ce qui est utile et de qui ne l’est pas soit prise démocratiquement, et que les filières et salariés soient accompagnés dans leur reconversion.

Les tarifications progressives

Fonctionnant de manière similaire à l’impôt progressif sur le revenu, la tarification progressive sur les consommations énergétiques (carburants, gaz, électricité) ou sur l’eau peut contribuer à l’atteinte d’objectifs de sobriété. Le principe est simple : les petits consommateurs paient petit et les grands consommateurs paient gros. Cette tarification progressive sur les quantités d’usage peut être couplée avec une gratuité des premières quantités indispensables à une vie digne, garantissant ainsi l’ouverture d’un nouveau droit.

L’utilisation de tranches fortement progressives permet ensuite d’encourager fortement à la sobriété. Certes, l’outil repose sur le pilotage des consommations par les prix. Mais la détermination démocratique des tranches, des niveaux de prix associés et des cibles de sobriété visées en fait un outil de planification intéressant et permettant de réduire les inégalités d’accès à l’énergie. Toutefois, comme pour l’impôt, son efficacité repose sur la requête d’information quant à la composition du foyer ou l’isolation de son logement, ainsi que sur une adaptation des barèmes appliqués.

La logique des quotas

Les tarifications progressives comportent une limite : il reste possible pour les plus riches de consommer encore très largement. La logique des quotas permet alors d’assurer simultanément le suivi de l’objectif global tout en garantissant aux plus modestes un socle minimal de consommations. Dans ce cas, la « garantie d’une consommation minimum pour chacun passe directement par une limitation en quantité des consommations des plus riches[24]. » De nombreuses propositions d’outils existent pour mettre en oeuvre des formes de quotas, à l’image de la proposition d’une carte carbone[25]. Cette proposition se heurte à de nombreux obstacles techniques, économiques et de mise en œuvre et est critiquable sur sa dimension individualisante. À l’heure actuelle, il est plus raisonnable d’envisager des quotas de consommation pour des secteurs très difficiles à sortir du carbone et pour lesquels une forme de décroissance est nécessaire, comme le trafic aérien.

Une logique de quotas peut en réalité s’apparenter à une redistribution, en donnant accès à des quantités minimales (droit de tirage) à des ménages, qui en étaient privés auparavant à cause de leur prix. Une étude britannique[26] avait par exemple mis en évidence que l’introduction d’une carte carbone globale serait bénéficiaire à 71 % des ménages britanniques. Ainsi, la chercheuse Mathilde Szuba note qu’une politique énergétique peut, grâce aux quotas et au rationnement, être source de progrès en instaurant une régulation par les quantités et non par les prix.

Le principal enjeu repose alors sur la détermination démocratique de ce qui correspond au socle de besoins, de l’effort collectif auquel chacun peut contribuer et de ce qui relève de l’accessoire, de la consommation ostentatoire. Ce travail ne peut se limiter à une décision unilatérale d’un pouvoir politique basé sur des avis d’experts : il s’agit d’une recherche de décision démocratique qui aboutirait à l’établissement de quotas par foyer ou par personne.

Ce type de décision nécessite un débat particulièrement attentif, car les besoins diffèrent selon les profils. Par exemple, dans quelle mesure appliquer des quotas de voyages en avion pour les bi-nationaux, les résidents ayant de la famille proche à l’étranger ou les Français des territoires dits ultra-marins ?

À partir de là, deux possibilités existent en matière d’instauration de quotas carbone :

  • le quota d’émission général portant sur l’ensemble des consommations d’un individu ou d’un foyer. S’il permet d’assurer l’atteinte globale des objectifs et permet à chaque individu de répartir son effort comme il le souhaite, sa mise en place se heurte pour l’instant à d’importants obstacles techniques (mode de calcul) et politiques (justice).

  • la mise en place de quotas sectoriels. Ils permettent de garantir le suivi de trajectoire pour des consommations facilement mesurables et identifiables. Les quotas permettraient alors d’assurer une décroissance démocratiquement et socialement juste du secteur concerné, aboutissant même à des droits nouveaux pour les couches populaires. Nous parlons ici de quotas sans marché secondaire pour les échanger. Ces derniers créent de nombreux effets pervers comme le montrent les cas des rachats de quotas de pêche et du marché des quotas carbone, permettant aux acteurs disposant de moyens financiers conséquents d’acheter des quotas supplémentaires pour continuer à polluer.

Pour chaque restriction, ouvrir un nouveau droit en favorisant une sobriété juste

La justice des mesures visant à réduire certaines consommations est favorisée en les associant à l’ouverture de nouveaux droits[27] : gratuité des premières quantités indispensables, droit pour chacun à un nombre minimum de voyages long-courriers, droit à de la nourriture moins carnée mais de qualité, soutien progressif à la rénovation… La régulation par les quantités permet alors d’assurer un réel progrès social.

Une illustration parlante est celle de l’instauration de quotas pour le secteur aérien. À moyen terme au moins, l’aviation va devoir fortement réduire son volume de trajets. En effet, aucune solution de décarbonation n’est en mesure de garantir le maintien du nombre de vols actuel et encore moins sa tendance vers une très forte augmentation. Le Shift Project a par exemple émis la proposition d’introduire un quota maximum de voyages en avion et de kilomètres parcourus pour chaque citoyen sur l’ensemble de sa vie[28]. Une telle mesure permet de fait d’instaurer un nouveau droit à voyager, en offrant à chaque citoyen un certain nombre de billets gratuits au cours de sa vie. Concernant l’aviation, en France, les 20 % les ménages les plus aisés sont responsables de 50 % des vols effectués[29], rendant cette mesure très égalitaire et progressive de fait, en contraignant principalement les plus aisés. Certaines difficultés de mise en œuvre existent encore concernant les possibilités de revente ou une forme de récompense de la non-utilisation.

Exemple de mesure de réduction de consommationProposition de nouveau droit ouvert
Limitation du trafic aérien[30]Offrir à chaque Français un nombre minimal de voyages au cours de sa vie, fixé à 3 ou 4 par exemple. Ajouter des droits à voyager supplémentaires pour les personnes issues des territoires dits ultra-marins, qui ont de la famille à l’étranger ou d’autres raisons impérieuses à voyager pour satisfaire leur droit fondamental à une vie privée et familiale
Tarification progressive pour les grosses consommations d’énergie et d’eau par foyerGratuité des premières quantités indispensables
Baisse structurelle de la production de viande en agissant sur l’offre (fermeture des élevages industriels, renforcement des normes de bien-être animal)Encadrement et régulation des prix de la viande « restante » pour en garantir l’accès à tous
Obligation de rénovation complète des logements d’ici 2050Zéro reste à charge pour les 20 % des foyers les plus pauvres et appui progressif avec soutien moyen de 70 % pour 90 % des foyers
Limitation de la taille et du poids des véhiculesGratuité du permis de conduire, droit à un vélo par personne et grand plan ferroviaire
Interdiction des lignes d’avion nationalesMise en place de prix réduits sur les grandes lignes ferroviaires, accompagnées si nécessaire d’un nombre de billets gratuits chaque année

Source : Proposition des auteur·ices

2. Quelle trajectoire de relocalisation et de réindustrialisation ?

a.     Des besoins énergétiques industriels amenés à décroître, et ce même en présence de relocalisations massives ?

Les objectifs de réindustrialisation poussent mécaniquement les besoins énergétiques futurs à la hausse. Pourtant, réindustrialiser vient répondre à deux ambitions stratégiques dans la sortie des énergies fossiles de notre énergie. D’une part, relocaliser notre production nous permet d’avoir les mains libres pour la sortir des énergies fossiles et de réduire notre dépendance aux émissions importées. D’autre part, cela nous permet de renforcer notre souveraineté industrielle et donc notre capacité à maîtriser les processus de production dont nous avons besoin pour changer nos infrastructures de transport et d’énergie, rénover les logements, mettre en place des filières de recyclage et de réparation, etc.

Certaines études de prospective énergétique, et tout particulièrement les travaux de RTE, concluent que cette dynamique engendrerait une hausse des besoins électriques globaux d’environ + 100 TWh d’ici 2050 en cas de réindustrialisation profonde. Ainsi, cela rendrait la construction d’un mix électrique 100 % renouvelable plus difficilement accessible. Toutefois, d’autres travaux, comme ceux de l’ADEME[31] ou de négaWatt, tablent eux sur une baisse globale des besoins de l’industrie et donc de ses besoins électriques, car ils combinent leurs prévisions de réindustrialisation avec des prévisions de sobriété, notamment pour la construction neuve, les transports et les emballages.

Les consommations énergétiques de l’industrie (et les émissions de CO₂) sont en effet concentrées dans un nombre restreint de secteurs. Tout particulièrement, l’évolution de la construction neuve guide fortement les besoins de matériaux fabriqués par l’industrie. 9 secteurs concentrent 60 % des consommations énergétiques de l’industrie : sidérurgie, cimenterie, industries chimiques de l’éthylène, de l’ammoniac et du dichlore, papier-carton, productions de sucre, verre et aluminium.

L’estimation des besoins énergétiques et électriques industriels futurs liés à la mise en oeuvre des programmes de gauche de rupture comme L’Avenir en commun ou le programme du NFP peut se faire avec la méthodologie suivante :

Estimer l’évolution de la tendance globale de la demande domestique en matériaux, au regard des choix en matière de sobriétéEstimer l’effet lié aux relocalisations stratégiques et essentielles et à la création de nouvelles industries écologiquesProposer une amélioration réaliste de l’efficacité énergétique dans les secteurs industrielsEnfin, les besoins ainsi estimés peuvent être pourvus par différents vecteurs énergétiques : électricité, hydrogène, biomasse (en partie sous forme de gaz sans carbone, ou biogaz).

b.     Le scénario S2 de l’ADEME semble être, dans sa logique, le plus proche des programmes de rupture

L’étude « Transitions 2050 » de l’ADEME propose dans chacun de ses scénarios une évolution différente de la dynamique industrielle. L’application de la règle verte, le recours accru à la sobriété et la volonté de relocaliser des filières stratégiques pour améliorer la souveraineté stratégique et la balance industrielle pointeraient plutôt vers le second scénario dit de « Coopérations territoriales » de l’ADEME. En plusieurs points, ce scénario se rapproche fortement des lignes directrices portées par les programmes de gauche de rupture. Néanmoins, comme expliqué ci-dessus, une politique volontariste en matière de relocalisation et de réindustrialisation pourrait entraîner une hausse plus ou moins forte de la consommation énergétique. C’est au pouvoir politique de déterminer, l’heure venue, où placer le curseur entre les objectifs de sobriété et de réindustrialisation : cette note à elle seule ne peut donc déterminer précisément à l’avance la teneur des besoins énergétiques industriels. Mais il est certain que l’application d’un programme de rupture nécessite de regagner une certaine indépendance et des marges de manœuvre en matière de production. Raison pour laquelle il a dans ses objectifs une vague de relocalisation industrielle. Pour l’heure, nous nous plaçons donc ici dans la perspective d’un « S2 + », reprenant à son compte la logique du S2 de l’ADEME tout en laissant ouverte la possibilité d’un ajustement plus souple des objectifs de sobriété en matière industrielle.

Pour donner à voir concrètement ce à quoi pourrait ressembler une bifurcation énergétique ambitieuse, les points suivants présentent quelques projections fondées sur ce scénario n° 2 de l’ADEME. Elles ne sont que des indications de ce qu’une gauche de rupture pourrait viser, et non pas le seul chemin viable en matière énergétique pour le pays. D’autres cibles chiffrées pourraient être décidées par le pouvoir politique.

Figure 10 – Leviers de transformation de l’industrie dans les scénarios de « Transitions 2050 »

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Note de lecture : Ce tableau indique l’intensité du développement des différents leviers de transformation de l’industrie selon les scénarios. Plus la couleur de la case est foncée, plus le niveau de développement doit être important. MPR = Matières premières de recyclage

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

  • Une baisse globale de la demande en matériaux

L’atteinte du zéro émissions nettes nécessite une baisse majeure de la demande en matériaux, particulièrement dans plusieurs industries fortement consommatrices. Ainsi, la baisse des émissions du secteur de la construction et des bâtiments ainsi que le respect du zéro artificialisation nette nécessitent une baisse des nouvelles constructions (-85 % d’ici 2050 dans le S2 de l’ADEME). Par ailleurs, celles-ci devraient être réalisées d’abord avec de nouveaux matériaux (bois, terre, paille) ou issus de filières de recyclage. De même, le développement des filières de recyclage et de valorisation limite les besoins en matériaux neufs. Finalement, l’ADEME table sur une diminution par 7 des besoins de matériaux pour le résidentiel et par 4 pour le tertiaire. 80 % de l’acier, mais aussi de l’aluminium, du verre, du papier-carton et des plastiques viendraient du recyclage. Ceci entraîne une diminution de près de 50 TWh (2015) à 12 TWh (2050) des besoins énergétiques industriels pour fabriquer ces matériaux.

Figure 11 – La baisse tendancielle de la demande en matériaux d’ici à 2050, selon le scénario S2 de l’ADEME

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Note de lecture : La demande de matériaux est étudiée pour l’aluminium, l’acier, le ciment et le verre sur trois dates : 2014, 2030 et 2050. Les projections sont réalisées à partir du scénario S2 de l’ADEME. On voit que même en présence de nombreuses relocalisations stratégiques, la demande en matériaux finit par baisser fortement. Par exemple, pour le ciment, la demande passe de près de 14 mégatonnes, à 6 mégatonnes en 2030 et finalement moins de 4 mégatonnes en 2050.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

Dans le domaine des transports, les ventes de véhicules particuliers et les trajets aériens sont amenés à diminuer (sous l’effet notamment du report modal*, du co-voiturage ou de la diminution du poids des véhicules). Cela se répercute sur l’ensemble de la chaîne de valeur des industries de véhicules, ayant un gros effet sur la demande en acier (-45 %) et en plastiques (-62 % pour l’éthylène). Le rythme de construction de nouvelles infrastructures routières diminue fortement aussi. De même, l’interdiction complète des plastiques à usage unique (hors usages médicaux) conduit à une baisse drastique de la production de plastiques à usage unique. Enfin, la transformation de l’agriculture diminue fortement le recours aux engrais de synthèse (-55 %), dont les industries sont fortement consommatrices.

  • Une relocalisation de secteurs clefs, un protectionnisme stratégique et un renforcement de l’efficacité énergétique soutenu par l’État

La scénarisation de l’ADEME prévoit un retour du protectionnisme économique couplé à un soutien de l’État à des branches stratégiques, qui aurait pour conséquence le retour à un solde commercial global positif. Les relocalisations proposées se font principalement dans le secteur des transports, des métaux, des plastiques, du verre, du textile, de l’engrais et du papier-carton.

Les besoins énergétiques liés à la réindustrialisation dans le scénario S2 sont limités grâce à un fort niveau d’interventionnisme de l’État dans l’efficacité énergétique et notamment la récupération de chaleur fatale* sur les sites industriels. L’électrification des procédés permet aussi d’éviter les pertes des machines à énergie fossile. Enfin, ce scénario propose une hausse de la production d’hydrogène vert (à partir d’électricité) pour atteindre une consommation d’hydrogène de 24 TWh en 2050 (voir encadré « Quel rôle pour l’hydrogène dans la transition énergétique ? », troisième partie). Celui-ci serait notamment destiné à la nouvelle filière de réduction directe d’acier pour remplacer les hauts-fourneaux.

  • Les besoins énergétiques industriels qui en découlent

Ainsi, ce scénario prévoit une baisse globale de 47 % de la consommation énergétique du secteur industriel entre 2014 et 2050, soit de 438 à 230 TWh. Les 133 TWh de gaz actuels sont divisés par 2, remplacés par de la biomasse (41 TWh), de la récupération de chaleur fatale et une baisse des besoins en matériaux. Le charbon utilisé pour la production d’acier dans les hauts-fourneaux disparaît, remplacé par de l’hydrogène. Les besoins électriques diminuent quant à eux de 35 %. Toutefois, des besoins électriques supplémentaires seraient nécessaires pour la production d’hydrogène par électrolyse*[32] (environ 34 TWh supplémentaires) : au total, les besoins électriques totaux seraient estimés à près de 110 TWh, soit une consommation électrique globalement stable en 2050 par rapport à 2019.

Ainsi, une dynamique de réindustrialisation poussée et couplée à des efforts importants de sobriété ne ferait pas exploser les besoins énergétiques et électriques à l’horizon 2050. Elle laisserait des marges de manœuvre plus amples (rythmes de développement des EnR, calendrier de fermeture du nucléaire…) que dans le scénario de réindustrialisation de RTE, qui réclamerait une quantité d’énergie un peu plus importante.

Figure 12 – Comparaison de la consommation d’énergie totale en 2050, par scénario

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Note de lecture : La consommation d’énergie de l’industrie est de 438 TWh, la tendance actuelle mènerait à un total de 373 TWh par an en 2050. Les scénarios S1, S2 et S3 de l’ADEME prévoient une baisse significative de la consommation d’énergie de l’industrie en 2050 : par exemple, le scénario S2 prévoir une consommation de 230 TWh, notamment via l’électricité (74 TWh), le gaz renouvelable de réseau (58 TWh) et la biomasse (41 TWh).

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

3. Quelle cible de consommation énergétique finale pour appliquer un programme de rupture ?

a.     Évolutions et tendances sectorielles

Il nous reste, dans cette section, à établir les besoins énergétiques totaux atteignables en 2050. Pour cela, nous pouvons reprendre nos conclusions des parties précédentes sur les différents leviers de sobriété dans la consommation et sur la réindustrialisation. Avec d’autres variables d’efficacité énergétique du bâti notamment, nous serons alors capables de quantifier les besoins de consommation énergétique finale en 2050 dans le cadre de l’application d’un programme de rupture et d’une réelle bifurcation écologique.

Sur le bâti résidentiel

La rénovation complète de 700 000 logements par an proposée dans L’Avenir en commun conduirait à rénover 16 millions de logements entre 2027 et 2050, entraînant une économie que l’on peut estimer entre approximativement 100 (scénario bas) à 200 TWh (scénario idéal)[33]. C’est notamment le cas si l’on cible prioritairement les passoires thermiques (G et F) et puis les étiquettes D et E, permettant de mobiliser des gisements d’économie importants, en commençant par les 5,2 millions de passoires thermiques. On passerait alors de 488 à 285 TWh. Là encore, cette trajectoire serait assez proche de ce que prévoit le scénario S2 de l’ADEME qui estime que les consommations du résidentiel (uniquement sur les résidences principales) permettraient de passer de 442 à 243 TWh, soit une baisse de 199 TWh.

Sur le bâti tertiaire (bureaux et commerces)

Un effort similaire de rénovation énergétique sur le tertiaire avec le respect du décret tertiaire – qui impose aux entreprises de réaliser des économies d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire de plus de 1 000 m² –, les obligations de rénovation, et la baisse globale de surfaces dédiées conduirait à une baisse de 42 % des besoins énergétiques. Le tertiaire passerait alors d’une consommation de 260 TWh à 150 TWh[34].

Sur les transports

L’analyse de l’évolution des besoins énergétiques des transports est complexe : elle est détaillée dans notre section « Enjeu n° 2 : sortir du tout-pétrole ». De nombreux arbitrages sectoriels sur le choix des technologies retenues (véhicules électriques, ampleur du déploiement des transports en commun, rôle de l’hydrogène et du biogaz) y sont présentés. Toutefois, le scénario S2 de l’ADEME est proche de la politique de transports portée par les programmes de la gauche de rupture et permet de donner un ordre de grandeur de l’évolution des besoins énergétiques dans ce secteur. L’ampleur de la sobriété dans ce scénario correspond à une baisse de 17 % des kilomètres parcourus par personne, un développement massif du vélo et des transports en commun, un doublement de la part du train et un recours accru au covoiturage et à la mutualisation des déplacements. Pour sortir la mobilité individuelle des énergies fossiles, un certain équilibre est proposé dans le scénario S2, avec le convertissement de la moitié du parc automobile en électrique, une partie restant en carburants liquides et une minorité en gaz et hydrogène. L’autre levier majeur est la réduction forte de la taille moyenne des véhicules. Globalement, la demande énergétique des transports diminuerait significativement, pour passer d’environ 500 TWh à 150 TWh en 2050. Cette baisse bénéficie notamment de l’électrification massive de la mobilité qui permet de bénéficier de meilleurs rendements énergétiques (85-90 % pour le véhicule électrique contre au maximum 35-40 % pour un thermique).

Sur l’industrie

Comme analysé dans la partie précédente, le scénario S2 de l’ADEME prévoit une baisse de -47 % des besoins énergétiques industriels entre 2014 et 2050, soit une baisse de 200 TWh. Dans l’hypothèse d’un « S2+ » avec une plus forte dose de réindustrialisation, cette diminution pourrait être légèrement plus faible.

Figure 13 – Résumé des principales évolutions concernant les transports dans le scénario S2

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Note de lecture : Le scénario S2 prévoit une baisse des émissions liées au transport de voyageurs de 95 % entre 2015 et 2050. Elle est issue d’une baisse de 84 % de l’intensité carbone de l’énergie grâce notamment à l’électrification, d’une une baisse de 55 % de l’intensité énergétique des véhicules notamment au travers du poids des voitures, du report modal grâce au train et au vélo, et d’une baisse de la demande de transports.

Source : Aurélien Bigo, Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement, 11/2020, thèse de doctorat de l’Institut Polytechnique de Paris, URL : http://www.chair-energy-prosperity.org/wp-content/uploads/2019/01/These-Aurelien-Bigo.pdf

Sur l’agriculture

Les consommations énergétiques de l’agriculture sont moins structurantes (50 TWh, principalement en carburants) du point de vue de la baisse des besoins énergétiques. Des gisements significatifs peuvent permettre, selon les scénarios de l’ADEME, de baisser à 20-30 TWh les besoins énergétiques pour le secteur.

Besoins énergétiques globaux

Au regard de ces économies d’énergies sectorielles, on aboutit à une forte baisse des besoins énergétiques du pays, en premier lieu grâce à la planification de la sobriété et des investissements. Mises bout à bout, les analyses sectorielles permettent d’estimer un passage d’environ 1496 TWh de consommation d’énergie finale actuelle à environ 800-850 TWh, et ce même en recourant à une réindustrialisation[35].

b.    Des besoins électriques maîtrisés

La sobriété et l’efficacité dans tous les secteurs couplées à des logiques de relocalisations industrielles conduisent à une demande électrique maîtrisée. Ce résultat élargit sensiblement le champ des possibles pour le mix énergétique, qui plus est pour le mix électrique : rythmes de déploiement des renouvelables, construction, baisse et sortie du nucléaire, besoins de flexibilité…

Figure 14 – Consommation annuelle d’électricité par type d’usage selon les 4 scénarios

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Note de lecture : Chaque tableau présente l’évolution dans le temps de la consommation d’électricité pour un scénario de l’ADEME, avec la décomposition par usage. Par exemple, dans le scénario 2, la consommation en 2040 est inférieure à 500 TWh, et est utilisée principalement par le chauffage par les pompes à chaleurs (PAC), par l’eau chaude sanitaire (ECS) et l’électroménager (« produits blancs »), par l’industrie, et par les électrolyseurs qui produisent l’hydrogène vert.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

La mobilisation massive des leviers structurants de sobriété évoqués précédemment limite globalement les besoins électriques et la nécessité de prévoir massivement des moyens de stockage, ou permettant de rendre la production plus flexible pour qu’elle corresponde à l’instant T à la consommation. En matière électrique, le scénario S2 de l’ADEME propose :

  • d’un côté une augmentation des besoins électriques pour les pompes à chaleur, le déploiement des véhicules électriques et la production d’hydrogène par électrolyseurs* pour décarboner l’industrie lourde, les transports lourds et le gaz de réseau ;
  • de l’autre une baisse des besoins pour l’industrie malgré des dynamiques de relocalisation, et une baisse des besoins pour le chauffage électrique et l’eau chaude sanitaire grâce à la sobriété et au déploiement d’énergies renouvelables thermiques alternatives (voir « Enjeu n° 3 : sortir du tout-gaz et développer la chaleur renouvelable »).

Avec nos hypothèses, les besoins électriques augmenteraient donc légèrement, en passant d’environ 500 TWh à 550 TWh (pertes comprises) d’ici 2050. C’est proche de ce que prévoit le S2 de l’ADEME qui arrive à une cible de 535 TWh en 2050, proche de la variante sobriété de RTE[36]. Dans d’autres scénarios impliquant une plus forte réindustrialisation, dont le scénario central de RTE et son scénario de réindustrialisation profonde, les besoins montent respectivement à 650 TWh et 750 TWh.

Si le premier cas de figure rend le pilotage et l’équilibrage du réseau électrique moins complexe que dans le deuxième, nous rappelons là aussi que c’est la décision politique qui tranchera in fine en fonction de la priorisation des différents objectifs. Une réindustrialisation plus forte du fait d’objectifs ambitieux de relocalisation de la production pourrait conduire à dépasser plus que cela le scénario S2, tout en restant en deçà du scénario maximal de RTE.

Figure 15 – Consommation d’électricité par secteur selon les scénarios

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Note de lecture : Dans le scénario S2, en 2050 la consommation totale d’électricité est de 535 TWh, un peu supérieure à aujourd’hui mais inférieure à ce que prévoit la prolongation de la tendance actuelle. Elle servirait de manière équilibrée à l’industrie, le résidentiel, le tertiaire et les transports. Une part importante serait réservée pour la production d’hydrogène (H2) par électrolyse.

Source : ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

Cette première partie nous a permis de formuler de premières hypothèses et orientations concernant les besoins énergétiques d’un programme de rupture, alliant recours marqué à la sobriété et relocalisation d’activités industrielles stratégiques. On peut donc chiffrer une proposition de trajectoire des besoins énergétiques de la manière suivante : passer, d’ici 2050, de 1496 TWh à 850 à 800 TWh de consommation finale dont environ 550 TWh d’électricité.

L’application sectorielle de ces orientations est ensuite discutée dans la partie suivante. Nous avons choisi de le faire par le prisme de quatre enjeux cruciaux : comment sortir du tout-pétrole (enjeu n° 2), comment sortir du tout-gaz (enjeu n° 3), quelles clefs de lecture pour sélectionner le mix électrique de demain (enjeu n° 4) et quel rôle pour la biomasse dans l’atteinte du zéro émissions nettes (enjeu n° 5).

À retenir :

Un recours massif à la sobriété est un des piliers du respect de nos engagements climatiques.

➔ La sobriété, tout en s’appliquant aux consommations ostentatoires, devra nécessairement mobiliser des leviers structurels concernant la consommation de viande, les kilomètres parcourus ou encore la consommation d’espace et le nombre de constructions neuves. Ces leviers ne pourront être activés que par des politiques ambitieuses de planification et d’investissements.

La sobriété doit être juste, c’est-à-dire régulée par la décision collective plutôt que par les prix, avec des outils comme les tarifications progressives, les quotas dans certains secteurs cibles et l’ouverture de nouveaux droits universels.

➔ Dans le scénario S2 de l’ADEME, proche de ce qui est décrit dans les programmes de rupture, une dynamique de réindustrialisation, même poussée, ne semble pas faire exploser les besoins énergétiques et électriques en présence d’une réelle planification de la sobriété à l’horizon 2050. Ce scénario laisse de la marge pour une réindustrialisation plus forte, ce qui pourrait s’avérer nécessaire en cohérence avec des objectifs ambitieux de relocalisation.

➔ Un bouclage global des besoins de ces programmes, en suivant une logique proche du S2 de l’ADEME, mène à des besoins énergétiques totaux en 2050 de l’ordre de 800 à 850 TWh, dont 500 à 550 TWh de besoins électriques (pertes comprises).

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Généraliser la logique d’ouverture d’un nouveau droit en compensation de toute politique de sobriété et faire des propositions législatives dans ce sens.

➔ Inscrire la logique de sobriété au cœur de la future loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) et proposer des cibles sectorielles de sobriété.

➔ Renforcer la législation sur la réparabilité, le réemploi et le recyclage des produits, à l’image de ce qui était proposé dans L’Avenir en commun et le contrat de législature du NFP.

➔ Commander un rapport détaillé, filière par filière, des besoins et possibilités de relocalisations stratégiques, afin d’estimer précisément les besoins énergétiques et électriques qui en émergent.  

Seconde partie : Dégager les enjeux majeurs pour sortir des énergies fossiles

Dans la première partie, nous avons étudié les besoins énergétiques du pays en cas de réelle bifurcation des modes de production, d’échange et de consommation. Sobriété, redistribution et réindustrialisation nous amènent à des besoins énergétiques de l’ordre de 800 à 850 TWh en 2050 contre 1496 TWh aujourd’hui.

Dans cette seconde partie, nous allons parler de la production de cette énergie. Pour atteindre zéro émissions nettes et respecter nos engagements internationaux, il faut à la fois sortir du tout pétrole (enjeu n° 2) et sortir du tout-gaz (enjeu n° 3). Nous détaillerons donc les choix de planification à faire pour cela, notamment concernant deux grands piliers de la bifurcation énergétique que sont l’élaboration d’un mix électrique approprié (enjeu n° 4) et une utilisation raisonnée de la biomasse (enjeu n° 5).

Enjeu n° 2 : Sortir du tout-pétrole

a.     Un constat : le pétrole est utilisé aux deux tiers dans les transports, mais également dans le bâtiment, l’agriculture et l’industrie

En 2023, la France a importé 61 mégatonnes de produits pétroliers, soit environ 711 TWh (source : SDES). Environ 700 TWh sont consommés sur le territoire français, le reste étant utilisé dans le transport international. Cette consommation est principalement répartie dans les secteurs suivants :

  • Transports (60 % de la consommation) : utilisé comme carburant (essence, diesel, kérosène) pour le transport routier, maritime et aérien.
  • Résidentiel, tertiaire (9 %) : utilisé pour chauffer, sous la forme de fioul.
  • Agriculture, pêche (5 %) : utilisé comme carburant pour alimenter les engins de récolte, les navires de pêche, etc.
  • Consommation non énergétique dans l’industrie lourde (17 %) : le pétrole n’est pas qu’un combustible, il est également utilisé comme matière première, par exemple pour la pétrochimie (ex : plastiques, engrais, textiles, médicaments) ou pour le BTP (ex : fabrication du bitume).

Figure 16 – Évolution de la consommation de pétrole raffiné (hors biocarburants et transport international) par secteur économique en mégatonnes d’équivalent pétrole et en milliards d’euros

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Note de lecture : Ce graphique montre combien chaque secteur économique (production d’électricité, transports routiers, etc.) consomme de pétrole chaque année. Par exemple, en 2013, les transports routiers représentent 30 milliards d’euros de consommation de pétrole, pour un total de 97 milliards d’euros de pétrole consommé tous secteurs confondus.

Source : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2021, Chiffres clés de l’énergie édition 2021 – Pétrole, URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/13-petrole

Il est nécessaire d’envisager la transition énergétique de l’ensemble de ces secteurs. Cependant, nous allons nous consacrer dans cette note aux secteurs responsables de l’immense majorité de la consommation de pétrole en France (90 %) : les transports, l’industrie lourde et le bâtiment.

b.    Pour sortir du pétrole dans les transports, il faut mobiliser l’ensemble des leviers du triptyque : sobriété, report modal, c’est-à-dire report d’un mode de transport à un autre, et énergie renouvelable

Tout d’abord, rappelons comment se répartissent les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports en France, hors transport aérien international (source : CITEPA, 2022) :

Figure 17 – Évolution des émissions dans l’air de CO2 du secteur des transports par type de transport en millions de tonnes d’équivalent CO2

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Note de lecture : Sur la période de 1990 à 2019, le transport routier représente la grande majorité des émissions de CO2 du secteur de transport, avec plus de 120 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an (hors crise Covid en 2020). La voiture particulière représente dans le transport routier plus de la moitié des émissions de CO2.

Source : Notre environnement, Les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, 02/2021, URL : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports

L’enjeu principal est de sortir le transport routier des énergies fossiles (véhicules particuliers, utilitaires, camions, bus, cars, etc.). Mais le transport aérien doit également être sorti des énergies fossiles, d’autant plus qu’il est fortement inégalitaire. Rappelons enfin que le secteur des transports est le seul secteur parmi les principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre dont les émissions ont augmenté entre 1990 et 2019, à hauteur de 9 %. Malgré une baisse conséquente en 2020 due à la crise du Covid-19, les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports sont remontées aux alentours de 120 mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO₂eq) en 2021. De plus, selon la Stratégie nationale bas-carbone, même si la trajectoire d’augmentation des émissions est en légère baisse depuis 2005, il faudrait multiplier par 5 jusqu’à 2050 le rythme moyen de cette diminution annuelle des émissions des transports pour sortir le secteur des énergies fossiles.

La sortie de la dépendance au tout-pétrole dans les transports nécessite de réaliser la « transition modale », l’équivalent d’une rupture totale pour le secteur. La direction prise par les politiques publiques en matière de transport de marchandise est la première chose à inverser. La part du fret ferroviaire dans le transport de marchandise a été divisée par 2 entre 2006 et 2019, passant de 20 % à 10 %, suite à la libéralisation de cette activité autrefois exercée par un monopole public. C’est la part du transport de marchandise par la route qui a bénéficié de ce détricotage des capacités du rail en la matière. La moitié des lignes utilisées pour le transport de marchandises en 1950 sont désormais fermées, jusqu’à la fermeture en 2019 de la ligne Perpignan-Rungis. Entre 1990 et 2015, 70 % des investissements publics dans les infrastructures de transport l’ont été pour le réseau routier et autoroutier contre 20 % pour le réseau ferré et 10 % pour le réseau routier urbain. C’est d’abord cela qu’il faut changer. Sans bifurcation majeure dans le domaine du transport des marchandises, il sera impossible de le faire dans celui des voyageurs.

La transition modale repose sur trois piliers qui ne sont pas substituables entre eux et doivent s’additionner afin qu’elle soit complète :

  • D’abord, la sobriété de la demande de transport, alors que cette demande a été multipliée par plus de 4 depuis 1960. Il s’agit en particulier de la sobriété des modes carbonés de transport (avion, voiture individuelle). Au-delà de la demande, la sobriété concerne par exemple le taux de remplissage des véhicules en nombre d’utilisateurs (sobriété par mutualisation des usages) et le poids des véhicules (sobriété dimensionnelle) ;
  • Ensuite, le report modal vers les modes vertueux de transport (transports en commun, vélo, marche à pied) en utilisant tous les leviers pouvant le rendre possible : densification de l’offre de modes vertueux, régénération (renouvellement des rails, routes, voies de transport utilisées par les modes vertueux), construction de nouvelles infrastructures, changement de comportements ;
  • Enfin, la décarbonation énergétique des modes polluants restants (qui représenteront toujours plus de 50 % des parts modales kilométriques en 2050 dans tous les scénarios, même les plus optimistes), soit notamment la voiture et l’avion. Pour l’essentiel, cela repose sur l’électrification pour les modes routiers ou sur une combinaison de carburants et en particulier de l’emploi de l’hydrogène (train, avion, bateau).

La même approche est également applicable au fret (transport de marchandises) mais nous concentrerons nos illustrations sur le transport de voyageurs pour les besoins de l’exercice.

Notons par ailleurs qu’une autre grille de lecture peut être utilisée pour analyser la transition modale des transports, basée sur l’équation de Kaya* et ses 5 leviers : demande de transports, report modal, taux de remplissage, efficacité énergétique des véhicules, intensité carbone de l’énergie. Cette analyse mènerait aux mêmes constats, aux mêmes conclusions et aux mêmes politiques à mener pour permettre cette transition modale.

La sobriété de la demande de transport est un enjeu majeur que les libéraux ne veulent pas voir, et dont on ne pourra pas s’extraire.

La demande de transports est en forte croissance depuis 1960. Dans ce graphique issu de la thèse d’Aurélien Bigo intitulée « Les transports face aux défis de la transition énergétique »[37] soutenue en novembre 2020, nous pouvons constater que malgré une amélioration visible de l’efficacité énergétique des véhicules et de l’intensité carbone fournie par l’énergie, les émissions de gaz à effet de serre liées au transport de voyageurs ont été multipliées par 4,4 entre 1960 et 2015, et ce essentiellement à cause de la croissance de la demande.

Figure 18 – Évolution des émissions de C02 liées au transport de voyageur

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Note de lecture : D’après l’équation de Kaya, on peut décomposer les émissions des transports selon 5 facteurs : demande de transport (DT), report modal (RM) (c’est-à-dire le changement d’un mode de transport à l’autre pour un même trajet), taux de remplissage des véhicules (TR), efficacité énergétique des véhicules (EE), intensité carbone de l’énergie utilisée (IC). On prend pour base 1 pour chacun de ces facteurs, c’est-à-dire qu’on fait comme s’ils étaient tous équivalents à la première date du graphique, en 1960, et on voit comment chacun a évolué depuis. Grâce à cela, on voit que les émissions augmentent essentiellement à cause de la demande. Le taux de remplissage et le report modal ont légèrement empiré (on est un peu moins par véhicule, et on utilise plus souvent la voiture qu’un autre mode, donc les facteurs augmentent). Cependant, l’efficacité énergétique et l’intensité carbone de l’énergie ont contribué à diminuer les émissions (essentiellement grâce à une meilleure efficacité énergétique des véhicules).

Source : Aurélien Bigo, Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement, 11/2020, Thèse de doctorat de l’Institut Polytechnique de Paris, URL : http://www.chair-energy-prosperity.org/wp-content/uploads/2019/01/These-Aurelien-Bigo.pdf

Cette augmentation de la demande s’est généralisée à l’ensemble des modes pour le transport de voyageurs : voiture personnelle, ferroviaire, transports en commun, avion. Par rapport à 1999, un Français parcourt en moyenne aujourd’hui 1 000 km de plus annuellement, bien que cette moyenne cache de fortes inégalités. Et malgré un certain développement du rail et des transports en commun, la part des kilomètres réalisés en voiture personnelle reste constante, légèrement au-dessus de 80 %. On peut penser que le sous-investissement gouvernemental dans les petites lignes ferroviaires et la privatisation des lignes de bus à la campagne contribuent largement à ce mauvais résultat. Le même constat peut être dressé pour le transport de marchandises, dont la demande en kilomètres parcourus a été multipliée par 3,4 depuis 1960.

Ainsi, il est nécessaire d’enclencher des politiques de sobriété pour limiter la hausse de cette demande, ou même la réduire :

  • D’une part sur la demande de véhicule personnel et de transport routier en général pour combattre le gros des émissions : plus de 90 % des émissions du secteur des transports en France proviennent de la route (cf. graphique CITEPA plus haut) ;
  • D’autre part sur la demande de déplacement en avion pour des raisons de justice : l’aviation représente peu d’émissions, mais concentrées sur très peu de bénéficiaires (moins de 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de l’aviation commerciale). Également, en cas de démocratisation accrue de l’usage de l’avion grâce à des tarifs attractifs, ces émissions exploseraient.

Pour la réduction des kilomètres parcourus en véhicule personnel, le principal levier est les politiques d’aménagement du territoire, afin de réduire les distances parcourues entre le domicile, le travail, les commerces et les services.Certaines mesures peuvent d’ores et déjà être considérées : application du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, interdiction de l’implantation de nouvelles zones commerciales excentrées, limitation des déplacements professionnels, obligation pour les employeurs de proposer du télétravail aux salariés qui le peuvent, soutien au rapprochement des chaînes de production, réouverture de services publics de proximité, etc.

En ce qui concerne l’aviation commerciale, il est nécessaire de rappeler la répartition des motifs de voyage : 30 % sont pour retrouver des proches, 30 % sont du loisir pur et 40 % sont professionnels.

  • Les motifs de loisir pur pourraient être limités par un signal-prix (par exemple, fixer un tarif minimal pour les voyages en France et à l’international, pour attaquer le modèle de l’aviation low cost).
  • D’autres leviers, plus contraignants, pourraient être activés : par exemple, la mise en place de quotas, à la fois pour les déplacements professionnels et pour les déplacements de loisir. Cependant, il est nécessaire de prendre en compte les situations spécifiques, comme les DROM et les COM français, ou encore les personnes issues de l’immigration de pays inaccessibles en train, pour qui les déplacements en avion sont plus légitimes.
  • L’interdiction des jets privés pourrait être une mesure symbolique et de justice au regard des efforts demandés à chacun.

Les transports en commun – qui représentent actuellement 14% du transport en France – ne sont pas en mesure de répondre aux besoins de mobilité des Français aujourd’hui ; ils sont souvent mal organisés et toujours sous-dimensionnés.

Pour nous positionner dans un scénario de rupture, nous devons dépasser les scénarios les plus volontaristes de sortie des énergies fossiles du secteur des transports et fixer un objectif de part modale du véhicule particulier de 50 % en 2050, en kilomètres parcourus. Cet objectif doit être la boussole de nos politiques de transports. Cela signifie, en d’autres termes, de tripler l’usage des transports en commun et des modes actifs (marche, vélo…) pour amener leur part modale de 14 %[38] aujourd’hui à 45 %. De ce constat, on peut tirer trois enseignements :

  • L’inaction climatique du gouvernement ne permet pas de mettre la France dans la bonne trajectoire en vue de cet objectif.
  • Il s’agit d’un chantier gigantesque, qui nécessitera à la fois modernisation d’anciennes infrastructures et développement de nouvelles à un rythme très intense. Si la sobriété présentée précédemment est indispensable, elle ne pourra pas non plus se substituer à la création d’infrastructures vertueuses (pistes cyclables, voies ferrées, ouvrages d’art, tunnels…).
  • La voiture ne disparaîtra pas à moyen et même long terme, et réduire sa part modale à 50 % d’ici 2050 constitue déjà une ambition révolutionnaire. Il s’agit de la part modale privilégiée dans le scénario négaWatt, très ambitieux, alors que la Stratégie nationale bas-carbone vise par exemple une part modale de 72 %. Il est donc nécessaire de s’emparer de la question de la place de la voiture dans la société future et de sa sortie des énergies fossiles, car aucun scénario ne mise sur sa disparition.

Les leviers de report modal ne seront pas tous détaillés ici car ils doivent faire l’objet d’une politique spécifique de transports. En effet, la politique du transport n’est pas simplement une sous-catégorie de la politique de l’environnement, contrairement à ce que les libéraux souhaitent nous faire croire depuis le Grenelle de l’environnement de 2009. Toutefois, quelques principes structurants peuvent inspirer une véritable politique de transport :

  • Arrêter la construction de nouvelles infrastructures routières, et surtout autoroutières : à la place, chercher à maintenir l’existant ou à développer d’autres modes.
  • Améliorer grandement l’offre de transports en commun, à la fois via de nouvelles infrastructures mais également via une augmentation de la fréquence, de la cohérence des correspondances et du maillage du territoire.
  • Mettre en place des politiques de tarification incitatives : billets de transports en commun simples et attractifs, aide à l’achat de vélo, etc.
  • Concentrer l’usage du véhicule personnel sur des trajets non substituables (trajets ne pouvant être remplacés par un autre mode de transport) : absence de lignes de transport en commun, distances trop longues pour les modes doux, etc. Pour les distances inférieures, il est nécessaire de favoriser l’usage du vélo et de la marche.
  • Limiter l’usage du véhicule personnel au profit des autres modes : attribuer davantage de la chaussée aux modes de transport alternatifs, pénurie de stationnement, couloirs de bus, pistes cyclables, services express métropolitains, etc.

Des réflexions similaires doivent également être menées pour le transport de marchandises : la part modale du fret ferroviaire a chuté depuis les années 2000, pour atteindre seulement 10 % aujourd’hui, au profit du fret routier. Celle-ci doit être grandement augmentée. Il faudrait notamment adapter 3 000 petites gares et réouvrir 8 000 km de lignes pour rattraper les dégâts depuis 1980, dont le Perpignan-Rungis mis à l’arrêt par Macron en 2019.

Sortir du pétrole les modes de transport thermiques subsistants, majoritairement par l’électrique.

Tout d’abord, il est nécessaire de lever quelques idées reçues en dressant quatre constats :

  • La voiture ne disparaîtra pas à long terme, ce n’est le cas dans aucun scénario de bifurcation énergétique.
  • Il n’est ni possible, ni souhaitable, de se passer à 100 % des apports de l’aviation civile.
  • Le train n’est pas encore tout à fait sans carbone : près de 20 % du trafic est réalisé en traction thermique (diesel), principalement sur des petites lignes.
  • Les émissions supplémentaires dues à la fabrication d’un véhicule électrique seraient compensées au cours de son cycle de vie selon l’ADEME[39], d’autant plus si le véhicule est léger (50 000 km pour un véhicule compact, 100 000 km pour un SUV, etc.). Il reste donc moins émetteur au total qu’un véhicule thermique même si les questions de la rareté des ressources pour le construire et l’origine de l’électricité avec lequel il fonctionne restent entières.

L’électrification du parc automobile est donc une nécessité, qui doit être favorisée et accompagnée par l’État. Cette électrification doit être doublée d’une recherche d’efficacité énergétique (diminuer l’énergie consommée par kilomètre parcouru) en faisant des véhicules plus petits, légers, aérodynamiques, ou en bannissant les SUV par exemple.

Toutefois, des facteurs limitant le développement du véhicule électrique justifient le fait que la décarbonation des transports ne peut se limiter à l’électrification du parc automobile, comme l’espèrent pourtant les libéraux. Il faut en effet intégrer :

  • la rareté des ressources : malgré la volonté de concevoir des véhicules économes en matière et de faciliter leur recyclage, les ressources nécessaires pour les construire (surtout en ce qui concerne leur batterie) restent limitées, et les tensions s’accroîtront sur leur usage.
  • le besoin d’électricité : le passage à l’électrique de l’ensemble du parc automobile français (40 millions de véhicules) nécessiterait d’augmenter considérablement la production d’électricité en France, de l’ordre de 70 TWh/an pour les véhicules légers uniquement, et nécessiterait d’éviter les recharges aux « heures de pointe » d’utilisation du réseau électrique. Notons tout de même qu’il existe une technologie appelée « power-to-grid » ou « vehicle-to-grid* » (littéralement « du véhicule au réseau ») qui pourrait contribuer à résoudre ce problème d’approvisionnement en soulageant le réseau (voir Enjeu n° 4, Le déploiement massif des renouvelables […]).

La question de l’usage de l’hydrogène dans les transports sera abordée dans une partie ultérieure, suite à l’enjeu n° 3, notamment pour l’aérien et le maritime.

En somme, des politiques de transports globales, territorialisées, sociales et déployées sur le temps long sont nécessaires.

Comme nous l’avons montré au cours de ce chapitre, une politique cohérente de transports nécessite d’être globale, d’autant plus qu’elle doit être débattue démocratiquement. Rappelons quelques caractéristiques essentielles des futures politiques à porter :

  • Une action conjuguée sur l’ensemble des trois piliers (sobriété, report modal, sortie des énergies fossiles). Les politiques publiques de sortie des énergies fossiles des transports doivent chercher à activer l’ensemble de ces trois piliers dans des proportions ambitieuses à déterminer démocratiquement. Il faudra en parallèle favoriser le passage aux véhicules électriques, engranger la recherche de sobriété des déplacements, limiter le poids des véhicules, développer l’offre de transports en commun, construire de nouvelles infrastructures de transport et renforcer le covoiturage.
  • Des déclinaisons territorialisées d’une politique de transport globale et nationale. Les politiques doivent s’adapter au territoire au travers d’études socio-économico-environnementales détaillées : volumes de flux quotidiens, localisation des pôles économiques et des logements, temps de trajet, préexistence d’infrastructures de transport, géographie, dynamiques démographiques, etc. Notamment, le compromis entre la construction de nouvelles infrastructures et la protection de l’environnement (eau, biodiversité) doit être finement analysé, car il varie localement.
  • La justice sociale doit être centrale : les transports sont un sujet important du quotidien de nos concitoyens. Il ne peut être mené sans délibération démocratique à toutes les échelles. À ce titre, l’erreur commise sur les véhicules diésels est significative : ceux-ci ont été très valorisés par les discours officiels et économiques pendant les années 2000 pour finalement être interdits progressivement aujourd’hui (entre 2024 et 2030 selon les métropoles dans le cadre des ZFE, les zones à faible émission visant toujours en premier les foyers populaires). Il est également indispensable d’intégrer pleinement les enjeux sociaux d’accès aux transports, notamment par le biais de subventions. À titre d’exemple, les foyers les plus éloignés des grands pôles économiques, parfois très précaires, devront recourir à un véhicule électrique (plutôt qu’au report modal), qui reste aujourd’hui très cher à l’achat.
  • Des politiques de temps long : les infrastructures de transport mettent au moins une décennie entre la décision de les construire et leur mise en service. Elles sont généralement prévues pour être exploitées a minima pendant une cinquantaine d’années. Un parc automobile se renouvelle, lui, en une quinzaine d’années environ, rythme lui-même freiné par la montée des prix des véhicules. Ainsi, des politiques ambitieuses de transports doivent être décidées dès aujourd’hui, au regard des réalités actuelles mais également du monde tel qu’il sera demain. Cela implique notamment d’avoir un cap à suivre consistant dans le temps, avec des actions cohérentes à court, moyen et long terme. Ainsi, toute nouvelle infrastructure à destination des modes routiers installée aujourd’hui (autoroute, aéroport) enferme tout un bassin économique et social dans des habitudes de long terme sur lesquelles il sera difficile de revenir ensuite.

Au total, réussir la sortie du tout-pétrole en matière de transport nécessite bien de se trouver dans le cadre d’une planification démocratique et écologique.

c.     L’industrie lourde et notamment la chimie sont difficiles à affranchir du pétrole

Le pétrole dans l’industrie est peu utilisé comme carburant, on lui préfère le gaz, voire dans certains cas le charbon. Le pétrole est en revanche utilisé dans le secteur de la chimie comme matière première.

Il sert notamment à la fabrication de matières plastiques (emballages, objets de grande consommation, matériaux de construction, pièces automobiles), d’engrais de synthèse (urée, sels d’ammonium) ou de médicaments. Il s’agit de produits clés de notre société, et les alternatives à l’usage du pétrole dans ces procédés sont encore balbutiantes (ex : plastiques biosourcés, à partir d’intrants organiques, plutôt que pétrosourcés).

La demande en pétrole pour la pétrochimie est en forte croissance et continuera d’augmenter dans les années à venir. À titre d’exemple, la production de matières plastique a doublé entre 2000 et 2019, de 234 à 460 mégatonnes[40], et sans volonté politique forte, la tendance n’est pas prête de s’inverser. Cette hausse de la demande causera trois principaux problèmes environnementaux :

  • L’approvisionnement en pétrole risque d’être une cause de tensions à moyen terme.
  • Si en France l’industrie pétrochimique a initié sa décarbonation, c’est loin d’être le cas ailleurs : on estime qu’à l’échelle mondiale les émissions de gaz à effet de serre dues à ce secteur vont croître de 30 % d’ici 2050[41].
  • La pétrochimie a de nombreux autres impacts environnementaux : pollution plastique, pollution azotée, etc.

Face à ces défis, une réduction de l’usage des produits de la pétrochimie doit être envisagée, grâce à deux leviers principaux[42] :

  • Par la réglementation des usages du plastique (baisser de 70 % de production de plastique jetable à horizon 2050) et le développement du recyclage (atteindre 90 % de plastique recyclé en 2050, contre 25 % aujourd’hui), qui permettront in fine de réduire la production de matières plastiques vierges.
  • Par le changement des pratiques agricoles, qui permettront de réduire de 80 % la production d’engrais azotés en 2050 en développant de manière très intense l’utilisation circulaire des nutriments, en favorisant le retour à la terre comme fertilisants des déchets agricoles.

Au-delà du secteur de la pétrochimie, les mêmes réflexions peuvent être appliquées à la production des matériaux de construction à base de pétrole, comme le bitume des routes.

d.    Pour sortir du pétrole dans le bâtiment, la priorité doit être l’arrêt du chauffage au fioul

La consommation de pétrole dans le secteur du bâtiment est essentiellement liée au chauffage au fioul. En effet, en 2023, 10,5 % de la France métropolitaine se chauffe encore au fioul, chiffre qui bondit en zone rurale et chez les personnes âgées[43]. Il convient donc de faire évoluer le système de chauffage de ces foyers, par exemple par l’installation de pompes à chaleur. Cette problématique est commune avec celle des chaudières à gaz et sera étudiée plus finement dans l’enjeu suivant.

À retenir :

Le pétrole est utilisé à 63 % dans le domaine des transports et à 10 % dans le bâtiment, en tant que carburant et comme chauffage. Il est également utilisé à 17 % par l’industrie lourde en tant que matière première (où il n’est donc pas brûlé, ce qui ne produit pas d’émissions de gaz à effet de serre, mais qui pose des problèmes de pollution des écosystèmes et de souveraineté industrielle).

La priorité est la sortie des énergies fossiles des transports, qui nécessite des politiques d’ampleur à l’échelle nationale et locale. Pour cela, les trois leviers à manier conjointement sont :
La sobriété, à la fois en termes de demande de transport mais également au niveau du taux de remplissage et du poids des véhicules. La réduction de l’usage de l’avion aura un faible impact sur les émissions de GES liées au transport en France, mais reste fortement symbolique dans une logique d’équité. Il est aussi nécessaire d’en maîtriser la demande, qui risque d’augmenter grâce à des prix attractifs.
Le report modal vers les modes vertueux (transports en commun, vélo, modes actifs) grâce à une densification de l’offre, la régénération ou la construction d’infrastructures et une tarification attractive pour favoriser le changement des comportements. Cela implique donc de réaliser de forts investissements publics, notamment pour la création de nouvelles infrastructures (ferroviaires, cyclables).
La sortie des énergies fossiles pour les modes de transports polluants résiduels. Le transport par voiture et avion représentera toujours plus de 50 % des déplacements en distance parcourue. Si elle n’est pas une solution magique, la voiture électrique aura un rôle clef à jouer pour limiter l’impact négatif de ces déplacements, et son essor doit être favorisé par l‘État (via des aides par exemple). On peut fixer un objectif de 50 % des déplacements par véhicule individuel contre 80 % aujourd’hui. C’est un objectif très ambitieux.

➔ L’action conjuguée de ces trois leviers sera nécessaire pour sortir des énergies fossiles les transports. Cette politique est, de plus, intimement liée avec celle de l’aménagement du territoire, dont elle partage la notion de temps long : ces deux enjeux sont indissociables. Un changement aussi ambitieux ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une planification écologique démocratique.

➔ Pour l’industrie lourde (pétrochimie, fabrication de bitume, etc.), l’enjeu est de maintenir l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, la demande en pétrole est en pleine explosion dans le monde, ce qui risque de causer des tensions : il est donc nécessaire de renforcer le recyclage du plastique, d’en réduire radicalement l’usage et de changer les pratiques agricoles pour s’extraire des besoins en engrais azotés.

➔ Pour le bâtiment, le principal levier est celui du remplacement du chauffage au fioul par d’autres modes de chauffage moins émissifs.

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Soutenir le financement des infrastructures ferroviaires et cyclables, à la fois pour moderniser l’existant et développer de nouveaux tracés.

➔ Taxer les véhicules de plus de 1 400 kg.

➔ Soutenir l’achat de véhicules électriques légers pour les foyers les plus dans le besoin et qui ne peuvent recourir à d’autres moyens de transport (mobilité douce, transport collectif).

➔ Développer les transports en commun et les infrastructures nécessaires aux mobilités douces.

➔ Imposer la réouverture de services publics (guichets physiques), interdire la construction de nouvelles zones commerciales périphériques, inciter au rapprochement des lieux de vie et lieux de travail.

➔ Durcir les politiques de recyclage des plastiques.

➔ Soutenir le remplacement des chauffages au fioul par des chauffages moins émissifs (ex : pompe à chaleur).  

Enjeu n° 3 : Sortir du tout-gaz et développer la chaleur renouvelable

a.     Le gaz naturel est majoritairement utilisé pour produire de la chaleur pour les bâtiments et l’industrie

Définition : Le gaz naturel (ou « gaz fossile », ou tout simplement « gaz ») est une énergie fossile (comme le pétrole) provenant de gisements souterrains. Composé d’un mélange d’hydrocarbures gazeux (pour l’essentiel de méthane : 1 atome de carbone et 4 atomes d’hydrogène), le gaz naturel provient de la transformation naturelle de matières organiques.

En 2023, la France a importé 532 TWh de gaz naturel, dont le transport et la combustion sont responsables d’environ 20 % des émissions territoriales françaises. C’est principalement sa combustion qui pèse dans les émissions de gaz à effet de serre. Le gaz naturel est utilisé majoritairement dans 3 secteurs :

  • les bâtiments résidentiels et tertiaires (50 % des usages), très majoritairement pour la production de chauffage et d’eau chaude et minoritairement pour la cuisson.
  • l’industrie (27 %) où il est utilisé d’une part pour des besoins de chaleur et d’autre part comme matière première, notamment dans les domaines de la pétrochimie et du raffinage. Il entre notamment dans la fabrication d’engrais agricoles et d’hydrogène.
  • la production d’énergie (17 %) dont les deux tiers dans des centrales à gaz pour produire de l’électricité et le reste pour produire de la chaleur (réseaux de chaleur)[44].

Figure 19 – Consommation totale de gaz naturel (hors pertes) par secteur de 1990 à 2023 en TWh PCS

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Note de lecture : Ce graphique montre combien chaque secteur économique consomme de gaz naturel en TWH PCS (en suivant l’axe vertical de gauche). Le PCS, ou pouvoir calorifique inférieur, est la quantité de chaleur libérée au moment de la combustion. Par exemple, en 2012, la consommation française de gaz naturel était d’environ 500 TWh PCS, dont plus de 100 pour l’industrie (en rouge), et plus de 50 TWh PCS pour la production d’électricité et de chaleur (en jaune).

Source : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2024, Chiffres clés de l’énergie édition 2024 – Avant-propos, URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2024/pdf/Chiffres-cles-energie-2024.pdf

Ainsi, le gaz est principalement utilisé pour des besoins de chaleur. Ces besoins de chaleur sont pour 75 % d’entre eux à basse température, 15 % à moyenne température et 10 % à haute température. À chaque type de besoin correspondent des pistes de décarbonation différentes. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de réduire d’environ 100 TWh la consommation de gaz fossile en 2028 par rapport à 2021. Il est à l’heure actuelle difficile d’estimer si nous nous trouvons sur la bonne trajectoire.

Diminuer structurellement la consommation de gaz nécessite de mobiliser les trois leviers :

  • La sobriété, c’est-à-dire la diminution des usages nécessitant une consommation de gaz (baisse de la température de chauffe, transformation des pratiques agricoles) ;
  • L’efficacité des usages indispensables, afin de répondre aux mêmes besoins tout en diminuant la consommation d’énergie (isolation des logements, amélioration des procédés industriels) ;
  • L’électrification et le déploiement d’énergies renouvelables (notamment le biogaz)pour sortir du carbone les consommations résiduelles.

Pour ce qui concerne les usages du gaz à des fins de production électrique, leur diminution nécessite de finir la sortie des énergies fossiles du mix électrique, dont il sera question dans le cadre de l’enjeu n° 4, spécifique au mix électrique.

Le gaz naturel pour véhicules (GNV), une fausse bonne idée ?

Le gaz naturel pour véhicules était encore considéré il y a quelques années comme une « énergie de transition » pour les véhicules en attendant la maturité de technologies bas carbone comme les véhicules électriques. Aujourd’hui, l’utilisation de gaz pour les véhicules semble de moins en moins pertinente pour la sortie des énergies fossiles des transports. En effet, le récent et rapide développement du véhicule électrique, tant au niveau des véhicules légers que des véhicules lourds, rend les gains du GNV en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques inintéressants. En comparant ces gains avec ceux permis par les véhicules électriques, ils sont entre -20 % et -30 % inférieurs pour un véhicule GNV par rapport à un équivalent diesel sur l’ensemble du cycle de vie contre environ -70 % et -80 % inférieurs pour un véhicule électrique, en fonction du type de véhicule[45]. D’ailleurs, au vu des récents progrès technologiques du véhicule électrique et des nouvelles règles européennes (paquet « Fit for 55 »), les principaux constructeurs européens de poids lourds ont arrêté ou fortement ralenti leur construction de véhicules roulant au GNV (IDDRI, 2023).   Le biogaz, dont le bilan carbone est plus avantageux – même s’il reste loin de celui des véhicules électriques – pourrait éventuellement faire rouler quelques catégories de véhicules, en particuliers certains véhicules lourds pour lesquels l’électrification sera difficile. Il restera néanmoins une ressource rare et convoitée par de nombreux secteurs (dont l’industrie, cf. ci-dessous), et son utilisation ne pourra donc être que limitée.

b.    En plus d’actions de sobriété et d’isolation des bâtiments, la résorption du retard dans le développement des énergies renouvelables et de récupération* thermique constitue le levier majeur de sortie du gaz pour le résidentiel et le tertiaire

Pour le secteur résidentiel et tertiaire, le déploiement de sources thermiques et de gaz de réseau renouvelables doit s’accompagner de mesures structurelles de sobriété sur les usages de chauffage (baisse de la température, mutualisation d’espaces) et d’eau chaude sanitaire. Ces mesures doivent être couplées avec des mesures d’efficacité énergétique pour diminuer les consommations à besoin constant (isolation thermique des bâtiments, remplacement des chaudières, amélioration des procédés).

Figure 20 – Comparaison du total de consommation de sources de chaleur renouvelables en France en 2020 et en 2028 (scénario ADEME selon la programmation pluriannuelle de l’énergie)

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Note de lecture : Sur ce graphique, on peut voir quelles sources de chaleur renouvelable sont utilisées en 2020 par type de chaleur et au total, et celles qui devraient l’être en 2028 selon la dernière PPE. On voit que la consommation de chaleur renouvelable doit augmenter de 65 % d’ici 2028. Par exemple, les pompes à chaleur (PAC) géothermiques devront passer de 34 TWh à 45 TWh.

Source : « Transport routier : quelles motorisations alternatives pour le climat ? », Carbone4, 11/2020, URL : https://www.carbone4.com/files/wp-content/uploads/2020/12/Transport-Routier-Motorisations-Alternatives-Publication-Carbone-4.pdf

Pour ce qui concerne les besoins en basse-température (typiquement, le chauffage des bâtiments), les énergies renouvelables thermiques permettent de produire de la chaleur via plusieurs technologies permettant de se passer de gaz :

  • Les pompes à chaleur (PAC) géothermiques et aérothermiques puisent leur énergie dans le milieu extérieur (sol ou air) pour le restituer au milieu intérieur, et fonctionnent à l’électricité. Leur bilan carbone dépend donc du mix électrique utilisé. L’ensemble des scénarios table sur une très forte augmentation de leur utilisation, pour finalement chauffer par exemple entre 60 % et 80 % des bureaux tertiaires dans les quatre scénarios de l’ADEME. Les PAC se développent très rapidement depuis quelques années (+31 % de logements équipés de PAC air/eau entre 2021 et 2022), selon une trajectoire compatible avec les objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (cf. figure).
  • Les panneaux solaires thermiques, dont la croissance est actuellement loin des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
  • La géothermie de surface et en profondeur, qui se sert de la chaleur du sol, et dont la croissance devrait presque tripler pour atteindre les objectifs 2028 de la PPE (cf. figure).
  • La biomasse, c’est-à-dire principalement l’utilisation de bois, dont le taux de croissance 2018-2020 doit doubler pour atteindre l’objectif 2028 de la PPE. Ce vecteur sera fortement limité par la disponibilité de la ressource en biomasse, d’autant plus que d’autres secteurs comptent sur la biomasse pour se décarboner. L’usage du chauffage au bois pose par ailleurs de graves problèmes sanitaires, le chauffage au bois étant le premier émetteur de particules fines en France (CITEPA – rapport SECTEN 2022), polluant de l’air responsable de 40 000 décès prématurés chaque année. Si le remplacement des vieux moyens de chauffage au bois par des moyens de chauffage au bois plus récents permet la réduction de ces émissions, même un poêle à bois récent et efficace reste plus émetteur de particules fines qu’un vieux chauffage au fioul. Son développement doit donc être très soigneusement maîtrisé, particulièrement en zones urbaines et périurbaines. En effet, le chauffage au bois est beaucoup moins dangereux pour la santé lorsqu’il passe par des réseaux de chaleur urbain. Les objectifs de développement de la PPE devront probablement être revus à la baisse, mais la biomasse et le bois joueront quoi qu’il arrive un rôle important dans le mix énergétique de demain (voir enjeu n° 5).

Une part non négligeable des besoins en chaleur continuera à être fournie via le gaz, notamment en milieu urbain, lorsque le raccordement à un réseau de chaleur* n’est pas possible (petits immeubles, chaudières individuelles). Environ un tiers des consommations de gaz actuelles[46] (120-140 TWh), ne pourront être remplacées par d’autres vecteurs, et devront être remplacées par du gaz de réseau renouvelable. La production de gaz renouvelable pourra s’effectuer principalement via la méthanisation*, qui consiste à produire un mélange de gaz appelé biogaz par digestion anaérobie (en absence d’air) de matières organiques fermentescibles à partir de sources de biomasse : effluents d’élevage, résidus de cultures, boues de stations d’épuration des eaux usées, déchets des industries agroalimentaires… Aujourd’hui, la production de biométhane injectée reste encore faible avec une capacité de production installée de 7,6 TWh par an au 30 juin 2022, mais connaît un développement dynamique avec une filière qui dépassera l’objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie pour l’année 2023 (6 TWh par an). Cependant, comme le soulignent les scénarios de l’ADEME, les capacités de production de biométhane seront limitées et d’autres filières en auront besoin, à commencer par de nombreuses filières industrielles (voir partie suivante). Cette solution ne pourra donc pas être utilisée pour remplacer l’ensemble du gaz de réseau utilisé actuellement dans les bâtiments. Il y a beaucoup de conditions à mettre à la production de biogaz comme le méthane, sur la sécurité des installations, la conversion dangereuse de modèles d’agricultures vivrière à une agriculture énergétique, ou la taille des méthaniseurs. Nous détaillons toutes ces objections dans l’enjeu n° 5.

Actuellement, 23 % de la chaleur en France (dont la chaleur produite par le gaz) est produite à partir d’énergies renouvelables. L’atteinte de l’objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie de 38 % de consommation d’énergie finale en 2030 semble pour l’instant fortement compromise. Les rythmes de progression actuels de chacune des filières renouvelables, hormis les PAC aérothermiques, sont largement insuffisants (cf. figure 20). Pourtant, les filières renouvelables semblent en mesure de répondre à la grande majorité des besoins en basse température. De plus, les systèmes renouvelables permettent de diminuer les émissions de 75 % à 95 % par rapport à leurs équivalents fossiles. Enfin, ces solutions renouvelables deviennent économiquement compétitives, comme le montre l’analyse de l’ADEME dans son rapport sur les « coûts des énergies renouvelables et de récupération ».

c.     Dans l’industrie : l’électrification, l’hydrogène et la biomasse, des solutions à la hiérarchie incertaine pour répondre aux besoins couverts aujourd’hui par le gaz naturel

Pour l’industrie, les pistes de sortie du gaz dépendent fortement du secteur considéré. Cependant, la typologie des leviers à activer et leur priorisation sont communes à l’ensemble des secteurs industriels :

D’abord, une baisse de la demande via l’efficacité et la sobriété :

  • Baisse des besoins : comme rappelé dans l’enjeu n° 1, les actions de sobriété, à l’échelle individuelle mais surtout à l’échelle collective (organiser la société de manière à diminuer ses besoins énergétiques, par exemple via l’allongement de la durée de vie des produits), seront indispensables pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques, et a fortiori pour diminuer la consommation de gaz.
  • Efficacité énergétique : de nombreux secteurs ont aujourd’hui des procédés proches des limites physiques d’efficacité énergétique ; néanmoins, des efforts devront être faits partout où cela est encore possible.
  • Recyclage : certains secteurs, comme la métallurgie, peuvent se réorienter massivement vers la production de matériaux recyclés, à condition que soient mises en place les conditions de déploiement de la filière (collecte des matériaux, infrastructures…).

Ensuite, la substitution technologique :

  • Innovation dans les procédés : certains secteurs industriels pourraient bénéficier d’innovations de procédés dans les prochaines années. Par exemple, l’acier, produit aujourd’hui majoritairement à partir de minerai de fer et de charbon dans des hauts-fourneaux et également grand consommateur de gaz, pourrait être fabriqué à partir d’hydrogène et via les fours électriques (pour le recyclage de ferrailles), au prix d’investissements importants mais aussi en comptant des pertes potentielles en qualité pour certains usages spécifiques.
  • Production de chaleur sans carbone : une fois les logiques de sobriété, d’efficacité et de recyclage mises en place, l’électricité pourra dans certains cas remplacer le gaz utilisé pour produire de la chaleur. Là où le réseau électrique ne sera pas en mesure de produire des quantités d’énergie suffisantes à l’instant t, le gaz pourra parfois être remplacé par du biogaz ou de l’hydrogène, ou par la combustion de biomasse. Cependant, ces ressources seront limitées et ne pourront être utilisées dans tous les secteurs.
  • Relocalisation : pour contrôler la production et ses transformations indispensables à la sortie du carbone du secteur, ainsi que pour garantir l’utilisation d’électricité au maximum sans carbone, la relocalisation des activités permettra d’agir fortement sur l’empreinte carbone française (voir enjeu n° 6).
  • Capture et stockage de carbone : enfin, là où le gaz ne pourra pas être supprimé, et en tout dernier recours, les technologies de capture et stockage de carbone pourront éventuellement permettre d’éviter les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, ces technologies ne sont pas encore matures techniquement, et leurs perspectives de déploiement sont limitées, il serait donc très risqué de compter fortement sur elles pour la sortie des énergies fossiles dans l’industrie. D’autant plus que la recherche, pour l’instant balbutiante, sur ces technologies est instrumentalisée à des fins de propagande pour défendre l’inaction climatique.

Une fois ces leviers et leur hiérarchisation fixés, il est important de réfléchir secteur par secteur aux solutions les plus adaptées. Pour certains secteurs, il peut d’ailleurs même être pertinent de raisonner au niveau du site, parce que les procédés et les environnements, et donc les solutions adaptées de sortie des énergies fossiles, peuvent être très différents d’un site à l’autre. Cela est d’autant plus vrai si ces sites industriels sont dénombrables et identifiables (21 sucreries dans l’Hexagone, 27 sites de production de clinker, 2 sites de production d’aluminium primaire…).

Figure 21 – Principaux sites industriels émetteurs de CO2 en 2019

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Source : Cartographie Opendata à partir du Registre des émissions polluantes.

Voici quelques exemples de leviers adaptés pour certains secteurs :

  • l’industrie du sucre devra pousser son efficacité énergétique et l’utilisation de biomasse au maximum pour réduire voire remplacer l’utilisation de gaz[47] ;
  • la production d’engrais azotés sans carbone devra s’appuyer en grande partie sur l’hydrogène pour fabriquer de l’ammoniac à partir d’H2 propre ;
  • la sidérurgie devra coupler la production de fer sous forme de DRI* à partir d’hydrogène propre, et remplacer les hauts-fourneaux par des fours électriques (à condition de disposer de production d’électricité renouvelable)
  • la production d’aluminium mise sur des ruptures technologiques fortes pour sa production sans carbone, ainsi que par le remplacement du gaz par du biogaz ou de l’hydrogène et l’électrification de sa production.

Quel rôle pour l’hydrogène dans la transition énergétique ?  

Le terme hydrogène désigne abusivement la molécule de dihydrogène H2, qui est un vecteur énergétique (comme l’électricité), c’est-à-dire qu’on ne le trouve essentiellement pas dans la nature, mais qu’on le produit à partir de sources d’énergie primaires. Aujourd’hui, l’humanité utilise 2,5 % de l’énergie fossile (6 % du gaz et 2 % du charbon) pour produire de l’hydrogène fossile, dit « gris », dont la production est fortement émettrice de CO₂. Aujourd’hui, cet hydrogène sale est produit au sein de l’industrie pétro-chimique. C’est un gaz industriel principalement utilisé (40 %) dans le raffinage de pétrole, et en second lieu (35 %) pour la synthèse d’ammoniac (NH3), précurseur chimique de tous les engrais azotés et de quelques autres molécules (explosifs par exemple).

Des changements majeurs guettent la production et les usages de l’hydrogène, qui pourrait être amené à jouer un rôle important dans la transition énergétique, en complément de l’électrification directe. Par exemple, dans le scénario Net Zero 2050 de l’Agence internationale de l’énergie[48], l’hydrogène couvrirait 10 % des usages énergétiques finaux mondiaux et sa production mobiliserait environ 15 % de l’énergie primaire.

Pour produire de l’hydrogène propre, la principale méthode maîtrisée depuis le XIXe siècle est l’électrolyse, qui, en injectant de l’électricité, casse les molécules d’eau H2O en hydrogène H2 et oxygène O2. Si l’électricité est basse en carbone, l’hydrogène le sera aussi, seulement un peu moins. Cette technologie de production d’hydrogène dit « vert » (quand l’électricité est renouvelable) a dominé la production d’engrais des années 1920 aux années 1960 environ, à partir d’hydroélectricité jusqu’à l’arrivée massive du gaz. Ces dernières années, la production industrielle d’hydrogène vert est à nouveau devenue envisageable économiquement grâce aux spectaculaires baisses de coûts de l’électricité solaire et éolienne et à leurs grands potentiels. Il pourrait donc ne pas coûter beaucoup plus cher à produire que l’hydrogène fossile.

L’autre méthode pour produire de l’hydrogène propre consiste à équiper les technologies actuelles fossiles de capture et séquestration du CO₂ (CCS). Cette piste est controversée et bénéficie d’un soutien logique de la part des industriels gaziers, mais les ONG environnementales dénoncent des technologies immatures, dont les modalités logistiques et de gouvernance sont incertaines, voire problématiques. Elles critiquent cette technologie notamment pour sa tendance à inciter au contournement du problème de réduction des émissions et les risques de pollutions inhérents au stockage du carbone. Dans les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie, l’hydrogène dit « bleu », à base de fossiles avec capture et séquestration du CO₂ (CCS), représenterait environ un tiers de la production en 2050.

La deuxième évolution expliquant le récent regain d’intérêt de l’hydrogène, voire le boom (ou la bulle), concerne ses utilisations. Plusieurs usages énergétiques aujourd’hui couverts par des fossiles sont difficiles voire impossibles à électrifier, et nécessitent donc des combustibles sans carbone. C’est le cas dans le transport lourd (aviation, maritime, camions) et l’industrie (sidérurgie, industrie chimique), mais aussi pour l’équilibrage des réseaux électriques de plus en plus pénétrés de sources renouvelables variables, qui nécessitent le déploiement de centrales pilotables.

Dans le transport, l’hydrogène est une solution technologique majeure pour la décarbonation de l’aviation, surtout longue distance. Cependant, à cause du besoin de haute densité énergétique que l’hydrogène n’a pas, il pourrait être plutôt utilisé sous forme de kérosène de synthèse qui serait obtenu par combinaison avec du CO₂. Notons que pour remplacer la consommation de kérosène actuelle par du e-kérosène à base de H2 renouvelable, il faudrait utiliser un tiers de la production électrique globale actuelle… Ainsi, l’hydrogène ne nous dispense pas d’une forte baisse du transport aérien. Pour le transport maritime lourd, c’est sous forme d’ammoniac bas carbone qu’il représenterait la solution la plus avantageuse, pouvant être brûlé dans des moteurs thermiques adaptés. Dans le transport routier, l’hydrogène permet une autonomie plus grande que l’électrification par batteries, il pourrait donc équiper quelques flottes de camions lourds, comme cela commence à être fait en Suisse par exemple. Cependant, la compétition avec les véhicules électriques à batteries est difficile à cause d’une efficacité environ 2,5 plus faible : la quantité d’énergie nécessaire pour alimenter un véhicule sur la même distance est 2,5 fois plus élevée que dans une voiture électrique. C’est pourquoi l’hydrogène n’est pas a priori une solution pertinente pour la mobilité légère (notamment voitures) pour lesquelles les batteries nécessaires sont petites et abordables.

Dans l’industrie, l’hydrogène sans carbone est bien positionné pour remplacer une partie du charbon dans la sidérurgie (qui émet 10 % du CO₂ global), notamment dans la production d’acier primaire. Des procédés alternatifs utilisant l’électricité sont aussi en cours d’exploration, comme l’électrolyse directe du minerai. L’hydrogène vert est aussi appelé naturellement à remplacer l’hydrogène gris pour la production d’ammoniac, ce qui concerne quelques usines d’engrais en France. Pour le raffinage du pétrole, plusieurs des plus gros projets d’hydrogène vert de France y sont aujourd’hui dédiés (H2V Normandie, Dunkerque). Mais pour les engrais comme pour le raffinage de pétrole, le développement de l’agri-écologie et la sortie du pétrole rendent le déploiement de l’hydrogène vert dans ces secteurs moins prioritaires.

Concernant les réseaux en France, l’hydrogène pourrait jouer à moyen-long terme un rôle d’équilibrage électrique, mais peu dans les réseaux de gaz pour le chauffage, du fait du rendement bien supérieur (facteur 3 à 5) obtenu par l’électrification (pompes à chaleur) et les alternatives bois et biogaz.

De manière générale, l’hydrogène est un gaz cher, pour l’instant disponible uniquement sur des sites industriels. Il est difficile et coûteux à transporter, stocker et utiliser du fait de sa très faible densité (c’est la molécule la plus légère à égalité avec l’hélium), et les chaînes de valeur utilisant l’hydrogène impliquent en général des pertes importantes, causant des consommations massives d’électricité en amont. Pour ces raisons, il ne faut pas idéaliser les solutions hydrogène et prévoir d’y recourir avec parcimonie et judicieusement, là où cela est approprié, et inévitable.

Au stade actuel, le soutien politique à la filière est globalement pertinent mais il faut se méfier des effets de bulle et de l’absence de vision d’ensemble. Une meilleure hiérarchisation et mise en cohérence des objectifs est nécessaire.

À retenir :

La France importe chaque année 500 TWh de gaz qui servent principalement dans le résidentiel et le tertiaire (50 %), l’industrie (27 %) et la production d’énergie (17 %).

➔ Diminuer structurellement la consommation de gaz nécessite de mobiliser les trois leviers : sobriété, efficacité des usages indispensables (isolation, amélioration des procédés industriels) et électrification et déploiement d’énergies renouvelables (notamment le biogaz) pour sortir du carbone les consommations résiduelles.

➔ La résorption du retard dans le développement des énergies renouvelables et de récupération thermiques constitue un levier majeur de sortie du gaz pour le résidentiel et le tertiaire.

➔ Pour l’industrie : l’électrification, le biogaz, l’hydrogène et la biomasse sont des solutions pertinentes pour répondre aux besoins de décarbonation des usages du gaz dans l’industrie, mais aux disponibilités limitées.

➔ Le recours à l’hydrogène vert peut s’avérer pertinent pour certains usages précis (production d’acier, transport maritime lourd et fret routier) mais il reste un gaz cher et difficile à transporter. Il ne constitue dès lors pas une solution miracle pour de nombreux usages.

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Doter le fonds chaleur à la hauteur des enjeux en matière de chaleur renouvelable.

➔ Augmenter le niveau d’aide à l’installation du solaire thermique et des pompes à chaleur, la rendre progressive.

➔ Diminuer le recours aux engrais et développer l’agro-écologie.

➔ Planifier le déploiement de la chaleur renouvelable et de l’hydrogène et planifier l’exploitation de la ressource géothermale partout où c’est possible.

➔ Financer la rénovation thermique des bâtiments.  

Enjeu n° 4 : Sélectionner le mix électrique capable de répondre aux besoins identifiés

La question du mix électrique est un pan non négligeable de la politique énergétique française. Pour rappel, 25 % des usages énergétiques sur le territoire français sont alimentés par l’électricité. Ce secteur comporte des spécificités techniques, notamment autour de l’équilibre du réseau électrique, et donc des enjeux uniques.

La question du choix du mix électrique optimal[49] est source de nombreuses controverses. Faut-il prolonger le parc nucléaire existant ? Le programme de nouveau nucléaire est-il pertinent et réalisable ? Quels types de filières renouvelables faut-il privilégier : quelle part de photovoltaïque au sol ou sur toiture, d’éolien terrestre ou en mer, quelle part pour la biomasse, etc. ? Quelles sont les conditions de possibilité d’un mix 100 % énergies renouvelables ? L’objectif de cette partie n’est pas de trancher entre les scénarios existants et élaborés notamment par RTE, l’ADEME ou négaWatt car pour cela, une réflexion démocratique nous paraît nécessaire. Il s’agit pour nous d’éclairer ce choix.

Dans cette partie, nous tenterons de donner à voir les grands invariants des scénarios d’évolution du mix électrique et nous tenterons de mettre en évidence les enjeux importants du secteur. Nous essaierons de fixer les limites de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas, au regard des derniers travaux scientifiques en date[50]. Le principal enjeu que nous explorons ici est l’effet ciseaux entre d’une part la hausse de la demande d’électricité et d’autre part l’incertitude sur les moyens de production dans les années à venir.

a.     L’électrification des usages, notamment le transport et l’industrie, conduit à une hausse du besoin en électricité

Il existe peu de scénarios réalistes dans lesquels les besoins en électricité n’augmentent pas. Dans les scénarios étudiés ici, le scénario S2 de l’ADEME prévoit une augmentation de 460 à 500-550 TWh en 2050 par rapport à 2022[51] (soit entre 9 et 19 % d’augmentation). Le dernier scénario de RTE basé sur le paquet « Fit for 55 » prévoit quant à lui entre 25 % et 40 % de consommation supplémentaire en 2030 par rapport à 2022, en comptant une réindustrialisation lourde. Les précédents scénarios RTE « Futurs énergétiques 2050 » prévoyaient, eux, un minimum de 7 % d’augmentation en 2035 par rapport à 2022.

Cette hausse des besoins s’explique par une électrification venant remplacer des usages d’énergies fossiles (chauffage, transport, industrie…), qui est un levier central du respect des objectifs climatiques.

Figure 22 – Évolution de la consommation totale d’électricité dans la trajectoire de référence et décomposition actuelle

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Source : Futurs énergétiques, RTE, 2022

Par exemple, comme le montre le graphique ci-dessus, malgré une baisse de la consommation dans le secteur résidentiel et tertiaire (zone bleue et verte), la décarbonation des transports et de l’industrie engendrera une hausse de la consommation électrique (zones rose foncé et orange clair). Une sobriété accrue sur les consommations électriques actuelles, notamment domestiques, a peu de chance d’être suffisamment importante pour compenser l’électrification dans les autres secteurs.

b.    L’indispensable déploiement massif des énergies renouvelables pour faire face à la hausse des besoins et à la fin de vie des centrales nucléaires

En 2023, la production d’électricité en France (494 TWh) a été alimentée principalement par l’industrie nucléaire (65 %), par les barrages hydrauliques (12 %), par l’éolien terrestre et en mer (10 %) et par les centrales à gaz (6 %). Les énergies renouvelables représentaient en 2022 au total 27 % du mix électrique, dont 14,8 % d’éolien et de solaire.

Figure 23 – Production d’électricité en France en 2023 par filière de production

Capture decran 2025 04 28 184702

Note de lecture : En 2023, la production d’électricité en France est de 494,7 TWh, dont 320,4 produits par la filière nucléaire, 141,6 TWH des filières renouvelables, et 32,5 TWH des filières fossiles.

Source : « Bilan électrique 2023 », RTE, 09/2024, URL https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-05/Bilan-electrique-2023-synthese-mai-2024.pdf

Or, quels que soient les scénarios, la production renouvelable doit au moins doubler d’ici 2035 et être multipliée par un facteur compris entre 5 et 10 d’ici 2050. En effet, à l’horizon 2035, à l’exception de Flamanville, aucun nouveau réacteur nucléaire ne sera mis sur le réseau. En raison des incertitudes et des délais de construction très importants sur la filière nucléaire, les énergies renouvelables seront donc les seules capables de pouvoir répondre à la hausse de la demande ou à d’autres fermetures de moyens de production sur cet intervalle de temps.

Par ailleurs, à l’horizon 2050, même en prolongeant les réacteurs mis en service entre 1977 et 1987, une grande partie du parc sera mise à l’arrêt dans tous les cas. Ceci implique qu’en plus de permettre une hausse de la consommation électrique, les énergies renouvelables devront pallier la mise à l’arrêt quasi consécutive d’une grande partie du parc nucléaire historique. Le graphique ci-dessous, issu d’un rapport de la Cour des comptes[52] montre que la puissance nucléaire sera nécessairement en forte chute à horizon 2050, quel que soit le scénario.

Figure 24 – Évolution de la puissance des réacteurs de deuxième génération (hors EPR) selon différents scénarios de fermeture des réacteurs (MW)

Capture decran 2025 04 28 184747

Note de lecture : En fonction des scénarios de prolongement de leur vie, les arrêts des réacteurs de deuxième génération, actuellement seuls en service, arrivent à des délais différents, mais toujours dans un laps de temps réduit. Par exemple, selon le scénario VD6 de la Cour des comptes, la puissance produite par les réacteurs de deuxième génération est divisée par 12 entre 2024 et 2060.

Source : « Les choix de production électrique : anticiper et maîtriser les risques technologiques, techniques et financiers », Cour des comptes, 11/2021, URL : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/57738

Ainsi, quel que soit le scénario retenu pour la composition du mix électrique, il sera nécessaire de déployer massivement des capacités de production d’énergies renouvelables : photovoltaïque, éolien terrestre, éolien en mer.

C’est pourquoi les différents scénarios de mix électrique à horizon 2050 montrent tous l’ampleur que prendra le parc renouvelable à cet horizon, notamment les scénarios comme le scénario 2 de l’ADEME ou le M0 de RTE (variante sobriété) présentant des niveaux de consommation électrique comparables :

Scénarios/Moyens de productionfin 2022S2 ADEMEM0 RTE (variante sobriété)
Photovoltaïque (GW)15,792178
Éolien terrestre (GW)20,76368
Éolien en mer (GW)0,52452
Hydraulique (GW)25,92522
Nucléaire (GW)61,4120
Thermique fossile (GW)17,700

La principale différence entre ces deux scénarios tient au maintien d’une part de nucléaire « historique » dans le scénario S2 de l’ADEME.

Les programmes de rupture, comme L’Avenir en Commun par exemple, visent une sortie à moyen terme du nucléaire, du fait des risques associés aux installations nucléaires, aux conditions de travail de plus en plus dégradées en leur sein, du coût des installations, de la complexité de la gestion des déchets à vie longue, et des conditions d’extraction dans des pays du Sud global. Cette note choisit d’explorer ci-dessous les possibilités et les conditions d’un scénario 100 % renouvelable.

c.     Le scénario 100 % renouvelable implique des rythmes de déploiement extrêmement importants

Les rythmes de déploiement moyens en énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien terrestre ou en mer) attendus dans les prochaines années pour parvenir aux objectifs fixés dans ces deux scénarios sont très ambitieux. Ainsi, pour le photovoltaïque, dans le cas du scénario 100 % renouvelable, le rythme d’installation moyen annuel devrait être semblable au rythme maximum observé en Allemagne et en Italie au cours des 15 dernières années, ce qui surpasse largement la vitesse de déploiement observée aujourd’hui en France. D’ici 2030, pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie, la filière électrique[53] estime que 34 000 emplois devront être créés dans la production et l’installation de renouvelables, et 9 000 pour le renforcement du réseau électrique.

Par ailleurs, même les scénarios incluant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires parient sur l’accélération du déploiement de photovoltaïque et d’éolien offshore. Or, ces trois sources d’énergie (photovoltaïque, éolien terrestre et offshore) concentrent la majeure partie du potentiel renouvelable. Dans les scénarios de l’ADEME, ils devront représenter entre 38 % et 88 % du mix électrique à l’horizon 2050, contre environ 11 % aujourd’hui. Les autres énergies renouvelables comme l’hydraulique, faute de potentiel existant, seront stables en part dans le mix et les énergies marines ou la biomasse ont pour l’instant un potentiel de développement limité[54] faute de gisement ou à cause de concurrences d’usages.

Figure 25 – Rythmes de déploiement moyen projeté sur 2020-2050 en photovoltaïque (à gauche) et éolien en mer (à droite) pour atteindre différents scénarios de mix électrique

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Note de lecture : Chaque barre représente un des 6 scénarios de RTE sur la puissance installée par an en GW pour le photovoltaïque et l’éolien offshore. Ces rythmes d’installation permettent d’atteindre des objectifs différents selon les scénarios. Par exemple, pour le scénario M23, il faut que l’éolien offshore augmente de 2 gigawatts par an d’ici 2050 pour atteindre les objectifs de ce scénario. Quel que soit le scénario, les rythmes d’installation nécessaires sont supérieurs aux rythmes observés jusqu’à présent en France.

Source : « Futurs énergétiques 2050 », RTE, 02/2022, URL :https://rte-futursenergetiques2050.com/

Ainsi, quel que soit le scénario, réussir la transition du mix électrique implique l’augmentation drastique du rythme de déploiement des énergies électriques renouvelables (photovoltaïque, éolien terrestre et offshore) qui répondront à l’essentiel de la croissance de la consommation électrique.

Le gisement des énergies marines renouvelables

Un domaine particulièrement prometteur pour le développement des énergies renouvelables sur le territoire français est celui des énergies marines. En effet, la France possède le deuxième domaine maritime du monde et de grandes façades maritimes dans la mer du Nord, la Manche, l’océan Atlantique et la Méditerranée en ce qui concerne l’Hexagone et les océans Atlantique, Pacifique et Indien pour les territoires dits ultra-marins. Onze projets de parcs éoliens (posés) en mer sont en construction ou en projet en France. La complétion de l’ensemble des projets de parc à vocation commerciale devrait doter la France d’une capacité installée de production de 5,2 GW en 2028 pour un total de 447 éoliennes en mer. C’est peu par rapport aux objectifs que nous pourrions nous fixer.

Le scénario négaWatt 2022 prévoyait 800 éoliennes installées en mer d’ici 2030, dont 50 éoliennes flottantes. France énergie éoliennes proposait un objectif de 10 GW installés d’ici 2030, soit le double de l’objectif actuel et un objectif de 50 GW à l’horizon 2050. Ici, nous parlons uniquement de l’éolien en mer. D’autres technologies sont prometteuses mais en développement comme l’utilisation de l’énergie houlomotrice (l’énergie de la houle), marémotrice (l’énergie des marées) ou la conversion de l’énergie thermique des océans. La France dispose pour ces techniques de dispositifs expérimentaux comme l’usine marémotrice EDF de La Rance ou la digue houlomotrice installée par l’Ifremer dans le Finistère. À noter également que l’hôpital de Papeete utilise le système SWAC pour climatiser, qui utilise l’eau profonde de l’océan à proximité.

d.    Le déploiement massif des renouvelables nécessite des solutions nouvelles de flexibilité

Le système électrique est un système particulier dans le système énergétique : la production doit à tout instant répondre exactement à la consommation, et ce sur l’ensemble du réseau électrique européen interconnecté. Ainsi, en théorie, le démarrage d’un appareil électrique quelque part sur le réseau électrique européen nécessite l’intensification de la production d’électricité autre part sur ce même réseau, au même moment. L’enjeu de l’électricité n’est donc pas uniquement un enjeu de production de volume d’électricité, mais un enjeu de débit de production, notamment aux heures de haute consommation (dites « pointes »). Par exemple, si la France consomme (en volume) en moyenne 480 TWh d’électricité par an avant la crise du Covid-19, et 450 TWh en 2022, la consommation (en débit) varie surtout :

  • selon la saison : en janvier 2022, la puissance maximum appelée par les consommateurs français était proche de 75 GW, pour moins de 45 GW en août 2022 (valeur moyenne hebdomadaire sur les jours ouvrés[55]), soit 40 % de moins en été qu’en hiver ;
  • selon l’heure : 49 GW le 6 janvier 2024 à 5 heures, contre 62 GW le même jour à 19 heures[56].

Cet enjeu devient une difficulté aujourd’hui avec la suppression de moyens de production électrique pilotables utilisant de l’énergie fossile (gaz, charbon), utilisés jusqu’à présent pour soutenir la production pendant les heures de forte consommation. La variabilité des énergies électriques renouvelables est également un défi pour l’équilibre du réseau. En effet, la production renouvelable éolienne et solaire présente plusieurs caractéristiques :

  • elle varie dans le temps en fonction des conditions météorologiques telles que la présence de soleil, de vent, la couverture nuageuse (ou « nébulosité ») et la température (le rendement des panneaux photovoltaïques diminue par exemple lorsque la température augmente) ;
  • elle est incertaine en raison de l’imprévisibilité des conditions météorologiques, ce qui crée un écart entre les prévisions de rendement et la production réelle ;
  • elle dépend du lieu de production.

Pour pallier ces propriétés, et notamment la variabilité, la première solution est de compléter le parc électrique renouvelable avec des capacités pilotables, nécessairement sans carbone pour respecter nos engagements climatiques. Les principales solutions technologiques existantes sont aujourd’hui :

  • le nucléaire, notamment les EPR, capables d’adapter leur production en temps réel pour s’adapter aux fluctuations de la consommation, mais dans une perspective claire de décroissance et de sortie pour toutes les raisons évoquées plus haut ;
  • les barrages hydrauliques, dont les capacités de développement sont cependant limitées en France par le manque de disponibilité géographique ;
  • les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), barrages hydrauliques particuliers qui pompent l’eau en amont dans des retenues d’eau lorsque l’électricité est abondante, puis l’utilisent pour faire tourner des turbines lors des pointes. Les gisements géographiques sont plus nombreux que pour les barrages historiques ;
  • les centrales thermiques sans carbone (notamment à l’hydrogène, au méthane ou à l’ammoniaque) présentent l’intérêt d’être très flexibles et donc rapidement mobilisables sur le réseau. Mais leur rendement sur toute la chaîne de conversion est faible, c’est-à-dire que la production d’hydrogène par électrolyse, ou d’ammoniac, occasionne beaucoup de pertes. Par ailleurs, ce moyen de flexibilité repose sur des paris industriels importants, notamment concernant la requalification du réseau de gaz actuel en réseau capable de transporter l’hydrogène sans fuites, et concernant la difficulté en Europe de l’Ouest de disposer de suffisamment de cavités salines* pour stocker ce gaz.
  • la biomasse, mais dont l’intérêt pour la production électrique est réduit à cause des conflits d’usages autour de la ressource forestière.

Il est également possible de profiter des surplus produits par les énergies renouvelables lorsque la consommation est faible. Dès lors, plutôt qu’une source d’électricité alternative, il est possible d’encourager le stockage de ce surplus pour préparer les pointes, quelques heures ou quelques jours en avance, avec :

  • les batteries stationnaires, dont le coût financier et environnemental est important voire prohibitif à grande échelle ;
  • le développement du « vehicle-to-grid » (véhicule au réseau) pourrait permettre au parc automobile de contribuer au soutien du réseau en période de forte tension. Dans les scénarios RTE, son potentiel estimé est de pouvoir apporter 1,7 GW en période de pointe sur le réseau. Son principe est simple : les véhicules électriques, branchés sur le réseau électrique et dont la batterie est relativement chargée, pourraient être mobilisés comme batteries d’appoint. Lors de pénuries temporaires, elles pourraient alors injecter de l’électricité sur le réseau. Ce moyen nécessite cependant la mise en place de bornes de recharge adaptées à même de pouvoir charger et décharger les batteries des véhicules. Un cadre juridique et technico-économique adéquat est également indispensable pour compenser financièrement l’usure rapide des batteries sur-sollicitées, ainsi qu’un dimensionnement adapté du réseau.

Toutes ces modifications des modes de production doivent s’accompagner d’investissements conséquents dans l’adaptation du réseau de transport et de distribution d’électricité afin de le rendre plus résilient face au changement climatique. Un renforcement du réseau est également un atout pour faire profiter le réseau du foisonnement des énergies électriques renouvelables dans toute l’Europe : un manque de vent dans une région peut être compensé par un surplus de soleil dans un autre territoire, et inversement.

Au-delà de ces leviers qui permettent de faire correspondre la production d’électricité à la consommation, il est également possible et nécessaire de faire l’inverse, c’est-à-dire d’adapter la consommation aux variations de la production. Plusieurs leviers sont envisageables :

  • le développement de la recharge « intelligente » des véhicules électriques. Dans le cas le plus immédiat, cela signifie limiter les appels de puissance sur le réseau en étalant la recharge du parc pendant la nuit (lorsque la consommation est relativement basse) ou en milieu de journée (lorsque la production photovoltaïque est plus importante) par exemple.

  • le décalage des usages des appareils électriques par la mise en place d’outils de flexibilisation en réduisant les appels de puissance causés par certains appareils. Ce type de solution existe depuis longtemps et s’accompagne d’offres qui incitent les consommateurs à s’adapter. Quand l’électricité dépendait encore d’un monopole public, la France était précurseure dans ce domaine avec les tarifs EJP (Effacement jour de pointe). Le tarif heures pleines/heures creuses d’EDF en est l’héritier actuel, tout comme le nouveau tarif TEMPO. Des tarifs de ce type existaient également pour les plus grands consommateurs, notamment les industriels, avec jusqu’à 8 niveaux de tarif selon les périodes, et des contrats spécifiques avec des consommateurs électro-intensifs. Mais ils pouvaient parfois avoir des effets pervers, par exemple le recours à des groupes électrogènes très polluants. Si le développement de la flexibilité est souvent mis en avant comme un apport du marché (ou de la concurrence), le marché a en réalité beaucoup complexifié sa mise en œuvre, faisant intervenir des acteurs trop nombreux (RTE, fournisseurs, opérateurs d’effacement…). Il a également beaucoup diminué l’efficacité de la flexibilité, puisqu’elle est désormais utilisée dans un objectif de rentabilité des acteurs plutôt que d’optimisation de l’équilibre offre-demande.

  • le décalage peut être poussé jusqu’à « l’effacement », un mécanisme dans lequel le fournisseur d’électricité et un client très consommateur s’accordent autour d’un contrat. D’un côté, le fournisseur offre un tarif d’électricité réduit, en échange de la garantie que le client cesse immédiatement sa consommation en cas de pénurie. Ce type de contrat existe notamment entre RTE et des clients industriels via des appels d’offres annuels, et concerne aujourd’hui des puissances de plusieurs GW au total.

Ainsi, il existe une vraie marge pour faciliter l’adaptation de la demande à l’offre. Toutefois, le développement de ces outils devrait faire l’objet d’un service public de la flexibilité de la demande, confié à RTE, et non être soumis à des logiques de concurrence entre opérateurs privés qui ensuite se feraient rémunérer pour leur contribution à la flexibilisation du réseau.

Ainsi, tous les scénarios énergétiques tablent sur la hausse de la consommation électrique, liée à l’électrification des besoins, et recommandent un déploiement massif des énergies renouvelables. En complément peuvent être mobilisés d’autres moyens de production pilotables (nucléaire, hydraulique, centrales thermiques renouvelables), des moyens de stockage de l’électricité produite (batterie, « vehicle-to-grid »), et des moyens de flexibilisation de la demande (décalage des consommations, « effacement »).

Il est essentiel de faire les bons choix politiques dès maintenant : un déséquilibre durable entre la production et la consommation électrique aurait des conséquences lourdes sur le plan social, économique et écologique en conduisant à des pénuries et à des recours en urgence aux combustibles fossiles. Dans ces conditions, il paraît nécessaire à la fois de maîtriser la consommation électrique via des politiques de sobriété énergétique collectives, justes et concernant l’ensemble de la population, et de maximiser la production d’électricité sans carbone. Ce dernier point paraît d’autant plus urgent qu’à l’heure actuelle, les discours hostiles aux énergies éoliennes et solaires sont nombreux dans le débat public.

À retenir :

La consommation électrique est amenée à croître à l’horizon 2030-2035.

➔ Pour faire face à cette hausse, ainsi qu’à la fermeture programmée d’une partie des capacités nucléaires, le déploiement massif d’énergies renouvelables est indispensable autour du triptyque photovoltaïque, éolien en mer et éolien terrestre.

➔ Le scénario 100 % renouvelable dans le cadre du scénario de consommation issu de programmes de rupture (besoins électriques estimés à 550 TWh en 2050) repose sur des conditions de succès exigeantes : planification forte de la sobriété, capacités industrielles importantes, paris technologiques sur le stockage et la gestion de la flexibilité et déploiement de filières de formation entre autres.

Des moyens de flexibilité devront être construits, et ceux-ci seront d’autant plus importants que la part des énergies renouvelables sera grande : flexibilisation de la demande, par exemple sur les véhicules électriques, capacités de production sans carbone et pilotables à base d‘hydrogène ou de biomasse.

➔ L’option d’une relance du nucléaire offre certains atouts pour assurer l’équilibre offre-demande et la souveraineté énergétique. Cependant, le nucléaire présente des défis industriels, organisationnels et sécuritaires trop importants : capacité à maintenir sur les prochaines décennies un savoir-faire de haut niveau, maintien d’une stabilité géopolitique forte de l’Europe, aléa sur la capacité à construire de nouveaux réacteurs, gestion des déchets, coût…

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Développer et massifier la production de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes sur le territoire national en misant sur des technologies établies et pas seulement sur des innovations de pointe, notamment en planifiant le développement des énergies renouvelables sous maîtrise publique.

➔ Renforcer les effectifs des services instructeurs de projets EnR et la programmation énergétique de manière à atteindre un rythme de déploiement des nouveaux parcs de 6 GW/an pour le photovoltaïque, 2 GW/an pour l’éolien en mer et 2 GW/an pour l’éolien terrestre, en plus du renouvellement des capacités existantes.

➔ Planifier rapidement l’installation d’au moins 1 GW d’hydrolien puis aller vers 5 GW, et poursuivre la recherche-développement sur les autres énergies renouvelables marines. Refuser la mise en concurrence des installations hydro-électriques et garantir leur maîtrise publique au service de l’équilibre du réseau et de la gestion durable de l’eau.

➔ Développer une filière publique, avec ses centres de formation, de fabrication et d’installation de moyens de production d’électricité renouvelable.

➔ Accroître la flexibilité de la demande d’électricité chez les consommateurs tertiaires, résidentiels et industriels de manière juste et démocratique en proposant des outils alternatifs à ceux offerts aujourd’hui par le marché de l’électricité.  

Enjeu n° 5 : La biomasse, l’autre pierre angulaire de la transition énergétique

Définition : Étymologiquement, la biomasse se réfère à la masse totale des organismes vivants, soit à l’ensemble des matières organiques, d’origine végétale ou animale. Plus précisément, le Code de l’énergie la définit comme « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales provenant de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ».

Dans la transition écologique, la biomasse peut permettre de réduire l’utilisation de ressources géologiques non renouvelables, en se substituant à d’autres matériaux (acier, ciment) ou énergies émettrices de carbone fossile (charbon, pétrole, gaz).

Mais toute activité fondée sur l’utilisation de la biomasse requiert un prélèvement qui exerce une pression sur les écosystèmes, à commencer par l’alimentation. L’exploitation et l’usage de la biomasse ne doivent pas se faire au détriment des usages alimentaires de la biomasse. Elle doit aussi s’assurer de la préservation des fonctions écologiques, comme la biodiversité et le stockage naturel de carbone, grâce à une approche globale. Dans un contexte de changement climatique qui affecte déjà les écosystèmes et pèsera de manière croissante sur leur santé, limiter la pression directe des activités humaines est plus que jamais essentiel.

Cette section interroge les enjeux de hiérarchisation de l’usage de cette ressource limitée.

La biomasse se situe à la croisée de plusieurs secteurs (agriculture, forêt, construction, production énergétique) et sa production et son utilisation recoupent au moins les problématiques suivantes :

  • assurer l’approvisionnement alimentaire d’une population nationale en augmentation ;
  • produire des ressources renouvelables pour décarboner la production d’énergie et de matériaux ;
  • lutter contre l’artificialisation des terres agricoles ;
  • préserver la biodiversité et reconstituer les écosystèmes pour augmenter leur capacité de « puits de carbone* » naturels ;
  • adapter les agrosystèmes et la forêt aux changements climatiques ;
  • reconquérir la qualité de nos ressources en eau.

Une politique d’exploitation et d’usage de la biomasse durable doit donc planifier l’évolution cohérente de l’ensemble des politiques associées à ces différents enjeux.

a.     L’utilisation actuelle de la biomasse

Il existe trois principaux gisements de biomasse. Selon le type de gisement, la biomasse résultante peut être sèche ou humide, et les utilisations possibles sont différentes en fonction de cela. On retrouve ainsi :

  • la biomasse forestière : elle est issue des écosystèmes forestiers qui couvraient à eux seuls environ 17 millions d’hectares en 2019, soit 31 % de l’Hexagone. Le bois à vocation énergétique correspond à près de 40 % des prélèvements totaux, le reste étant utilisé en tant que bois d’œuvre (40 %) ou bois d’industrie (20 %).

  • la biomasse agricole : elle recoupe l’ensemble des matières organiques provenant des systèmes agricoles : cultures, zones herbeuses, résidus de cultures, effluents d’élevage, etc. La production agricole est principalement destinée à l’alimentation humaine et animale mais répond également à d’autres besoins : matériaux, énergies, litière/paillage, etc.

  • la biomasse relative aux déchets : elle est composée des déchets verts urbains, des boues de stations d’épuration, des biodéchets provenant des ménages et de la restauration ainsi que des résidus de l’industrie agroalimentaire.

Figure 26 – Schéma de l’utilisation de biomasse (au milieu et à droite) en fonction de son origine (à gauche) sur le territoire national, en millions de tonnes de matière sèche (MtMS)

FIGURE 26

Note de lecture : Le schéma se lit de gauche à droite. On peut voir par exemple que 215 millions de tonnes de matière sèche sont issues de biomasse agricole (en vert clair à gauche), dont 105 millions de tonnes de matière sèche seront utilisées dans l’élevage (en orange au milieu), dont une partie retournera au sol.

Source : Graphique produit pour cette note avec les données du Secrétariat général à la Planification écologique, données 2019.

Ces gisements de biomasse connaissent ensuite de multiples canaux de valorisation, dans l’alimentaire bien sûr (humain et animal), l’agronomique (retour au sol), mais aussi l’énergétique (chaleur, biogaz, électricité), le chimique (molécules, etc.) ou les biomatériaux (bâtiment, textile, industrie). Son utilisation dépend d’abord des caractéristiques du gisement. Ainsi, à chaque gisement de biomasse correspondent des valorisations différentes : par exemple, les cultures annuelles sont principalement utilisées pour des usages alimentaires, mais elles peuvent aussi servir à produire des biocarburants et du biogaz, générant alors un conflit d’usage.

Tous les scénarios proposés par l’ADEME[57] envisagent au moins une multiplication par deux de la biomasse pour des usages non alimentaires. Ne pas augmenter la pression sur les écosystèmes réclame donc de libérer de la ressource actuellement utilisée.

Figure 27 – Utilisation actuelle de la biomasse en France pour la production de bioénergie

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Note de lecture : Chaque bâton vertical correspond à un usage de la biomasse dans la production d’énergie : bois énergie, biocarburants et biogaz/biométhane. Ensuite, il est décomposé selon son origine. Par exemple pour les biocarburants il provient d’abord de l’importation (gris, à hauteur de 20 térawatts-heure), puis de culture dédiée (jaune, moins de 20 térawatts-heure) et enfin de déchets (en orange, 2 térawatts-heure environ).

Source : Graphique produit pour cette note avec les données du Secrétariat général à la Planification écologique.

b.    Quelle évolution de la ressource en biomasse d’ici 2050 ?

Des leviers permettent d’augmenter durablement la production de biomasse.

La réduction de la consommation de viande

70 % des surfaces agricoles dédiées à notre alimentation sont aujourd’hui dédiées à l’élevage. La baisse de la consommation de produits d’origine animale, ainsi que l’évolution des modes d’élevage vers des systèmes plus extensifs (par exemple avec une baisse de la concentration du bétail) pourront libérer de nombreuses surfaces pouvant être affectées à la production de biomasse. De plus, cela permettrait d’affecter plus de terres agricoles, compensant ainsi les moindres rendements de l’agro-écologie. En effet, l’agriculture biologique, de conservation et l’agroforesterie ont des rendements de production plus faibles par rapport à l’agriculture conventionnelle[58].

Au-delà de l’impact sur le gisement de biomasse, ces changements importants dans les pratiques agricoles participent fortement à une baisse de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (voir enjeu n° 1).

La valorisation des effluents d’élevage et des déchets pour le biogaz

Les déchets et coproduits organiques des exploitations d’élevage sont constitués de fumier (forme solide) et de lisier (liquide). La nature et les quantités d’effluents d’élevage sont liées au type d’animal, au type de logement du bétail et au temps de séjour en étable. L’évolution de ce gisement sera directement liée aux choix qui seront réalisés pour la réduction de la consommation de viande. Néanmoins, cela constitue dans tous les cas une source à valoriser.

La promotion des cultures intermédiaires pour le biogaz

Implantées dans les sols dans l’intervalle entre la fin d’une culture et le début de la suivante, les cultures intermédiaires ont une vocation énergétique, en plus de leur utilité agronomique et environnementale. Les cultures intermédiaires présentent un fort potentiel de mobilisation sur le long terme à condition d’éviter le piège de la spécialisation de régions entières et la transformation d’agricultures alimentaires en agricultures énergétiques. En effet, leur implantation pourrait ouvrir la voie à un développement considérable de la production de biogaz.

Dans le dernier scénario Afterres*/négaWatt[59], le potentiel des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE)* est estimé à 40-50 TWh. L’herbe représente un potentiel évalué à 25-30 TWh. C’est ainsi la moitié de notre production de biogaz qui serait couverte par ces productions agricoles.

Les haies

Les pratiques agroforestières qui combinent arbres, cultures ou bétail sur une même parcelle créent des haies et alignements d’arbres dont on peut tirer du bois. Il s’agit d’un gisement encore limité mais à fort potentiel. D’ici à 2030, les surfaces de haies (linéaires) pourraient atteindre jusqu’à 2,4 millions d’hectares, contre près d’1 million actuellement. Ainsi, cela pourrait être utilisé pour la production d’énergie ou plus marginalement pour du paillage, de la litière ou du retour au sol en vue de réduire les intrants* et d’augmenter le stockage du carbone.

La méthanisation : pour quels usages ?

En France, la méthanisation est la seule technique actuellement mature pour produire du biogaz ou du biométhane. Il existe 2 autres procédés permettant la production de biométhane : la pyrogazéification* et le power-to-gaz*. Ces procédés ne sont actuellement pas matures en France.

La méthanisation consiste en une fermentation anaérobique des « déchets » agricoles afin de produire d’un côté, du digestat* valorisable sous forme d’engrais et de l’autre, du biogaz. Ce biogaz, à ne pas confondre avec le biométhane, peut être soit directement brûlé dans des centrales pour produire de la chaleur et de l’électricité, soit épuré pour en faire du biométhane rejoignant le réseau de gaz naturel.

Sur l’ensemble du cycle de vie, la production d’énergie via la valorisation de biométhane permet de réduire d’environ 80 % les émissions de CO₂ en comparaison avec le gaz naturel fossile.

Néanmoins, les secteurs à privilégier pour l’utilisation du biométhane méritent d’être questionnés au regard des gisements limités en biomasse méthanisable. Même avec de nouvelles technologies, aujourd’hui peu matures (pyrogazéification ou méthanation d’hydrogène vert), un volume de 150 TWh de gaz bas carbone à l’horizon 2050 semble déjà ambitieux. À titre de comparaison, 381 TWh de gaz naturel ont été consommés en 2023. Le biométhane n’est pas en mesure de compenser la sortie du gaz dans l’horizon temporel analysé dans cette note. Comme mentionné dans l’enjeu n° 3, les usages du gaz doivent être en priorité diminués ou électrifiés.

Pour les usages résiduels, un développement de la méthanisation est donc souhaitable. Toutefois, son développement ne doit pas être dévoyé en faveur d’une recherche de profit à court terme, susceptible de déséquilibrer le modèle agricole des exploitations en y dédiant des sols pour une production délibérée de déchets aux dépens de notre souveraineté alimentaire. La méthanisation doit participer prioritairement à un objectif d’autonomie énergétique des exploitations agricoles, et doit être adaptée et dimensionnée à la ferme et à la quantité de déchets valorisables à proximité. La pratique doit également être fortement contrôlée, car les digestats non hygiénisés peuvent être encore chargés de bactéries, spores, parasites mais aussi de résidus médicamenteux administrés aux élevages dont les effluents sont utilisés dans la méthanisation. L’infiltration de digestats non hygiénisés dans les sols et les eaux peut conduire à ce que l’eau cesse d’être potable dans certaines régions. Ce fut le cas par exemple en août 2022 à Châteaulin en Bretagne, lorsque le déversement de 400 m3 de digestat de méthanisation dans l’Aulne avait provoqué une coupure d’eau potable pour 180 000 personnes pendant plusieurs jours, et avait gravement endommagé les écosystèmes. La qualité des équipements est également essentielle pour éviter les fuites de méthane.

Toutefois, des facteurs limitent le potentiel de mobilisation de biomasse.

Les bouleversements climatiques auront des effets inévitables sur la quantité et le type de biomasse disponible. Certaines pratiques peuvent faire la différence.

Le climat influence directement les écosystèmes, à l’image du stress hydrique* et des incendies de végétation de 2022. De plus, l’atteinte à l’intégrité des écosystèmes affecte à son tour les flux d’énergie, d’eau et de gaz à effet de serre échangés avec l’atmosphère et donc le climat. Le réchauffement climatique et la sécheresse réduisent donc l’efficacité du processus naturel d’absorption du CO₂ par les arbres et la végétation, et donc la croissance de ces derniers. Le coût pour la transition énergétique est double : moins de biomasse est disponible pour les activités humaines, et moins de carbone est stocké sous forme organique dans les écosystèmes forestiers et dans les sols, aggravant le réchauffement climatique.

La forêt est particulièrement mise à mal par le changement climatique, en particulier par les épisodes de sécheresses qui ne feront que se multiplier et s’intensifier dans les décennies à venir. Les processus d’adaptation naturelle des espèces par migration ou sélection génétique sont trop lents face au changement climatique. Le « puits de carbone » forestier s’est déjà effondré au cours de la décennie, au point d’être aujourd’hui de 60 % inférieur à ce qu’avait anticipé la SNBC de 2015[60]. Ainsi, les dernières données officielles[61] estiment que la forêt française a absorbé en 2021 deux fois moins de tonnes de CO₂ que dix ans plus tôt. En dépit des efforts qui pourront être portés en matière de reforestation ou d’adaptation de la forêt au changement climatique, les futures stratégies nationales ne peuvent pas compter sur une hausse significative de la biomasse forestière.

Le changement climatique réduit également les rendements agricoles. Les années de crises se multiplient face à des évènements climatiques extrêmes (grêles, gelées tardives, sécheresses, etc.) plus fréquents et plus intenses. Structurellement, le climat français se méditerranéeise : les températures seront plus importantes, les précipitations moins fréquentes, mais plus intenses. Bien que difficiles à évaluer, ces évolutions climatiques risquent de tirer les rendements agricoles à la baisse.

Trois principes doivent être suivis pour adapter nos écosystèmes : favoriser l’hétérogénéité à toutes les échelles (habitats, communautés, diversité des espèces et diversité génétique), diminuer les pressions humaines et enfin préserver et connecter les espaces à fort enjeu de biodiversité[62].

L’exploitation forestière doit également compter sur une main-d’œuvre compétente plus nombreuse et des moyens de transformation locaux (scieries). Ce d’autant plus que des pratiques plus respectueuses des sols et des écosystèmes seront adoptées, et qu’elles sont plus intensives en main-d’œuvre. Des éléments qui ne sont pas acquis au regard de la dynamique de la filière forêt-bois[63].

Une préoccupation pour la pollution de l’air

  • Bois énergie

Si l’usage de bois énergie, par exemple pour le chauffage, peut être vu comme un moyen de sortie des énergies fossiles, l’usage du chauffage au bois est une des principales sources de pollution de l’air en France. L’usage de chauffage au bois dans les logements est à lui seul responsable de 70 % d’émissions de particules fines en France, tous secteurs confondus[64]. Ces mêmes particules fines sont responsables en France métropolitaine de 40 000 décès chaque année, soit 7 % des décès[65]. Si les moyens de chauffage au bois récents sont nettement moins émetteurs que des cheminées ouvertes ou des foyers fermés[66],ils restent très émetteurs de particules fines et plus encore que du chauffage au fioul. Il ne sera donc pas possible de réduire la pollution de l’air sous les seuils recommandés par l’Organisation mondiale de la santé en matière de qualité de l’air en étendant l’usage du chauffage au bois dans les logements, mêmes récents.

Paradoxalement, les centrales au bois, de taille et de consommation plus importantes, sont plus contrôlées et peuvent plus facilement mettre en place des systèmes de dépollution. Par unité d’énergie produite, elles sont donc bien moins nuisibles pour la santé que du chauffage individuel, notamment dans le cadre de réseaux de chaleur urbains.

  • Biogaz

Le gaz renouvelable, tout comme le gaz fossile, a longtemps été promu dans le secteur du transport routier pour des raisons d’amélioration de la qualité de l’air : ses émissions de particules fines sont bien moindres, par kilomètre parcouru, que des véhicules diesels ou essence. Mais une étude récente de l’ONG Transport et environnement[67] tend à montrer que les véhicules au gaz émettent sensiblement autant de particules ultrafines par kilomètre parcouru que les autres véhicules thermiques.

Du strict point de vue strict de la pollution de l’air et donc de la santé, l’usage de moyens de production de chaleur et de déplacements basés sur de l’électricité produite par des moyens bas carbone (éolien, solaire, hydraulique ou nucléaire) est donc systématiquement préférable. En effet, ces sources fonctionnent sans combustion, qui émet des polluants dans l’air.

Cas pratique – En Guyane, une utilisation de la biomasse qui questionne

Les Outre-mer sont des cas d’étude riches en apprentissages sur le délicat développement de la biomasse. La Guyane par exemple, avec ses 8 millions d’hectares de forêt, dispose d’un potentiel important. Les quatre centrales biomasse actuellement en activité consomment en tout 180 000 tonnes de bois par an[68]. Cependant, ces forêts sont l’habitat naturel d’une biodiversité riche, et les Amérindiens et les Bushinengués qui y vivent sont particulièrement inquiets de la menace que représente le développement de la biomasse sur le territoire. Il est essentiel que l’approvisionnement des biométhaniseurs soit fait en partenariat avec les scieries, pour privilégier les résidus et copeaux des coupes, et non directement les grumes (troncs). Le projet Triton en Guyane envisage une méthode différente : utiliser le bois immergé dans le lac du barrage du Petit-Saut. Ce modèle inédit a alerté l’Office français de la biodiversité (OFB). En effet, les arbres immergés attirent des bactéries qui participent grandement à l’oxygénation du lac. Le retrait des arbres vient également mettre en danger la préservation de l’espèce protégée des loutres géantes, dont 10 % des individus se trouvent dans le lac. Il s’agit donc de faire des choix délicats entre préservation des puits de carbone que sont les lacs et les forêts, préservation de la biodiversité, respect des populations autochtones, et développement des sources d’énergie utilisant la biomasse.

c.     Une ressource finie dont l’usage doit faire l’objet d’une stricte hiérarchisation

Des besoins croissants en biomasse qui butent sur le potentiel de ressource mobilisable.

Sans même revenir sur les usages non-énergétiques de la biomasse, nombreux sont les secteurs à anticiper une hausse de leur consommation de biomasse afin de sortir des énergies fossiles leur consommation d’énergie :

  • pour la biomasse liquide principalement le transport routier, le transport maritime international, la bio-chimie, l’agriculture et la production électrique des territoires dits ultra-marins ;
  • pour la biomasse solide principalement l’industrie, la sortie des énergies fossiles des réseaux de chaleur, la production d’électricité et le résidentiel ;
  • pour la biomasse gazeuse principalement la chaleur haute intensité dans l’industrie, le bâtiment, les réseaux de chaleur et la production d’électricité.

La Stratégie nationale bas-carbone 2 prévoyait de mobiliser 430 TWh de ressources de biomasse à des fins énergétiques d’ici à 2050 contre environ 180 TWh en 2016 (parmi lesquels 100 TWh de combustibles liquides, 220 TWh de combustibles gazeux et plus de 110 TWh de combustibles solides).

Pour les bioénergies, le gouvernement anticipe lui-même un manque de biomasse dès l’horizon 2030 si les feuilles de route des différents secteurs de l’économie ne sont pas revues[69]. La France dépend déjà des importations pour assurer sa consommation de biomasse liquide ou pour sa consommation de bois. Dans une optique de souveraineté nationale, autant que pour réduire les pressions extractivistes de notre économie sur le reste du monde, l’accroissement des importations ne peut constituer une solution.

Ainsi, un besoin de régulation et de pilotage émerge pour allouer les ressources aux différentes filières et assurer leur coordination. Se contenter de la ressource nationale contraint à un exercice d’autant plus strict de hiérarchisation des usages.

Hiérarchiser les usages : un changement de paradigme à élaborer démocratiquement.

Les critères de hiérarchisation de l’usage de la biomasse esquissés dans la suite de ce chapitre ont vocation à nourrir la nécessaire délibération démocratique, non à s’y substituer. Cette hiérarchisation des usages doit être fonction de leur pertinence technique et de leur utilité sociale. Face à la forte contrainte sur la biomasse, l’existence d’une alternative viable à l’usage nous poussera à toujours la privilégier. Prenons un seul exemple, proposé par l’association négaWatt, pour illustrer l’importance de l’éclairage technique de la délibération politique : « si une partie du chauffage urbain peut être assurée par l’usage de biomasse, cette énergie trouve une utilité plus importante dans l’industrie, qui requiert un apport de chaleur à haute température. Un réseau de chauffage urbain, dont les besoins en température peuvent se limiter à 60 °C, peut alors être alimenté par la récupération de chaleur fatale provenant des chaudières industrielles[70] ».

La proximité géographique entre la ressource et l’usage constitue également un critère à articuler avec la hiérarchie nationale des usages. La biomasse est marquée par une dimension territoriale inhérente. La sortie des énergies fossiles nous invite de surcroît à limiter le recours au transport de marchandise. Ce souci d’un usage prioritairement local de la biomasse est par ailleurs propice à limiter l’extractivisme et à développer une gestion en commun des ressources locales.

Esquisses d’une hiérarchisation des usages de la biomasse.

La pérennité de la ressource étant une condition sine qua non de son exploitation, il faudra définir la part de biomasse devant retourner à la terre. C’est ainsi que pourront être assurés la fertilité des sols et des niveaux d’exploitation du bois qui assurent la résilience des écosystèmes forestiers.

L’alimentation humaine et animale constitue un poste essentiel à placer en haut de la hiérarchie des usages. Toutefois, une transition dynamique vers une alimentation plus végétale libérera d’importantes marges de manœuvre pour d’autres secteurs sans amputer notre sécurité alimentaire. Ajoutons ici l’enjeu des exportations alimentaires : il devra faire l’objet d’une réflexion stratégique approfondie pour déterminer dans quelle mesure il est possible de les réduire.

Tous les secteurs qui, du fait d’alternatives insatisfaisantes, doivent compter sur la biomasse devront en minimiser leur consommation par des gains d’efficacité, mais aussi des efforts de sobriété. Toute réduction de la demande dans un secteur (par exemple, moins de construction de logements en priorisant la construction de logement social et la mise à disposition du parc actuel) libérera de la marge de manœuvre pour les usages énergétiques ou pour limiter l’exploitation des écosystèmes et y stocker davantage de carbone (voir enjeu n° 1).

La priorité devrait donc être donnée aux usages de la biomasse comme matériau dans des produits à longue durée de vie dans la construction et l’industrie, en particulier dans la rénovation énergétique. Cette priorisation permet d’augmenter le puits de carbone (grâce au stock croissant de carbone stocké dans des matériaux) et n’exclut pas une valorisation en fin de vie du produit via le recyclage ou la production d’énergie.

Ensuite, viennent les consommations énergétiques dans des secteurs essentiels sans alternatives viables. C’est le cas des industries consommant de la chaleur à haute température, des réseaux de chaleur pour lesquels aucune alternative géothermique ou de récupération de chaleur fatale n’est possible[71], ou de la consommation d’énergie dans le secteur agricole. L’aviation et le transport maritime international ne disposent pas aujourd’hui d’alternative viable aux énergies fossiles. L’usage de la biomasse sous forme de biométhane dans ces secteurs peut donc apparaître pertinent mais nécessite de s’interroger sur leur évolution à long terme et sur leurs efforts de sobriété.

Viennent enfin un grand nombre de secteurs aujourd’hui consommateurs de biomasse, mais pour lesquels des alternatives viables existent. On y trouve les transports (véhicules particuliers, poids lourds, bus et cars), la production de chaleur basse température dans l’industrie, le chauffage et l’eau chaude dans le résidentiel et le tertiaire, la production d’électricité dans les territoires dits ultramarins et en hexagone. Dans ces secteurs, l’usage de la biomasse mérite d’être interrogé. Il s’agira a priori de limiter la hausse de la demande pour ces usages en limitant les subventions, voire en restreignant réglementairement les nouveaux équipements.

À retenir :

La priorité est de limiter l’exploitation des écosystèmes à des fins de production de biomasse afin d’améliorer leur résilience. Il faut :
• contenir la hausse des prélèvements de biomasse et s’assurer d’un retour à la terre suffisant pour garantir la fertilité des sols ;
• améliorer les pratiques d’exploitation afin de les rendre plus respectueuses des écosystèmes ;
• développer les productions durables de biomasse (biodéchets, CIVE, haies, etc.).

Inscrire dans la loi les usages prioritaires des différentes formes de biomasse permet de restreindre le risque de conflits d’usage. Il faut :
• enclencher un travail avec l’ensemble des filières consommatrices (ou potentiellement consommatrices) de biomasse afin d’établir une hiérarchie des usages fondée sur un diagnostic inter-filières partagé ;
• pour les filières prioritaires, adopter des politiques favorisant le développement rapide des filières et leur stabilisation ;
• pour les filières non prioritaires, adopter des politiques publiques favorisant le non-recours à la biomasse ou la baisse de la consommation de biomasse (sobriété et substitution).

Quelques pistes de propositions législatives :

➔ Renforcement des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) du second pilier de la PAC, et tout particulièrement des mesures visant à protéger les haies et éco-systèmes.

➔ Ouvrir une concertation en vue d’établir une hiérarchie des usages des différents types de biomasse.

➔ Adaptation de la forêt au changement climatique (renforcement des moyens de l’ONF, plan de lutte contre les incendies) et réglementation des pratiques d’exploitation pour favoriser la résilience des écosystèmes.

➔ Renforcement du stockage dans les produits bois, en renforçant par la loi l’usage massif du bois dans les constructions et en garantissant un allongement de la durée de vie des produits-bois.  

Conclusion

Dans cette note, nous avons pris le temps de décrire, sans choisir, les chemins possibles pour notre système énergétique afin de prendre au sérieux nos objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. À notre avis d’ingénieur·es et expert·es spécialistes des questions énergétiques, cette perspective n’est crédible que dans le cadre d’un programme de rupture. D’abord, toute trajectoire aboutissant à zéro émissions nettes en 2050 nécessite une redéfinition de nos besoins énergétiques et donc de nos besoins eux-mêmes.

Cette discussion doit avoir lieu dans la société, très largement. Elle ne peut en aucun cas être préemptée par des ingénieur·es. Mais pour exister, cette discussion doit au moins être extraite du marché. Le sacro-saint équilibre entre l’offre et la demande, à partir de produits mis sur le marché par des entreprises capitalistes en concurrence entre elles pour le profit maximal, ne peut servir de méthode efficace pour définir une politique juste de sobriété. Laisser le marché gérer une décroissance, inévitable, des consommations énergétiques, c’est à coup sûr augmenter dramatiquement les inégalités. À l’inverse, aborder la question des besoins en énergie à travers une planification démocratique peut aboutir à des droits sociaux d’un type nouveau. Bien sûr, cette planification, cette nouvelle méthode de gouvernement par les besoins ne peut se faire sans changement institutionnel majeur dans le sens d’un approfondissement démocratique à toutes les échelles.

Ce que nous avons présenté, au fil des cinq enjeux détaillés dans les parties de cette note, constitue des tâches de très grande ampleur. Il faut ouvrir, de front et aussi vite que possible de nombreux chantiers, et les mener à bien très rapidement. Là encore, cela ne peut s’envisager que dans un cadre macroéconomique totalement refondé. Pour chacun des secteurs évoqués dans cette note, l’impasse du marché néolibéral a été mise en évidence. Les signaux-prix ne permettent pas l’atteinte des objectifs climatiques et engendrent des inégalités souvent insoutenables socialement. Ils ne peuvent être utilisés qu’à la marge, en complément de politiques publiques fortes. Atteindre les objectifs sectoriels ne pourra se faire qu’en substituant à la « main invisible » du marché une coordination explicite, intentionnelle et démocratique des échanges. L’État et les collectivités sont amenés à jouer un rôle central de décision et de pilotage, et leurs moyens nécessitent d’être renforcés au même titre que les investissements qu’ils doivent gérer devront être augmentés. Cette immense bifurcation nécessite par ailleurs de reconstruire de manière volontaire des filières industrielles nationales et de les substituer aux chaînes de valeur et d’approvisionnement entièrement mondialisées. Enfin, se pose également la question des circuits de financement à mettre en place. La finance privée de marché, construction institutionnelle du néolibéralisme, est totalement inapte à mobiliser de telles sommes pour les orienter vers les bons secteurs.

L’ensemble de ces questions, ici rapidement esquissées, forment un ensemble de conditions de possibilité encadrant la bifurcation écologique : sortie du marché, souveraineté industrielle, financement. Le département de planification écologique pourra les aborder dans une note ultérieure, en forme de second tome sur la planification énergétique.

Cette note a été rédigée par un collectif d’ingénieur·es et expert·es spécialistes des questions énergétiques, coordonné par Jean-Baptiste Grenier : GSA, SLAV, NFO, NBR, ARU, MSA, SLAM, CRI, JHU, MNM, JAN, EC, JAR

Glossaire

ADEME : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie est une agence nationale dont la mission est fixée par le Code de l’environnement, et dont le financement est majoritairement public. Elle évalue la mise en œuvre et les impacts des programmes et des stratégies de politiques environnementales et énergétiques, et émet des recommandations.

Afterres2050 : scénario produit en 2016 par l’association Solagro sur le secteur agro-alimentaire. Il table sur une consommation plus végétale, plus de « bio », une réduction de la surconsommation et du gaspillage, des engrais de synthèse et des pesticides, et une diversification des cultures.

cavité saline : cavité géologique artificielle, construite pour stocker des fluides. Elle est généralement construite sous des strates de sel gemme (ou halite), qui se comporte comme un dôme isolant au-dessus de la cavité, d’où l’adjectif « saline ».

chaleur fatale : la chaleur fatale, ou chaleur de récupération, est l’énergie thermique émise par un procédé dont elle n’est pas la finalité. Il peut s’agir de la chaleur présente dans les eaux de refroidissement des centrales thermiques (nucléaire, gaz, biomasse), des systèmes de climatisation, de l’incinération des déchets, des moteurs de voiture, des serveurs de données, des eaux usées (eaux chaudes des douches, vaisselles ou lessives).

CIVE : les cultures intermédiaires à vocation énergétique sont des cultures implantées entre deux cultures principales, et sont destinées à un méthaniseur ou à l’alimentation animale par exemple.

digestat : résidus restant après la méthanisation de déchets organiques. Un digestat est constitué de bactéries excédentaires, matières organiques non dégradées et matières minéralisées. Après traitement, ou « hygiénisation », il peut être utilisé comme compost.

DRI : le Direct Reduced Iron est un minerai de fer traité par réduction directe. La réduction directe consiste à exposer du minerai de fer à l’action réductrice d’un gaz à haute température (plus de 900 °C) composé de monoxyde de carbone et de dihydrogène. Cette technologie diffère du procédé classique qui utilise des hauts-fourneaux, donc du charbon pour la fonte et la réduction du fer.

électrolyse : méthode qui permet de séparer des éléments chimiques les uns des autres grâce à un courant électrique. Elle est généralement utilisée pour produire du chlore ou l’ozone, pour le plaquage métallique, pour isoler l’aluminium, le cuivre ou le nickel. L’électrolyse de l’eau décompose l’eau (H2O) en dioxygène et dihydrogène.

électrolyseur : appareil qui se compose d’une alimentation électrique, d’une anode (charge positive) et d’une cathode (charge négative). Plongées dans un fluide chimique, l’anode et la cathode « attirent » chacune des éléments spécifiques sous l’effet du courant électrique. Dans le cas de l’électrolyse de l’eau (H2O), l’anode « attire » l’oxygène (O2), et la cathode le dihydrogène (2H2).

énergie primaire, énergie secondaire, énergie finale, énergie utile : termes conventionnels qui permettent de mesure des quantités d’énergie en fonction d’où on se place dans le processus de production d’énergie. L’énergie primaire correspond au potentiel énergétique disponible dans la source d’énergie lors de son extraction. L’énergie secondaire est égale à l’énergie primaire moins les pertes dues à la transformation (lors du raffinage ou de la transformation de la chaleur de la réaction nucléaire en électricité, par exemple). L’énergie finale est égale à l’énergie secondaire moins l’énergie dépensée par le transport de l’énergie jusqu’à son lieu de consommation (les pertes sur le réseau électrique, ou le carburant utilisé pour transporter des bouteilles de gaz). L’énergie utile est égale à l’énergie finale moins les pertes de l’équipement d’utilisation (la chaleur fatale dans le moteur d’une voiture thermique, ou dans une ampoule à incandescence). En fonction de l’énergie observée, la répartition des énergies diffère fortement. Par exemple, le nucléaire représente 40 % de l’énergie primaire en France, mais 17 % de l’énergie finale, du fait du rendement relativement faible des centrales nucléaires (33 %). Pour cette même raison, les énergies fossiles représentent 46 % de l’énergie primaire en France, mais plus des ⅔ de l’énergie finale. Du fait du faible rendement des moteurs à essence par rapport aux moteurs électriques, leur part dans l’énergie utile est inférieure. Cette note choisit de considérer l’énergie finale, du fait du peu des données disponibles sur l’énergie utile, et pour correspondre au mieux à l’approche à partir des besoins.

EnR : les énergies renouvelables sont les énergies qui se renouvellent plus vite qu’on ne les consomme. Il s’agit donc de la lumière du soleil, du vent, de la chaleur de la terre, des chutes d’eau, des marées et des mouvements de la mer.

EnR&R : les énergies renouvelables et de récupération sont les énergies renouvelables, auxquelles on ajoute la chaleur de récupération (ou chaleur fatale).

équation de Kaya : équation qui lie le PIB aux émissions de CO2. Ainsi, CO2 = population x (PIB/population) x (énergie/PIB) x (CO2/énergie). Elle a été développée par l’économiste japonais Yoichi Kaya en 1993.   

GES : les gaz à effet de serre sont des gaz présents dans l’atmosphère qui absorbent, sous forme de rayonnement infrarouge, une partie de la chaleur reçue par le soleil. Les principaux GES sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N20) et les gaz fluorés (SF6, HFC, PFC et NF3). Avec la vapeur d’eau, ils sont responsables de l’effet de serre, lui-même contributeur principal du réchauffement climatique.

intrants agricoles : apports ajoutés à une parcelle agricole pour en augmenter ses rendements, comme les pesticides, les fongicides et les insecticides. Ils peuvent être d’origine naturelle ou industrielle.

intrants de méthanisation : matières organiques utilisées comme matières premières dans la méthanisation.

méthanisation : procédé dans lequel on fait fermenter en absence d’air des matières organiques naturelles (fermentation anaérobique). Pour cela, on chauffe et on brasse les intrants pendant 1 à 2 mois. Cette fermentation produit un gaz semblable au gaz naturel, et un digestat qui peut servir d’engrais s’il est « hygiénisé ». Le gaz peut être brûlé directement ou épuré et transformé en biométhane pour l’injecter sur le réseau de gaz naturel fossile. Il est appelé biogaz, et sa combustion est considérée comme 80 % moins émettrice que le gaz naturel fossile. En effet, le CO2 que le biogaz émet a été auparavant capturé par les intrants organiques, il utilise du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. Au contraire, le gaz naturel vient des réserves fossiles souterraines et ses émissions de CO2 viennent s’ajouter à l’atmosphère.

mix énergétique : répartition des différentes énergies primaires (pétrole, gaz charbon, uranium, solaire, éolien, hydraulique, biomasse…) dans la production d’énergie (électricité, chaleur…).

négawatt 2022 : scénario énergétique pour 2050, produit par l’association négaWatt en 2022 qui vise à répondre aux 17 objectifs de développement durable définis par l’ONU. Il table sur une sobriété des besoins (isolation des logements, report modal, recyclage, baisse de la demande de produits), sur la relocalisation de l’industrie, sur l’agro-écologie, et sur un mix énergétique 100 % renouvelable.

power-to-gaz : procédé qui convertit l’électricité en hydrogène en utilisant l’électrolyse.

PPE : les programmations pluriannuelles de l’énergie sont définies par la loi et expriment les orientations et priorités d’action pour l’action publique sur la stratégie énergétique. La première PPE concerne la période 2016-2023, la dernière la période 2019-2028.

pyrogazéification : procédé qui consiste à chauffer des matières organiques à plus de 1 000°C en présence d’une faible quantité d’oxygène. Il entraîne une décomposition des matériaux en gaz, liquide et en déchets résiduels secs comme du charbon. C’est l’un des 3 procédés permettant la production de biométhane, avec la méthanisation et le power-to-gaz. La pyrogazéification correspond à la 2e génération de production de biométhane.

puits de carbone : réservoir de carbone (naturel ou artificiel) qui absorbe du carbone depuis l’atmosphère et le séquestre pour une durée longue. Les océans sont les principaux puits de carbone, ils absorbent chimiquement le CO2 dans l’eau. Viennent ensuite le vivant via la flore (forêt, tourbière, prairie, phytoplancton), qui absorbe le CO2 par photosynthèse, la faune, et les sols (humus).

règle verte : principe selon lequel les humains ne doivent pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus de pollution et de déchets que ce qu’elle peut supporter.

réseau de chaleur : système de distribution de chaleur produite de façon centralisée. Une chaufferie principale chauffe de l’eau à une température élevée, et envoie cette eau dans un circuit fermé qui relie différents bâtiments à chauffer. L’eau revient en fin de circuit à la chaufferie, pour être chauffée de nouveau.

report modal : transfert d’une partie du flux associé à un mode de transport spécifique vers un autre type de transport.

RTE : le Réseau de transport d’électricité est le gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine continentale. Cette société est détenue à 100 % par l’État français et le réseau de transport d’électricité est public. Elle travaille en coopération avec ses homologues européens pour desservir l’ensemble du territoire européen.

scénarios ADEME « Transition(s) 2050 » : quatre scénarios élaborés par l’ADEME en 2022 qui proposent différentes stratégies pour atteindre zéro émissions nettes en 2050. Le scénario S1, « Génération frugale », prévoit une transition basée sur une sobriété contrainte. Le scénario S2, « Coopérations territoriales », prévoit une transition basée sur la gouvernance partagée des villes et des territoires. Le scénario S3, « Technologies vertes », prévoit une transition basée sur l’innovation. Le scénario S4, « Pari réparateur » prévoit une transition basée sur les systèmes de captation de CO2.

scénarios RTE « Futurs énergétiques 2050 » : six scénarios élaborés par RTE en 2022 qui proposent différentes stratégies pour le système électrique pour atteindre zéro émissions nettes en 2050. Le scénario M0 prévoit un mix 100 % renouvelable en 2050. Le scénario M1 prévoit une sortie presque accomplie du nucléaire en 2050, compensée par les énergies renouvelables diffuses sur le territoire. Le scénario M23 est similaire, mais les énergies renouvelables sont concentrées dans des grands parcs éoliens et solaires centralisés. Les scénarios N1 et N2 prévoient une relance de la filière nucléaire plus ou moins importante (respectivement +8 et +14 réacteurs en 2050). Enfin, le scénario N03 prévoit un mix énergétique composé à 50 % de nucléaire et 50 % d’énergies renouvelables en 2050. Dans tous ces scénarios, le photovoltaïque et l’éolien ont vocation à être déployés massivement. L’électricité produite par bioénergies ne dépasse pas les 2 % dans tous les scénarios.

SNBC : la Stratégie nationale bas-carbone est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Elle donne des orientations pour la réduction des émissions de GES jusqu’à 2050 et fixe des budgets carbone à moyen terme. Adoptée pour la première fois en 2015, elle a été révisée en 2018-2019.

stress hydrique : situation critique dans laquelle les ressources en eau disponibles sont inférieures à la demande, ou bien dans laquelle la qualité de l’eau nécessite d’en limiter l’usage (eau non potable polluée par exemple).

vehicle-to-grid : principe selon lequel les véhicules électriques, branchés sur le réseau électrique et dont la batterie est chargée au-delà d’un seuil, pourraient être mobilisés comme batteries d’appoint lors des pénuries temporaires d’électricité. Lors de pénuries temporaires, ces batteries pourraient alors injecter de l’électricité sur le réseau. Ce moyen nécessite cependant la mise en place de bornes de recharge adaptées à même de pouvoir charger et décharger les batteries des véhicules. Un cadre juridique et technico-économique adéquat est également indispensable pour compenser financièrement l’usure rapide des batteries sur-sollicitées, ainsi qu’un dimensionnement adapté du réseau.

ville du quart d’heure : modèle de ville où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou en vélo. Ce concept a été relancé sous cette dénomination en 2015 par Carlos Moreno.

Bibliographie

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Voir à ce titre : ADEME, « Les plans de transition sectoriels pour l’industrie lourde », dans le cadre du projet Finance ClimAct, 2023, URL : https://finance-climact.fr/actualite/plans-de-transitions-sectoriels/

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Secrétariat général à la planification écologique, « La planification écologique dans l’énergie  », 06/2023, URL : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/b2be9a22d052f9e36065e4a6ad765c6536942939.pdf

 NégaWatt, « Scénario négaWatt 2022 », 2022, URL : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022

ADEME, « EnR’Choix », URL : https://www.enrchoix.idf.ademe.fr/

un groupe d’ingénieur·es et d’expert·es spécialistes des questions énergétiques coordonné par Jean-Baptiste Grenier

Notes de bas de page

[1] Même s’il n’y a en réalité pas de mécanisme de mise en conformité (qui existait plus ou moins sous Kyoto), ce qui les rend peu contraignants. Ce qui est contraignant en revanche, c’est que cet objectif est fixé dans les textes européens et nationaux.

[2] Haut conseil pour le climat, 2 avril 2024, URL : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2024/04/HCC_lettre-Premier-ministre_20240402.pdf

[3] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « Chiffres clés de l’énergie édition 2024 – Bilan énergétique », 2024, URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2024/pdf/Chiffres-cles-energie-2024.pdf

[4] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « L’empreinte carbone de la France de 1995 à 2022 », 2023, URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022

[5] Article 8 de la loi relative à l’énergie et au climat (2019), URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039355955/

[6] La promesse initiale du gouvernement de suivre cette recommandation de la Convention citoyenne pour le climat s’est soldée par l’adoption d’une mesure similaire réduisant le seuil à 2h30, finalement détricotée par le décret d’application qui n’a fermé que trois lignes déjà peu empruntées.

[7] Haut conseil pour le climat, 06/2023, Rapport annuel 2023 – « Acter l’urgence engager les moyens », URL : https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2023-acter-lurgence-engager-les-moyens/

[8] Nous l’évoquions dans notre note : Institut La Boétie, « Sobriété énergétique : y a-t-il une alternative à la guerre contre les pauvres ? », 12/2022, URL : https://institutlaboetie.fr/wp-content/uploads/2022/12/NOTE-ILB-SOBRIETE_web.pdf

[9] En outre, l’objectif de baisse annuelle d’émissions CO₂ de -4,7%/an pour la France, peut apparaître assez fortement insuffisant au vu de l’accord de Paris et de la justice climatique. D’après le dernier rapport de l’IPCC, AR6, le budget CO₂ mondial restant à partir de 2020 pour avoir ⅔ de chances de rester sous +2 degrés est de 1150 Gt CO₂, soit, à partir de 2024, 23 années d’émissions au rythme actuel de 42 Gt CO₂/an, ce qui implique que les émissions globales devraient baisser de -4,3% par an. Mais les pays en développement (PED) ont un effort moindre à fournir, la France devrait donc cibler un rythme supérieur. Pour avoir ⅔ de chances de rester sous 1,5 degrés, le budget restant en 2020 n’était que de 400 Gt CO₂, soit seulement 5,5 années au rythme actuel à partir de 2024. Pour y arriver, il faudrait baisser les émissions globales de -18 % par an dès 2024. Pour être cohérente avec l’esprit de l’accord de Paris, la France devrait donc cibler une baisse annuelle nettement plus rapide que -5% par an.

[10] Brett Clark et John Bellamy Foster, Le pillage de la nature : capitalisme et rupture écologique, Éditions critiques, 2022.

[11] James O’Connor, « La seconde contradiction du capitalisme : causes et conséquences », dans Actuel Marx, vol. 12, n° 2, 1992, p. 30-40.

[12] Karl Marx, Le capital, livre I, 1867.

[13] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Éditions La fabrique, 2017.

[14] RTE, « Futurs énergétiques 2050 », 02/2022, URL : https://rte-futursenergetiques2050.com/

[15] ADEME, Les futurs en transition, 2021, URL : https://www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/

[16] Shift Project, Plan de transformation de l’économie française, 2020, URL :https://ilnousfautunplan.fr/

[17] NégaWatt, « Scénario négaWatt 2022 », 2022, URL : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022

[18] Institut la Boétie, « Sobriété énergétique, y-a-t’il une alternative à la guerre contre les pauvres ? », 12/2022, URL : https://institutlaboetie.fr/wp-content/uploads/2022/12/NOTE-ILB-SOBRIETE_web.pdf

[19] ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat», 2022, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

[20] Carbone4, « MyCO2 – Empreinte carbone française moyenne », mai 2023, URL : https://www.carbone4.com/analyse-myco2-empreinte-carbone-moyenne-2021

[21] RTE, « Bilan de l’hiver 2022-2023 », 2023, URL : https://www.rte-france.com/actualites/bilan-hiver-2022-2023-coupures-electricite-evitees-grace-baisse-consommation

[22] Secours Populaire et Ipsos, « 17e baromètre de la pauvreté et de la précarité », 09/2023, URL : https://www.secourspopulaire.fr/app/uploads/2023/12/sondage-ipsos-x-secours-populaire-2023.pdf

[23] Institut La Boétie, « Inflation alimentaire : une crise causée par les multinationales », 07/2023, URL : https://institutlaboetie.fr/wp-content/uploads/2023/07/Note-inflation-alimentaire-ILB.pdf ; Oxfam, « Top 100 des entreprises : l’inflation des dividendes », 06/2023, URL : https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/06/Rapport-Oxfam-SBF-_dividendes_DEF.pdf

[24] Mathilde Szuba, « Chapitre 5. Régimes de justice énergétique », dans Agnès Sinaï (dir.), Penser la décroissance. Politiques de l’Anthropocène, Presses de Sciences Po, 2013, p. 121

[25] Voir notamment sur le sujet : Audrey Berry, « La carte carbone, limiter les émissions individuelles pour respecter notre budget carbone », dans Aline Aurias, Roland Lehoucq, Daniel Suchet et Jérôme Vincent (dir.), Nos futurs : imaginer les possibles du changement climatique, ActuSF, 2020, p. 255-256

[26] Joshua Thumim et Vicki White, « Distributional Impacts of Personal Carbon Trading: A Report to the Department for Environment, Food and Rural Affairs », Centre for Sustainable Energy, 2008.

[27] Le think tank Intérêt général creuse ce diptyque dans une note de janvier 2024 : Intérêt général, Gouverner en situation de crises écologiques, Pour une mobilisation générale écologique, janvier 2024, URL : https://interetgeneral.net/notes/pour-une-mobilisation-generale-ecologique-YRptW1TvSDO9JZfcImy0rw

[28] The Shift Project, « Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? », 03/2021, URL : https://theshiftproject.org/article/quelle-aviation-dans-un-monde-contraint-nouveau-rapport-du-shift/

[29] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, La mobilité des Français – Panorama issu de l’enquête nationale transports et déplacements 2008, 2010 URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-mobilite-des-francais-panorama-issu-de-lenquete-nationale-transports-et-deplacements-2008

[30] Celle-ci peut procéder par de nombreux outils : renforcement de la taxation des carburants d’avion, quotas d’incorporation de combustibles bas carbone, ou des normes d’empreinte CO₂ maximale.

[31] ADEME, « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », 2021, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

[32] La production de dihydrogène par électrolyse est une méthode qui permet d’isoler la molécule de dihydrogène (2H2) présente dans l’eau (H2O) à l’aide d’un courant électrique.

[33] Calcul des auteurs de la note à partir des données du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

[34] ADEME, « Les futurs en transition – Rapport », 2021, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

[35] Une différence notable réside dans le recours important à la biomasse dans le scénario S2 : voir à ce sujet la partie « Enjeu n° 5 : la biomasse, l’autre pierre angulaire de la transition écologique ».

[36] RTE, « Futurs énergétiques 2050 », 02/2022, URL : https://rte-futursenergetiques2050.com/

[37] Aurélien Bigo, Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement, thèse de doctorat de l’Institut Polytechnique de Paris, 11/2020, URL : http://www.chair-energy-prosperity.org/wp-content/uploads/2019/01/These-Aurelien-Bigo.pdf

[38] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « Chiffres clés des transports – Transport intérieur de voyageurs », 2022, URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2022/12-transport-interieur-de-voyageurs

[39] ADEME, « AVIS de l’ADEME : Voitures électriques et bornes de recharges », 10/2022, URL : https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/5877-avis-de-l-ademe-voitures-electriques-et-bornes-de-recharges.html

[40] OCDE, « Perspectives mondiales des plastiques, Déterminants économiques, répercussions environnementales et possibilités d’action », 2022, URL : https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2022/06/global-plastics-outlook_f065ef59/c5abcbb1-fr.pdf

[41] IEA, « The Future of Petrochemicals, Towards more sustainable plastics and fertilisers», 2018, URL : https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/the_future_of_petrochemicals.pdf

[42] The Shift Project, « Décarboner la chimie française », 01/2022, URL : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2022/01/PTEF-Decarboner-la-chimie_Rapport-final.pdf

[43] INSEE,  « Le chauffage au fioul, encore très répandu en zone rurale », 01/2023, URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6688952

[44] Par convention, le gaz utilisé par une chaudière dans un bâtiment est comptabilisé dans le secteur des bâtiments, tandis que le gaz utilisé pour alimenter un réseau de chaleur qui vient ensuite chauffer les bâtiments est comptabilisé dans la production d’énergie.

[45] Carbone4, « Transport routier : quelles motorisations alternatives pour le climat ? », 11/2020, URL : https://www.carbone4.com/files/wp-content/uploads/2020/12/Transport-Routier-Motorisations-Alternatives-Publication-Carbone-4.pdf

[46] ADEME, « Les futurs en transition – Rapport », 2021, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

[47] ADEME dans le cadre du projet Finance ClimAct,« Les plans de transition sectoriels pour l’industrie lourde », 2023, URL : https://finance-climact.fr/actualite/plans-de-transitions-sectoriels/

[48] IEA, « Net Zero by 2050 », 2021, URL : https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050

[49] Le mix électrique optimal signifie la combinaison adaptée de moyens de production d’électricité permettant de répondre à des besoins de consommations donnés, pour chaque saison, chaque jour et chaque heure.

[50] Pour une analyse plus complète des conditions de possibilité d’un mix 100 % EnR, la lecture de la note suivante offre de nombreux éléments de compréhension : « Planifier l’avenir de notre système électrique », Intérêt général, 02/2022, URL : https://interetgeneral.net/publications/pdf/22.pdf

[51] RTE, Consommation électrique à température normale, issues du « Bilan électrique 2022 », 09/2023, URL : https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-synthese

[52] Cour des comptes, « Les choix de production électrique : anticiper et maîtriser les risques technologiques, techniques et financiers », 11/2021, URL : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/57738

[53] Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, « Étude prospective emplois et compétences de la filière électrique », 10/2020, URL : https://www.fieec.fr/wp-content/uploads/2020/10/EDEC-Filiere-electrique-Rapport-vf.pdf

[54] RTE, « Futurs énergétiques 2050 », 02/2022, URL : https://rte-futursenergetiques2050.com/

[55] RTE, « Bilan énergétique 2022 », 09/2023, URL :https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-synthese

[56] RTE, « La consommation d’électricité en France – éco2mix», URL : https://www.rte-france.com/eco2mix/la-consommation-delectricite-en-france

[57] ADEME, « Les futurs en transition – Rapport », 2021, URL : https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/5072-prospective-transitions-2050-rapport.html

[58] Cour des comptes, « Le soutien à l’agriculture biologique », 06/2022, URL : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-lagriculture-biologique

[59] NégaWatt, « Scénario négaWatt 2022 », 2022, URL : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022

[60] Citepa, « Rapport d’inventaire Secten 2023 », 2023, URL : https://www.citepa.org/wp-content/uploads/publications/secten/2023/Citepa_Secten_ed2023_v1.pdf

[61] Perrine Mouterde, « La forêt française, un puits de carbone en péril », Le Monde, 06/2023, URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/06/06/la-foret-francaise-un-puits-de-carbone-en-peril_6176474_3244.html

[62] Afin de préserver et connecter les espaces à fort enjeu de diversité, on peut penser à l’extension des aires protégées et à la mise en place de corridors reliant des zones de forte biodiversité entre elles.

[63] « La structuration de la filière forêt-bois », Cour des comptes, 05/2020, URL : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-structuration-de-la-filiere-foret-bois

[64] Citepa, « Rapport d’inventaire Secten 2023 », 2023, URL : https://www.citepa.org/wp-content/uploads/publications/secten/2023/Citepa_Secten_ed2023_v1.pdf

[65] Santé publique France, « Pollution de l’air ambiant : nouvelles estimations de son impact sur la santé des Français », 2021, URL : https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

[66] Avant l’arrêté de 2005 imposant l’équipement des maisons individuelles d’un système d’évacuation des fumées vertical permettant de raccorder les foyers fermés à bois.

[67] Actu Environnement, « Les camions au GNL polluent plus que les camions Diesel, selon une nouvelle étude », 09/2021, URL : https://www.actu-environnement.com/ae/news/transport-routier-etude-montre-camions-gnl-pollue-plus-que-camion-diesel-38249.php4

[68] France info, « Transition énergétique : la biomasse sur la sellette en Guyane », avril 2024. URL : https://la1ere.francetvinfo.fr/transition-energetique-la-biomasse-sur-la-sellette-en-guyane-1478684.html

[69] Secrétariat général à la planification écologique, « La planification écologique dans l’énergie », 06/2023, p. 13,  URL : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/b2be9a22d052f9e36065e4a6ad765c6536942939.pdf

[70] « Scénario négaWatt 2022 », négaWatt, 2022, URL : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022

[71] ADEME, « EnR’Choix », URL : https://www.enrchoix.idf.ademe.fr/

 

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