note

Sobriété énergétique : y a-t-il une alternative à la guerre contre les pauvres ?

La sobriété nécessite une réelle planification, nécessaire à court, moyen et long terme.

par Arsène Ruhlmann & Jean-Baptiste Grenier

Nous avons pointé ainsi plusieurs failles majeures du plan de sobriété : l’absence de prise en compte de la dimension inégalitaire des consommations énergétiques, l’individualisation excessive des mesures proposées, et l’absence totale de contraintes sur les entreprises ainsi que de programmes de soutien à la hauteur des efforts à engager. Ce plan de sobriété est aussi le signe de l’absence de réflexion sur le rôle de l’État pour adopter un mode de vie moins énergivore sur le long terme. 

En effet, ce plan de sobriété est très insuffisant au regard du calendrier des réponses qu’il apporte. Alors même que la sobriété doit nécessairement être, comme nous l’avons souligné, un pilier de la bifurcation écologique et énergétique à engager dès maintenant pour atteindre une réduction jusqu’à 50 % de nos consommations énergétiques d’ici 2050, les mesures du gouvernement semblent avoir comme seul objectif de répondre à la situation de crise et de tension accrue sur les réseaux énergétiques pour les deux années à venir. Il ne prévoit aucune mesure au-delà de ce terme ; ni même n’envisage une démarche de moyen ou long terme visant à l’adaptation de nos modes de vie vers un modèle moins consumériste.

Pourtant, la sobriété, au même titre que l’ensemble des changements structurels que le pays devrait mettre en place pour répondre à la crise climatique et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, nécessite une stratégie anticipée, de long terme, et de moyens financiers, techniques et humains pour l’accompagner. En somme, la sobriété nécessite une réelle planification, nécessaire à court, moyen et long terme pour s’adapter à vivre dans un monde où l’énergie deviendra de plus en plus rare et chère.

Bien loin de la planification écologique pourtant désormais dans les mots prônée par le gouvernement, il semble ne s’appuyer que sur une logique libérale : le marché et les individus plutôt que l’État et le collectif.

Introduction

La crise énergétique et les risques d’approvisionnement accrus ont poussé un gouvernement acculé à proposer un plan de sobriété visant à réduire en l’espace de deux ans la consommation énergétique de 10 %. Ce plan de sobriété souffre de nombreuses lacunes que la présente note analysera avant de proposer des solutions alternatives plus adaptées. Elle est rédigée par un groupe d’ingénieurs et d’économistes et constitue une contribution (voire un appel) au débat démocratique sur la sobriété énergétique et sa centralité dans le cadre de la bifurcation écologique. 

En préambule, pour comprendre l’inadéquation du plan du gouvernement et de son logiciel idéologique à anticiper la raréfaction de l’énergie, il faut évoquer le rôle joué par une énergie abondante dans le développement depuis plusieurs siècles du régime d’accumulation capitaliste. L’énergie est intimement liée aux dynamiques du capitalisme, de la recherche de croissance sans fin, de la mondialisation et de l’extension permanente de la sphère du marché. L’énergie joue un rôle indispensable pour assurer une production démultipliée, pour garantir un débouché à la production et pour permettre la création de nouveaux marchés. 

Le rôle joué par l’énergie dans la sphère de la production capitaliste a notamment été analysé par le sociologue Andreas Malm dans sa théorie du capital-fossile. Malm explique alors que si le travail est « l’âme du capitalisme », la nature et les ressources qu’elle fournit en sont son corps. Sans la nature, les énergies et les ressources nécessaires à la mise en valeur du capital, le processus d’accumulation du capitalisme ne serait pas possible. Les énergies fossiles, qui permettent de démultiplier dans des proportions considérables la production d’un travailleur, sont l’adjuvant parfait et le corollaire nécessaire au processus de mise en valeur du capital par le travail humain. Les énergies fossiles sont les auxiliaires de la production capitaliste. Ils sont, dit Malm, le « levier général de production de survaleur ». Sans énergie abondante et bon marché pour mettre en valeur le capital, la logique du capital s’effondre.

À l’autre bout de la chaîne, l’analyse critique du capitalisme montre comment la production doit constamment faire face à des crises de débouchés pour écouler sa surproduction. Notre système économique, s’appuyant sur l’énergie, utilise un arsenal infini d’outils pour accroître les possibilités de consommation et générer de nouveaux besoins de plus en plus artificiels. En analysant les modes de vie de la classe dominante, l’économiste Thorstein Veblen montre qu’elles sont constamment à la recherche d’honneurs et d’actes socialement valorisés. Celle qu’il appelle la « classe de loisir » tente par tous les moyens de se différencier par un travail non-productif et des consommations qui lui sont liées. Ainsi, Veblen analyse comment des « consommations ostentatoires » se mettent en place pour permettre à la classe dominante de se démarquer des autres, lui servant par là-même de marqueur social. Ces pratiques entraînent une dynamique d’imitation par les « classes inférieures » (telles qu’il les nomme), menant à une rivalité en cascade : chaque classe tente d’imiter celle au-dessus d’elle et de se différencier de celle qui est au-dessous. Le capitalisme, basé sur le développement accru de la propriété privée, des inégalités et de la concurrence entre classes est à l’origine de cette structure sociale et psychologique qui nous pousse à utiliser toujours davantage d’énergie dans la sphère de la consommation.

Enfin, la jonction entre la sphère de la production et celle de la consommation se réalise dans l’échange et la circulation des marchandises : entre 10 et 15 % des consommations énergétiques sont réalisées par le fret routier, maritime ou aérien. Or, selon l’historien Fernand Braudel, c’est bien la capacité à organiser des échanges lointains qui permet d’enclencher la dynamique du capitalisme et de se détacher d’une simple économie de marché locale. L’énergie abondante permet au système économique de trouver de nouveaux débouchés, de créer de nouveaux marchés aux quatre coins du globe et de rapprocher à chaque instant la production de la consommation. Ainsi, la difficulté du logiciel néolibéral à diminuer ses consommations énergétiques s’explique par l’intrication profonde entre les mécanismes capitalistes et néolibéraux et la présence d’une énergie abondante, et ce dans les sphères de la production, de l’échange et de la consommation.

1. La sobriété énergétique : un pilier de la transition écologique et de la souveraineté énergétique du pays

Revue rapide des causes des tensions d’approvisionnement énergétique

Avant d’analyser en détail le plan de sobriété proposé par le gouvernement, il convient tout d’abord de rappeler ce qui a conduit à cette situation de stress énergétique. Les trois principaux vecteurs énergétiques utilisés en France sont l’électricité, le gaz et le pétrole. Les hivers qui viennent voient arriver des risques importants particulièrement sur les approvisionnements électrique et gazier. Comment une telle situation a-t-elle pu se produire ?

En ce qui concerne l’électricité, le risque de tension accru s’explique par une diminution depuis plusieurs années de la marge de sécurité du système électrique avec de moins en moins de capacités pilotables auxquelles faire appel en urgence, signe de l’absence de planification du système électrique. Le gestionnaire du réseau, Réseau de transport d’électricité (RTE), identifie les principales raisons justifiant l’alerte sur l’approvisionnement cet hiver :

  • L’indisponibilité accrue du parc nucléaire cet hiver en raison des nombreux travaux et vérifications en cours sur l’ensemble des réacteurs. À date du 20 novembre 2022, 26 réacteurs faisaient l’objet de travaux de maintenance. À titre indicatif, EDF ne devrait pouvoir fournir cet hiver qu’une puissance de 40 gigawatts (GW) alors même que ce chiffre monte d’habitude à 50 ou 60 GW ;
  • Les faibles réserves des barrages hydrauliques, liées au manque de précipitations cet été et donc aux conséquences du changement climatique. Depuis début novembre, toutefois, les stocks sont revenus à un niveau dans la normale.

En revanche, RTE note que « le remplissage des stocks de gaz (…) a atteint des niveaux extrêmement élevés du fait d’un début d’automne peu rigoureux et d’une réduction de la consommation de gaz ». Les centrales électriques fonctionnant au gaz pourront donc être appelées sans problème.

Enfin, la marge de sécurité a diminué en raison du retard en matière de développement des énergies renouvelables, notamment en matière de solaire photovoltaïque et d’éolien en mer.

La crise en Ukraine n’explique que marginalement la situation du réseau électrique. Ainsi, pour ce qui concerne le réseau gazier, la guerre en Ukraine a fortement perturbé l’approvisionnement mondial du gaz, même si toutefois jusqu’ici la plupart des livraisons de gaz russe ont été faites en direction de l’Europe. Les stocks de gaz sont pleins en France et plus généralement en Europe, faisant peser plutôt un risque de pénuries à moyen-terme sur la fin de l’hiver et l’année prochaine.Toutefois, l’instabilité de la situation a surtout occasionné une spéculation accrue sur les marchés gaziers, à la fois de la part des pays producteurs qui contrôlent leur niveau de production, et de la part des producteurs et fournisseurs privés, poussant les prix à la hausse, et faisant payer une prime de risque fort incertaine aux consommateurs.

Le rôle primordial de la sobriété dans la bifurcation écologique 

Ces tensions multiples sur l’approvisionnement énergétique imposent donc l’adoption de mesures fortes pour diminuer rapidement la consommation énergétique du pays. Cet objectif coïncide aussi avec l’impératif écologique : l’augmentation exponentielle de l’utilisation d’énergies fossiles, inhérente à la logique capitaliste, est en effet largement responsable de la hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Deux grands leviers peuvent être utilisés pour baisser la consommation énergétique :

  • la sobriété, c’est-à-dire des choix délibérés de non consommation d’énergie via des renoncements à certains usages. L’association négaWatt distingue 4 leviers de sobriété :
    • la sobriété structurelle, qui passe par la redéfinition des conditions spatiales et sociales pour diminuer la consommation d’énergie (par exemple, en aménageant le territoire de manière à réduire les besoins en déplacement) ;
    • la sobriété dimensionnelle, qui implique un dimensionnement des équipements adéquat à leurs usages (à quoi sert par exemple d’utiliser un SUV pour des trajets en ville ?) ;
    • la sobriété d’usage, qui consiste à réduire l’utilisation d’équipements (par exemple en éteignant les lumières ou en baissant le chauffage) ;
    • la sobriété conviviale, qui vise à mutualiser et optimiser les équipements (covoiturage, espaces de co-working…).
  • l’efficacité, qui permet de consommer moins d’énergie pour les mêmes usages, sans perte de qualité ni de quantité, grâce par exemple à l’innovation où la suppression de consommation d’énergies inutiles.

Il faut insister sur cette différence entre les démarches d’efficacité et de sobriété : isoler son logement ou utiliser un moteur de voiture plus performant relève de l’efficacité, puisque cela permet strictement le même confort (se chauffer à une certaine température, se déplacer à une certaine vitesse) à moindre coût énergétique. En revanche, baisser la température de chauffe ou rouler moins vite relève de la sobriété.

Là où la sobriété apporte mécaniquement une baisse de consommation énergétique, l’efficacité peut être suivie d’un « effet rebond », où les gains d’efficacité sont compensés par une hausse des usages (par exemple, augmenter son chauffage après une isolation en conservant une facture énergétique constante). La sobriété est donc le premier pilier à adresser, avant l’efficacité énergétique : rien ne sert de rendre plus efficaces des processus dont on pourrait se passer. Ici, nous nous concentrerons donc uniquement sur la sobriété, qui est l’objet du plan du gouvernement et un enjeu primordial de la bifurcation écologique, et laisserons donc pour l’instant de côté l’efficacité.

Enfin, le développement des énergies bas-carbone est le troisième pilier de la bifurcation écologique. Il permet de décarboner les consommations en les substituant à des énergies fortement émettrices de gaz à effet de serre (pétrole, gaz, charbon) mais ne relève pas de mesures de sobriété.

Notons qu’en permettant une baisse de la consommation énergétique, la sobriété permet de diminuer les importations d’hydrocarbures et d’électricité et renforce ainsi la souveraineté énergétique, la balance commerciale. Elle baisse aussi l’empreinte carbone française puisque celle-ci intègre les émissions dues à la production étrangère d’énergie utilisée par la France.

L’apparition du mot  « sobriété » dans le champ médiatique et politique est en soi une nouveauté, puisqu’il était largement jusqu’ici associé au cliché du modèle « amish » ou du retour à la « lampe à huile ». Elle témoigne d’une prise de conscience du caractère incontournable d’une démarche de sobriété. À très court terme, elle permet d’éviter les pires effets d’une pénurie incontrôlée d’énergie. À court, moyen et long terme, elle est une condition nécessaire de la bifurcation écologique et du sevrage des énergies fossiles.

Comme bien souvent, l’apparition du mot cependant ne signifie pas la pleine intégration de la notion. Ainsi le discours gouvernemental apparaît bien souvent privilégier le mot sur la démarche réelle, révélant une confusion, volontaire ou non, du concept de sobriété. Dans son message d’introduction du plan de sobriété, Elisabeth Borne brouille les lignes entre sobriété et efficacité lorsqu’elle annonce que « [par la sobriété,] nous serons plus efficaces dans notre consommation d’énergie ». De même, lorsqu’elle définit la sobriété comme la « chasse au gaspillage d’énergie », la ministre Agnès Pannier-Runacher parle elle aussi d’efficacité, puisque, par définition, le « gaspillage » d’énergie correspond aux consommations énergétiques qui ne servent à rien : les supprimer ne change donc rien à la qualité ni à la quantité des usages énergétiques.

Malgré ces éléments de langage trompeurs, nombre de mesures proposées par le gouvernement dans ce plan, bien qu’elles puissent être critiquées sur de nombreux aspects, relèvent, elles, de la sobriété : se chauffer moins, rouler moins vite… Il s’agit bien là de renoncements à certains usages énergétiques.

Cependant, en confondant les deux notions d’efficacité et de sobriété, le gouvernement contribue à donner l’illusion que son action n’aura aucune conséquence sur les usages de l’énergie et notre quotidien. Une telle illusion est par définition contradictoire à toute ambition de changement de modèle énergétique et donc de modes de vie, de modes de consommation, pourtant nécessaires à la transition écologique. C’est là la première faille théorique du plan de sobriété.

La seconde, comme nous allons le montrer à présent, est l’absence de prise en compte des inégalités de consommation énergétique.

2. Les inégalités de consommation énergétiques nécessitent des efforts différenciés

Le gouvernement s’est fixé pour objectif une baisse de 10 % de la consommation d’énergie en 2 ans. Il ne dit pas, cependant, comment cet objectif doit-il être compris. S’agit-il en effet d’un objectif global, à atteindre à l’échelle du pays, ou d’un objectif pour chaque acteur, comme le laisse entendre la ministre de la Transition énergétique dans son avant-propos ? Et si l’objectif doit être atteint au niveau global, quelle répartition des efforts faut-il prôner ? Le plan gouvernemental semble faire l’impasse sur cette question pourtant centrale, privilégiant une approche indifférenciée. Pourtant, l’analyse des consommations énergétiques en France montre au contraire de grandes inégalités.

Enseignements de la consommation par secteur et par vecteur énergétique

Pour comprendre la structure des consommations énergétiques en France, il convient d’analyser d’abord leur répartition par secteur et par vecteur énergétique.

En ce qui concerne les consommations par secteur, on observe une répartition moitié-moitié entre les consommations liées aux entreprises (tertiaire, industrie, agriculture et une part du transport) et celles liées aux individus (transport et résidentiel).

En ce qui concerne les vecteurs énergétiques, l’électricité représente 25 %, le gaz 20 % et le pétrole 43 %, le reste correspondant à des énergies renouvelables thermiques.

La réduction des consommations passe donc par des mesures appropriées pour chacun de ces postes de consommation. 

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Figure 1 : Consommation d’énergie finale par secteur en France. Source : MTE, Bilan énergétique de la France, 2019

Une société traversée par de profondes inégalités énergétique

Les consommations énergétiques cachent de profondes inégalités dans leur répartition. Selon le volet le plus récent de l’enquête budget des ménages de l’Insee (2017), les ménages les plus riches (dixième décile, i.e. les 10 % les plus riches parmi les ménages) ont une dépense énergétique deux fois supérieure à celle des plus pauvres (premier décile, i.e. les 10 % les plus pauvres parmi les ménages) (Figure 2). Ces dépenses représentent 6 % du budget pour le premier décile et 4 % de celui du dernier décile, soit un tiers de moins (les dépenses totales liées au logement représentent respectivement 23 % et 12 % en moyenne). 

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Figure 2 : Dépenses énergétiques des ménages par décile. Source : Insee, Enquête budget des ménages, 2017.

En isolant les consommations énergétiques résidentielles pour l’électricité et le gaz à l’échelle des communes, on observe une relation nette et positive entre le revenu médian par habitant de la commune et la consommation énergétique (Figure 3). Autrement dit, plus les habitants d’une commune sont riches, plus la consommation d’énergie est importante.

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Figure 3 : Consommation énergétique annuelle moyenne par habitant en fonction du revenu médian de la commune de résidence (hors montagne). En rouge : hors unité urbaine ; en bleu : au sein d’une unité urbaine. La courbe tracée en noir montre l’augmentation de la consommation d’énergie en fonction du revenu médian de la commune. Source : Données RTE 2018

Une autre étude menée uniquement sur les communes de la petite couronne parisienne et ne disposant pas de réseaux de chaleur sur leur territoire conduit même à des écarts de consommation énergétique encore plus importants : en moyenne, tout doublement du revenu se traduit par une hausse de la consommation de d’électricité et de gaz de 80 %. Dans notre échantillon, les habitants des villes présentant les revenus médians les plus faibles (en grande majorité en Seine-Saint-Denis) consomment ainsi deux à trois fois moins d’énergie que les habitants des villes les plus riches de la petite couronne (ex : Marnes-la-Coquette dans les Hauts-de-Seine) (Figure 4). 

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Figure 4 : Relation entre consommation d’énergie résidentielle par habitant et revenu médian de la commune de résidence sur la petite couronne parisienne. Source : Ministère de la Transition Écologique, données 2019.

Enfin, dernière illustration de ces écarts de consommation énergétique en fonction des revenus : les logements parisiens des arrondissements les plus aisés consomment deux à cinq fois plus d’énergie que les autres (Figure 5).

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Figure 5 : Consommation annuelle réelle de gaz et d’électricité pour le chauffage en 2018 à Paris (en kWh/habitant). Source : Agence parisienne d’urbanisme.

Ces très fortes inégalités de consommation énergétique résidentielle peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs, comme la surface des logements, la température de chauffage ou le taux d’équipement du ménage en appareils électroménagers, informatiques et autres. À ce titre, rappelons que les taux d’équipements de possessions matérielles entre les ménages varient parfois du simple au triple selon les niveaux de revenus (Figure 6). 

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Figure 6 : Taux d’équipement des ménages en fonction de leurs revenus pour différents équipements. Source : INSEE, Enquête budget des ménages, 2017.

De plus, le plan de sobriété ne concerne que les dépenses énergétiques directes mais n’envisage pas de sobriété matérielle et donc d’économie de l’énergie – et des autres ressources naturelles – indirectement consommées car incorporées dans les biens matériels consommés.

Des inégalités de consommation énergétique qui se retrouvent au niveau des émissions de gaz à effet de serre

Des inégalités fortes structurent les émissions de gaz à effet de serre, avec une responsabilité accrue des 10 % les plus riches. En France, les 10 % les plus riches sont ainsi responsables de 28 % des émissions, soit autant que les 50 % les plus pauvres du pays. Les 1 % les plus riches sont responsables de 8,5 % des émissions du pays (Figure 7). Par ailleurs, les émissions sont très fortement liées aux consommations énergétiques, et plus spécifiquement d’énergies fossiles, qui représentent 70 % de l’énergie finale consommée. 

Population1 % les plus riches10 % les plus riches (dont les 1 %)40 % suivants 50 % les plus pauvres 
Bilan carbone individuel (en tonnes de CO2eq)70,6249,45
Part des émissions de CO28,3 %28 %44 %28 %
Figure 7 : Bilan carbone et responsabilité dans les émissions de CO2 de différentes couches de la population française. Source : Calcul des auteurs à partir du World Inequality Database
Figure 8 : Effort à faire en matière de réduction des émissions pour respecter les accords de Paris en 2030 selon le groupe de revenu. La population totale doit en moyenne réduire ses émissions de 45 %. Les 50 % les plus pauvres, de 3 % ; les 40 % de la classe moyenne, de 48 % et les 10 % les plus riches de 61 %. Source : Global Carbon Project.

Ainsi, afin d’atteindre l’objectif d’émissions en 2030 d’une trajectoire compatible avec les accords de Paris, les 10 % des Français les plus riches doivent diminuer de 61 % leurs émissions tandis que ceux du bas n’ont qu’un effort de -3 % à faire (Figure 8).

Les émissions annuelles des 50 % les plus pauvres sont donc déjà presque au niveau requis par l’Accord de Paris sur le climat en 2030. En revanche les 10 % du les plus riches devraient réduire leur émission de 60 % d’ici à 2030 pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris.

Au vu de ces différents éléments, une baisse de la consommation énergétique indifférenciée pour tous les Français paraît profondément injuste.

3. Un plan de sobriété gouvernemental insuffisant, court-termiste et profondément inégalitaire

Une absence de prise en compte des inégalités socio-économiques

Baisse de la température de chauffage, incitation au covoiturage… En demandant un effort indifférencié de réduction des consommations énergétiques pour chaque Français, le gouvernement ne tient pas compte des inégalités de consommation énergétique qui viennent d’être exposées. Considérons les deux secteurs les plus énergivores et touchant directement la population : le transport et le logement.

Le transport représente 32 % de nos consommations d’énergie finale. Ce secteur est donc un levier majeur de réduction des consommations énergétiques. Là aussi, une analyse simple montre des inégalités importantes dans la répartition de ces consommations énergétiques : les 10 % les plus riches (le décile le plus élevé émettent jusqu’à trois fois plus de gaz à effet de serre que les autres (Figure 9). Il y a donc là un gisement important de réduction des consommations énergétiques, à condition de cibler dans les mesures prises les populations les plus riches, qui se déplacent plus et ont davantage recours au transport aérien.

Or, les quelques mesures annoncées dans le plan de sobriété ne prennent pas la mesure de cet enjeu. Certaines sont simplement des rappels de ce qui existe déjà (forfait mobilités durables) ou des considérations très générales et non ciblées (« Lorsque cela est possible, le report de la voiture ou de l’avion vers le train sera recherché »). Aucune mesure concrète et contraignante n’est annoncée, et encore moins de remise en cause des politiques structures qui affaiblissent l’offre de transports en commun (ouverture à la concurrence, fermetures de petites lignes).
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Figure 9 : Inégalités d’émissions liées au transport : moyenne par décile de niveau de vie, segmentée selon les types de mobilité.

Le constat est le même pour le secteur des bâtiments. Sa mesure phare est l’appel aux Français à régler leur température de chauffe à 19 °C. Là aussi, cette mesure est indifférenciée. Pourtant, la consommation énergétique en la matière est très loin de l’être : 12 millions de Français sont en situation de précarité énergétique,, et les logements parisiens des arrondissements les plus aisés consomment deux à cinq fois plus d’énergie que les autres (voir figure de la section précédente). Cette inégalité face aux températures est en particulier la conséquence de la surreprésentation des ménages les plus pauvres dans les passoires thermiques. 

Ainsi cette indifférenciation et l’absence de tout ciblage des comportements les plus énergivores contribue-t-il au caractère à la fois injuste et inefficace du plan.

De plus, la proposition de prime faite par Total Énergies sur les factures d’électricité des ménages qui arrivent à baisser leur consommation énergétique d’au moins 5 % entre le 31 novembre et le 1er mars risque d’empirer le confort de certains ménages déjà précaires. 

En effet, les ménages pauvres ont davantage intérêt à prendre en compte cette incitation financière, alors qu’ils disposent de marges de manœuvre en la matière plus faibles, leur consommation énergétique par personne étant déjà très nettement inférieure. Pour atteindre cet objectif, ils seront donc contraints à réaliser des efforts qui impacteront négativement davantage leur bien-être, pour des économies financières finalement peu importantes. 

À l’inverse, les ménages les plus riches, dont la consommation énergétique par personne est largement supérieure, disposent de postes de consommation faciles à réduire sans impacter leur bien-être, mais qui conduiront à des économies financières bien plus élevées. 

La logique dite « incitative » consiste à récompenser les baisses de consommation. Elle conduit donc nécessairement à un effet injuste où les pauvres sont davantage touchés dans leur bien-être, pour des gains substantiellement moins importants. Une autre logique aurait pu être adoptée : la réduction des factures pour les basses consommation (plutôt que les baisses de consommation) associée à des mesures contraignantes visant à la baisse des hautes consommations.

Le traitement de faveur accordé aux entreprises

Enfin, ce plan de sobriété accorde un traitement de faveur particulier à des acteurs responsables de près de la moitié de la consommation énergétique du pays : les entreprises. 

Le vocabulaire du plan de sobriété fait transparaître clairement la stratégie envisagée à l’égard du secteur privé : les acteurs privés sont « sensibilisés », « concertés », « mobilisés », pour identifier des mesures qu’ils sont « incités », « encouragés » à « favoriser » ou « soutenir », alors même qu’elles relèvent souvent de la loi, comme par exemple l’interdiction de chauffer les bureaux à plus de 19° C.

Le secteur public, lui, fait en revanche l’objet de mesures contraignantes : baisse de la température dans les bâtiments publics, fermeture d’équipements sportifs ou de services publics. Pourtant, ces mesures impactent bien davantage l’ensemble de la population, et singulièrement les ménages les plus pauvres, qui dépendent davantage des services publics et y ont davantage recours. À Paris par exemple, alors que certaines piscines municipales ferment, le complexe privé Aquaboulevard continue à vanter son « Eau à 29°C » en page d’accueil de son site internet.

Le plan de sobriété gouvernemental ne prévoit pas les moyens de ses ambitions

L’indifférenciation du plan du gouvernement se traduit également par la faiblesse des mesures d’accompagnement prévues pour les acteurs qui ne peuvent réaliser seuls les démarches de sobriété. Les petites entreprises et les collectivités, notamment, sont particulièrement confrontées à la hausse des coûts sur le marché de l’énergie et la plupart n’ont pas les moyens de réaliser les investissements nécessaires à la baisse de leur facture. Pourtant, en ce qui concerne les collectivités par exemple, les mesures prévues relèvent soit d’une incitation à des mesures de sobriété difficiles à mettre en œuvre sans ressources nouvelles dédiées, comme la rénovation des équipements publics énergivores ou encore de l’éclairage public ; soit à des mesures de baisse de qualité dont l’acceptation sociale à long terme semble difficile, comme la baisse de température dans les locaux ou dans les piscines.

À ces orientations ne répond aucune évolution substantielle des programmes de soutien, notamment ceux portés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), condition pourtant essentielle de leur concrétisation.

Cela conduit à une forte pression financière sur les collectivités et les PME-ETI (petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire). N’ayant pas accès aux tarifs réglementés, elles doivent en effet contracter sur le marché de détail pour couvrir leur consommation d’électricité ou de gaz. Elles sont donc tributaires des fluctuations du marché de gros et les élus, gestionnaires de services publics (transports, piscines, chaleur), ou dirigeants de petites et moyennes entreprises se retrouvent alors démunis face au marché. 

En refusant toute dérogation à la règle européenne en matière d’organisation du marché de l’énergie, le gouvernement fait ainsi le choix de laisser le signal prix orienter les efforts d’efficacité énergétique et les choix de sobriété du secteur privé et des corps intermédiaires : il fait le pari du marché plutôt que de l’effort planifié et coordonné. Les derniers indicateurs montrent que nombre d’entreprises réduisent leur consommation énergétique, notamment dans le secteur industriel, ce qui conduit au risque majeur de la baisse des capacités productives, et donc un risque accru pour l’économie et la souveraineté industrielle.

L’effet du signal prix – nommément, une hausse des tarifs à des niveaux inédits, portée par la spéculation sur les marchés à terme – peut certes pousser les entreprises, collectivités et associations qui en ont les moyens à une démarche de réduction durable de leur consommation. Mais, dans le même temps, elle frappe durement les plus fragiles (artisans, collectivités paupérisées, tentatives de production en France), qui ne peuvent engager une telle démarche seuls, et les contraint soit à l’arrêt d’activité, soit à des efforts de sobriété peu acceptables sur le long terme. Au-delà du très court terme, cette politique d’augmentation des coûts fixes conduirait ainsi à la fragilisation de pans entiers des services publics ou du tissu industriel restant en France.

En haut de la planification, un grand absent : l’État planificateur

Nous avons pointé ainsi plusieurs failles majeures du plan de sobriété : l’absence de prise en compte de la dimension inégalitaire des consommations énergétiques, l’individualisation excessive des mesures proposées, et l’absence totale de contraintes sur les entreprises ainsi que de programmes de soutien à la hauteur des efforts à engager. Ce plan de sobriété est aussi le signe de l’absence de réflexion sur le rôle de l’État pour adopter un mode de vie moins énergivore sur le long terme. 

En effet, ce plan de sobriété est très insuffisant au regard du calendrier des réponses qu’il apporte. Alors même que la sobriété doit nécessairement être, comme nous l’avons souligné, un pilier de la bifurcation écologique et énergétique à engager dès maintenant pour atteindre une réduction jusqu’à 50 % de nos consommations énergétiques d’ici 2050, les mesures du gouvernement semblent avoir comme seul objectif de répondre à la situation de crise et de tension accrue sur les réseaux énergétiques pour les deux années à venir. Il ne prévoit aucune mesure au-delà de ce terme ; ni même n’envisage une démarche de moyen ou long terme visant à l’adaptation de nos modes de vie vers un modèle moins consumériste.

Pourtant, la sobriété, au même titre que l’ensemble des changements structurels que le pays devrait mettre en place pour répondre à la crise climatique et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, nécessite une stratégie anticipée, de long terme, et de moyens financiers, techniques et humains pour l’accompagner. En somme, la sobriété nécessite une réelle planification, nécessaire à court, moyen et long terme pour s’adapter à vivre dans un monde où l’énergie deviendra de plus en plus rare et chère.

Bien loin de la planification écologique pourtant désormais dans les mots prônée par le gouvernement, il semble ne s’appuyer que sur une logique libérale : le marché et les individus plutôt que l’État et le collectif.

4. Des pistes pour un plan de sobriété juste et ambitieux

Pourtant, d’autres mesures de sobriété auraient été possibles, y compris à court terme. La présente note propose des pistes à court terme, dont la mise en œuvre permettrait d’atteindre au minimum plusieurs dizaines de TWh de réduction supplémentaire par rapport au plan du gouvernement, ainsi que des pistes à long terme qui pourraient être mises en débat pour une sobriété démocratiquement choisie et planifiée.

Les pistes suggérées, comme l’ensemble de cette note, doivent être vues comme une contribution, un éclairage de techniciens de l’énergie au débat démocratique sur la sobriété. Celui-ci n’est en la matière pas une option ou une formalité à expédier. Il est absolument indispensable qu’il se tienne dans de bonnes conditions, à la fois au parlement et au travers d’autres expressions populaires. C’est la condition incontournable pour la mise au point d’un plan à la fois juste et efficace. Le terme de « sobriété choisie » que nous utilisons reflète bien cela. Tout comme l’inscription dans nos mesures de moyen et long-terme de nouvelles institutions démocratique pour la planification écologique.

À court terme (deux ans) : des pistes de sobriété ciblées sur les plus riches

À court terme,plusieurs dizaines de 50 TWh supplémentaires pourraient être économisés par des mesures simples et immédiates. Les gisements de sobriété mobilisables présentés ici relèvent essentiellement des sobriétés dites conviviales et d’usage (cf. Introduction). Ils reposent sur des changements de pratique et d’ordre réglementaire dans la France actuelle

À ce titre, l’appropriation de ces gisements par l’ensemble des acteurs de la société, y compris les entreprises et administrations, à hauteur des possibilités et des responsabilités de chacun permet de garantir l’effectivité des mesures de sobriété. 
Ces pistes s’inspirent notamment des propositions de négaWatt et prennent en compte les inégalités de consommation. Elles visent les plus gros gisements immédiatement accessibles de sobriété identifiés ainsi que la nécessaire exemplarité des plus consommateurs (les plus riches) et des grands symboles de la société de consommation. Elles ne sont pas contradictoires avec certaines mesures du plan de sobriété gouvernemental, et ne nient pas l’importance des gestes individuels : elles proposent en revanche d’aller beaucoup plus loin.


Des pistes de court-terme pour réduire notre consommation rapidement

Transversal

Piste : Interdiction des consommations énergétiques inutiles et ostentatoires

La fiction comme l’histoire sont riches d’exemples d’étalage voire de gaspillage délibéré des ressources les plus rares et les plus vitales en vue de marquer symboliquement une domination. S’il reste saisissant, le spectacle offert par les ultrariches (déplacements évitables en jet ou en hélicoptère, vacances en yacht) trouve ici une forme de cohérence. Ce groupe ultraminoritaire semble astreint de toute contrainte en dilapidant des ressources en hydrocarbures de plus en plus rares (les Français dépendant de leur voiture en souffrent depuis des mois) et en menaçant sciemment le seul équilibre climatique compatible avec la vie telle que nous la connaissons. En réalité, le mode de vie des milliardaires vise à marquer un ensemble de privilèges qui deviennent insupportables pour une part grandissante de la population. Dans le contexte de tension que nous connaissons, attendre d’eux qu’ils renoncent à ces accès de démesure relève de la logique élémentaire, puisqu’à peu près tout le monde s’en passe déjà.

À ce titre, une interdiction temporaire (et moyennant bien sûr certaines dérogations pour des services essentiels) paraît indispensable. Cette mesure est un marqueur politique fort qui suscitera d’immenses résistances : la France, qui organise certains événements qui doivent en partie leur renommée à la présence de ces ultra riches (festival de Cannes, fashion weeks), imposerait à tous de passer par l’aviation commerciale classique pour atterrir sur son sol. En lien avec la régulation de la publicité évoquée plus bas, cette mesure vise à relâcher la pression imposée par le matraquage consumériste, pour n’insuffler à personne le désir de devenir milliardaire.

Piste : Généralisation des tarifications progressives et dissuasives pour répartir l’effort en tenant compte des inégalités

À très court terme, il paraît judicieux de lever le bouclier tarifaire et les remises à la pompe pour les plus gros consommateurs et les plus aisés.

Plus les ménages sont aisés, plus leur consommation énergétique est importante, tandis que les plus modestes subissent davantage le poids des factures. Pour les 10 % les plus modestes, la part du revenu du ménage consacrée aux dépenses énergétiques est environ 5 fois supérieure à celle des 10 % les plus aisés. Il est donc urgent de mettre en place une tarification progressive du gaz et de l’électricité et de permettre à chaque ménage, quels que soient ses revenus, de disposer d’un quota d’énergie gratuit pour couvrir ses usages de première nécessité et garantir un confort satisfaisant. Au-delà de ce seuil, la consommation d’électricité sera facturée selon un barème dissuasif : ainsi les consommations les plus excessives seront le plus mises à contribution et découragées, et à l’inverse, une majorité des foyers verront leur facture d’électricité diminuer. 

À court et à moyen termes, les tarifications progressives et/ou indexées sur les revenus sont un moyen très efficace de suivre une trajectoire de baisse de consommation déterminée dans le cadre de la planification énergétique. Elles permettent d’imposer un report d’usage à ceux qui ont les moyens de le financer tout en protégeant les plus défavorisés dans l’attente de changements structurels qui permettront une bascule globale vers la sobriété.

Bâtiments tertiaires

Comme le montre le non-respect des règles actuelles de chauffage et climatisation dans les bâtiments, des mesures fortement incitatives, voire relevant de l’obligation avec possibilité de contrôles réels, sont nécessaires pour accéder aux gisements sur le chauffage des bâtiments en plus des simples campagnes de communication. Ces mesures doivent s’accompagner d’efforts symboliques en matière d’éclairage des grands monuments, d’extinction des écrans publicitaires et de toute autre action contribuant à la prise de conscience, notamment parmi les catégories les plus favorisées et consommatrices, de la nécessité d’être plus sobre. Deux mesures-clés sont présentées ici.

Piste : Contrôle du respect des règles en matière de chauffage et de climatisation dans les bâtiments tertiaires

Le simple respect des règles de chauffage (19 °C maximum) et de climatisation (26 °C minimum) engendrerait une économie d’environ 6 TWh à court terme si 25 % des surfaces tertiaires les applique et 25 TWh à moyen terme si 80 % des surfaces appliquent la réglementation. Afin d’améliorer l’application effective de ces règles, on pourrait imaginer d’en intégrer le contrôle aux visites de l’inspection du travail ou mobiliser des agents de l’Ademe dans le cadre de visites « économies d’énergie » plus approfondies. Cela pose toutefois la question des moyens humains disponibles des services de l’État pour réaliser ces contrôles dès aujourd’hui. On pourrait aussi concentrer les efforts d’incitation et de contrôle sur les gestionnaires techniques de bâtiments responsables de la plupart des surfaces tertiaires. Dans la mesure où ces bonnes gestions engendrent des diminutions de leur facture énergétique, les exigences des entreprises vis-à-vis des gestionnaires techniques de leur bâtiment devraient être rehaussées et constituer un fort levier d’action dans le contexte actuel.

De plus, l’extinction des ballons d’eau chaude sanitaire, hors douches, dans tous les bâtiments non-résidentiels conduirait à supprimer une consommation d’énergie de l’ordre de 2 TWh.

Piste : Arrêt des ventilations, climatisation et chauffage en inoccupation 

Dans le même ordre d’idée, et avec éventuellement les mêmes moyens de contrôle, l’arrêt des ventilations, climatisation et chauffage pour les bâtiments inoccupés plus de 24h d’affilée (écoles, commerces, locaux, bureaux tertiaires) permettrait des baisses de consommations énergétiques importantes. Appliquer ce principe à 30 % des bâtiments concernés permettrait l’économie d’environ 6,5 TWh, la ventilation seule représentant 5,3 TWh. À terme, en généralisant cette logique là où c’est possible, environ 20 TWh sont évitables. 

Bâtiments résidentiels

Les bâtiments résidentiels ont la double particularité de représenter des économies d’énergie accessibles à court terme et d’être marqués par de fortes inégalités de consommation d’énergie en fonction du revenu des ménages (cf. supra). À ces deux titres, il faut concentrer les efforts de sobriété là où les consommations d’énergie sont les plus grandes et les mesures de soutien aux ménages les plus précaires sans faire reposer sur eux les contraintes les plus importantes. 

Piste : Renforcement des programmes de soutien et d’accompagnement des ménages et du petit tertiaire vers une consommation basse

La norme ne suffit pas à faire évoluer totalement les usages privés : le chauffage est déjà théoriquement limité à 19° C (art. R. 241-26 du Code de l’énergie) et la climatisation à 26°C (art. R. 241-30 du Code de l’énergie) dans les bâtiments résidentiels. Un vaste plan de communication porté par tous les acteurs institutionnels (État, fournisseurs d’énergie, bailleurs sociaux…) existe déjà à l’heure actuelle et pourrait être renforcé en imposant des créneaux publicitaires dédiés dans tous les médias. Ce plan, en insistant sur les bonnes pratiques de chauffe en inoccupation, l’action individuelle sur les appareils en veille ou le port de vêtements chauds en intérieur pourrait mobiliser entre 10 et 25 % des ménages et supprimer une consommation de l’ordre de 8 TWh. Notons qu’un tel plan est nécessaire mais clairement insuffisant. 

Pour les fournisseurs d’énergie, les primes de « bonnes pratiques » devraient valoriser des consommations basses et non des baisses de consommation. En effet, il est plus facile pour un ménage aisé plus équipé (cf. figure 5) et plus consommateur (cf. partie II) de limiter ses consommations superficielles qu’un ménage précaire à la consommation déjà restreinte pour des raisons budgétaires. Ce serait dès lors double-dividende pour le premier et absence de considération pour le second. L’État, actionnaire important voire majoritaire de la plupart des fournisseurs d’énergie, doit peser auprès d’eux en faveur d’une évolution vers des primes à la consommation basse.

Piste : Obligation d’intermittence pour les appareils en veille & Réglage d’usine des appareils de chauffe et de climatisation en accord avec les réglementations 

L’extinction des appareils en veille et l’organisation de l’intermittence des box TV et wifi représentent respectivement déjà une économie de 3,4 TWh et 1 TWh si seulement 25 % des logements adoptent ces pratiques. S’agissant des box, il est actuellement possible pour une partie d’entre elles d’être directement réglées pour s’éteindre en cas d’inutilisation prolongée. Ce type de réglage d’usine (pour le neuf) et à distance (pour l’existant, si possible) devrait être imposé aux opérateurs télécom de sorte que la charge ne repose pas que sur l’action individuelle des ménages. La figure 5 montre que les ménages aisés sont aussi les plus équipés en appareils électroniques. Cibler ces ménages en priorité renvoie à un devoir d’exemplarité et de partage des efforts. À terme, ce gisement conduit à la suppression de la consommation d’environ 15 TWh.

La réglementation peut évoluer avec l’obligation de réglage d’usine qui s’intéresse aux nouveaux appareils installés en leur imposant des réglages d’usine à 19 °C pour la chauffe et 26 °C pour le refroidissement. Pour les seules chaudières murales à gaz, ce gisement représente environ 1,4 TWh sur deux ans. Là encore, il s’agit de transférer la responsabilité du bon usage des ménages aux fabricants, mieux informés et maîtrisant leur produit. Le contrôle et l’accompagnement de ces fabricants par des productions documentaires ou des interventions ciblées des administrations et agences de l’État rendent plus rapide le déploiement de ces bons réglages que leur adoption progressive par les ménages.

Piste : Blocage des prix des produits participant à la sobriété des ménages

À l’image du blocage de certains prix par Leroy Merlin, la généralisation de cette logique à tous les fournisseurs de tels produits, éventuellement à partir de la liste initiale des produits visés par la mesure actuelle, permettrait d’extraire le plan de sobriété du simple bon vouloir d’un acteur économique privé. La responsabilité de ce plan se situe en effet au niveau de l’État en tant que garant de l’intérêt général.

Parmi ces produits, quelques-uns méritent une attention particulière. Le calorifugeage extérieur des chauffe-eaux permet l’économie de 3,5 TWh si 90 % des logements où cette action est possible s’équipent. À court terme, négaWatt estime qu’un déploiement dans 15 % de ces logements en 2 ans est réaliste.

Les limiteurs de débit d’eau chaude sanitaire à 2,5 L/min pour les lavabos, 5 L/min pour les éviers et 6L/min pour les douches peuvent réduire d’un quart le puisage total en eau chaude sanitaire sans inconfort. On propose de retirer de la vente tous les modèles gaspilleurs en eau (i.e. dont le débit est considérablement supérieur à ceux cités). Outre le blocage des prix, une subvention pour ces limiteurs peut être envisagée dans la mesure où ces dispositifs sont peu coûteux (5-15 € l’unité) et permettent une économie de 8,2 TWh au total avec un potentiel atteignable en deux ans de l’ordre de 3 TWh.

Enfin, des subventions pour des produits de sobriété ou d’efficacité d’urgence comme les films isolants pour les fenêtres en simples vitrages ou les options de réduction des infiltrations du froid aux fenêtres et portes dans les logements construits avant 1975 sont envisageables, ces gisements d’économie d’énergie s’élevant respectivement à 7 TWh (si 80 % des logements en simple vitrage équipées, à court terme 1,7 TWh accessibles) et à 11 TWh (si 60 % des logements concernés sont équipés, à court terme 1 TWh accessibles). L’installation étant réalisée par les ménages, des tutoriels et de la documentation doivent être produits par les administrations publiques. Ces dispositifs ne doivent pas piéger les ménages qui y auraient recours, probablement les plus précaires, et freiner une rénovation thermique en profondeur de leur logement à cause de gains de confort.

Transports 

Dans les transports, des changements de règles à infrastructures constantes permettent d’accéder à d’importantes diminutions de la consommation de carburant. De plus, les systèmes de contrôle et d’incitation existent déjà (permis de conduire, radars…) de sorte que l’effectivité des mesures semble accessible.

Piste : Interdiction de la vente de SUV et de véhicules particuliers de plus de 1,5 tonnes

Les véhicules de la classe SUV ont envahi le marché automobile français en quelques années au point de constituer 43 % des ventes de voitures neuves en 2021 et d’évincer complètement les « monospaces », véhicules familiaux aujourd’hui retirés des catalogues constructeurs. Pourtant, les SUV se caractérisent par une consommation d’espace disproportionnée, d’un poids gigantesque et d’une utilité nulle car leur plancher trop bas empêche même la majorité des modèles d’envisager une véritable utilisation tout terrain ! 

Ces SUV consomment donc bien plus du fait de leur poids et leur très mauvaise prise au vent. Ils figurent donc en première ligne des surconsommations énergétiques inutiles à supprimer, y compris les modèles électriques. Il conviendrait donc d’interdire la vente et l’importation de véhicules lourds neufs en France.

Il faudra accompagner cette mesure de dispositifs de soutiens forts à l’industrie automobile française dont les marges reposent de plus en plus sur ces modèles lourds, afin de l’aider à transitionner vers des modèles plus légers mais potentiellement moins rentables.

Piste : Enclencher un report modal durable vers les transports collectifs en adoptant une tarification incitative

À court terme, l’adoption d’une tarification incitative pour les transports en commun, notamment les trains régionaux et de banlieues, encouragerait le report modal. Nous rejoindrions un courant européen de tarifications favorables au train : l’Espagne a rendu gratuits de septembre à décembre 2022 ces trains du quotidien, quand ils sont exploités par la Renfe, avec l’ambition d’atteindre 75 millions de trajets gratuits et tous les abonnements de transports en commun voient leur prix diminuer de 30 à 50 %. L’Allemagne a proposé cet été un billet à 9 € par mois pour tous les trains régionaux et réseaux de transport en commun du pays, attirant 52 millions d’abonnés, dont 17 % se sont reportés à cette occasion de la voiture au train. Elle poursuit cette initiative avec un abonnement unique à 49 € par mois. 
En France, le report d’une dizaine de pourcents des utilisateurs de véhicules individuels vers les trains du quotidien permettrait une économie d’énergie de l’ordre de 20 TWh.


Pour le long terme : une planification démocratique de la sobriété

Répondre à l’ambition d’une sobriété juste et choisie nécessite de combiner mesures urgentes, ciblées en particulier sur les plus riches au vu des inégalités qui structurent aujourd’hui les consommations énergétiques, et mesures de long terme visant à la transformation des modes de consommation et de production sur plusieurs décennies pour retrouver un mode d’existence soutenable. 

Nous l’avons rappelé en introduction : la sobriété n’est pas qu’un outil pour faire face aux tensions d’approvisionnement énergétique. C’est d’abord et avant tout le premier pilier de la transition énergétique. Nous proposons ici une voie différente que celle choisie par le gouvernement, fondée sur les mécanismes de marché et notamment sur le signal prix, dont nous avons vu les conséquences profondément inégalitaires : un effort de sobriété collectif, choisi et également réparti, dont la mise en œuvre planifiée permet d’adopter un mode de vie compatible avec les limites planétaires.

Les mesures ainsi proposées se fondent sur le principe d’un effort porté prioritairement sur ceux qui disposent des plus grandes marges de manœuvre et sont responsables des surconsommations les plus importantes, à commencer par les grandes entreprises

Leur mise en œuvre serait conduite selon la méthode de la planification : il s’agit ainsi, d’une part, de considérer que les décisions relatives au mode de production et à l’organisation technique et économique de la société relèvent de choix démocratiques qui doivent être instruits et débattus collectivement ; et, d’autre part, d’affirmer que la puissance publique doit pouvoir se donner les moyens d’intervenir pour mettre en œuvre ces choix et garantir l’intérêt général. 

Nous proposons donc dix pistes de long terme pour permettre une planification sereine et choisie de sobriété et organiser dès aujourd’hui l’atteinte de nos objectifs énergétiques et climatiques de long terme.


Des pistes structurelles pour une planification démocratique de la sobriété

Piste : De nouvelles institutions pour une répartition démocratique de l’effort de sobriété secteur par secteur, usage par usage

La préparation d’une feuille de route vers la sobriété doit s’appuyer sur de nouvelles institutions démocratiques à tous les niveaux. Ces institutions devraient garantir que nous disposons de la quantité d’énergie nécessaire à la vie dans la société que nous voulons tout en mettant fin au dépassement des limites planétaires induit par notre mode de production. Dans chaque domaine, elles devraient s’attacher à faire la distinction entre besoin essentiel d’une population qui augmente et dépense d’énergie superflue pour proposer des objectifs atteignables dans le cadre de ces limites.

Il ne s’agirait pas de déterminer d’hypothétiques niveaux d’investissement optimaux, mais plutôt de soumettre les décisions politiques aux citoyens concernés. 

L’intérêt suscité chez les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat nous semble témoigner de l’intérêt citoyen majeur que peut susciter une démarche de débat démocratique au sujet des mesures à prendre et des moyens à consacrer à la lutte contre le changement climatique, à condition qu’ils aient la garantie qu’elle conduise à des modifications tangibles de notre organisation collective, contrairement aux promesses trahies de la Convention. Cela suppose à la fois qu’elle soit portée politiquement par la puissance publique et politique et qu’elle garantisse le respect des décisions prises, y compris face aux menaces des puissants ou aux remontrances de la Commission européenne. 

Pour appliquer ces propositions, les élus devront pouvoir s’appuyer sur une administration réorganisée et qui disposera des ressources et de l’expertise nécessaires à l’application de la loi.

Piste : Réguler la publicité pour lutter contre le consumérisme

Responsable de l’incitation à la consommation au-delà de nos besoins, l’ensemble du secteur de la publicité devra être régulé, à commencer par les annonces en faveur de produits qui nécessitent beaucoup d’énergie pour les produire ou bien qui sont responsables de fortes consommations d’énergie. Dans un premier temps une régulation forte pourra être proposée pour ce qui concerne les consommations les plus énergivores : SUV, tourisme longue-distance, appareils électroniques surconsommateurs.

Bâtiments

Piste : Réquisition des logements vides & Incitation fiscale pour les colocations, les habitats intergénérationnels et les maisons de vacances partagées

À long terme, la sobriété passe par un levier absolument structurant qui est celui de la stabilisation du nombre moyen de personnes par foyer afin de rester à la moyenne actuelle de 2,2 personnes par foyer. Cette stabilisation permet en effet d’éviter la construction de trois millions de logements supplémentaires en cas de baisse de ce chiffre moyen. Pour cela, la mise en œuvre de mesures de réquisition des logements vides pourrait permettre de diviser par deux leur nombre, passant de 6-8 % à 3-4 % des logements. La mise en place d’incitations fiscales favorisant le développement des colocations, de l’habitat intergénérationnel et le partage des résidences secondaires contribuerait également à maximiser leur taux d’occupation, tout en luttant contre l’inflation sur les tarifs de l’immobilier dans certaines zones très prisées. 

Piste : Organiser une formation aux usages lors de la livraison de tout nouveau bâtiment, l’arrivée de nouveaux occupants ou suite à toute rénovation complète et acte de rénovation structurant d’un bâtiment 

Trop souvent, les mesures d’efficacité (rénovation, construction bas-carbone) peuvent conduire soit à un effet-rebond sur les consommations si elles ne sont pas accompagnées d’un accompagnement et d’une formation suffisante aux usages en direction des occupants. Il pourrait ainsi être organisé de façon systématique, au moment de la livraison de tout bâtiment ou logement neuf, l’arrivée de nouveaux occupants ou la réalisation d’importants travaux de rénovation et de réhabilitation, une étape d’information, de formation à la compréhension des écogestes. 

Piste : Réinvestir massivement dans le logement collectif 

La réduction du nombre de m2 habités par personne via la mutualisation des espaces et l’augmentation de la part de logements collectifs jouera un rôle déterminant dans la réduction des besoins énergétiques pour le logement. Dans une approche plus globale de réaménagement du territoire et de lutte contre l’artificialisation, les logements collectifs doivent donc être la priorité des politiques publiques. 

Transports

Piste : Aménager les territoires pour réduire les besoins de déplacement

Notre modèle d’aménagement est responsable en bonne partie de nos niveaux de consommation en favorisant la construction de maisons individuelles énergétiquement coûteuses et en éloignant spatialement les habitants des lieux essentiels : travail, commerces, services publics. L’ensemble de la stratégie d’aménagement afin de rapprocher chaque habitant des services essentiels, de son lieu de travail et renforcer l’accès aux transports en commun. Plusieurs mesures et orientations structurelles pourraient répondre à cette logique :

  • Assurer la mise en œuvre du Zéro artificialisation nette (prévue dans la loi Climat et résilience pour 2050 avec diminution par deux en 2030)
  • Interdiction de l’installation de services essentiels (zones commerciales, services publics) à l’extérieur ou à la lisière des centres urbaines
  • Densification des centres-villes et des zones autour des gares
  • Revitalisation des centres-villes et installation des commerces essentiels
  • Développement massif des pistes cyclables
  • Favoriser les petites et moyennes villes au détriment des grandes métropoles fortement énergivores
  • Favoriser l’installation d’activités économiques proches des lieux d’habitation des salariés
Piste  : Investir massivement dans les transports décarbonés et en premier lieu dans le train) et le vélo

Le développement des modes de transports bas carbone est essentiel pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Des investissements massifs dans le rail (au moins 8 Mds € / an) et dans les infrastructures cyclables (ainsi que dans la production de vélo et les services associés) permettraient de rendre ces modes de transport plus attractifs et ainsi de faire baisser la part modale dévolue à la voiture. 

Énergie

Mesure : Planifier la souveraineté industrielle énergétique

80 % des panneaux solaires installés en France sont fabriqués en Chine. La relocalisation de cette industrie en France ou du moins en Europe, couplée à une planification des montées en compétences et des reconversions de travailleurs serait une opportunité économique, technologique, géopolitique, mais également environnementale grâce au mix électrique français relativement décarboné, et à la possibilité d’adopter une approche « cycle de vie » favorisant des pratiques comme l’écoconception ou le recyclage.

Mesure : Donner une visibilité sur l’évolution des coûts de l’énergie en les sortant des marchés

Pour que les collectivités, les entreprises et les particuliers soient en mesure d’engager réellement la mise en conformité avec la trajectoire nationale d’efficacité et de sobriété, il est essentiel d’offrir à la fois une tarification raisonnable, qui prenne en compte les investissements nécessaires à la transition énergétique, et surtout prévisible. La visibilité donnée aux acteurs est en effet essentielle pour qu’elles engagent des démarches de rationalisation des consommations d’énergie. 

Pour garantir cela, il convient de se protéger des fluctuations spéculatives du marché de gros, qui causent une hypervolatilité des tarifs de l’énergie. Cela suppose la création d’un pôle public de l’énergie.

Agriculture

Mesure : Favoriser la transition vers une agriculture respectueuse de l’environnement, durable et reposant sur des circuits courts.

Le développement d’une agriculture durable et biologique est une mesure de sobriété d’ampleur en diminuant le recours aux intrants chimiques (fertilisants) dont la production est très intense énergétiquement, en facilitant le développement de circuits courts et en diminuant aussi le niveau de transformation moyen des produits.


Conclusion 

La sobriété est un des trois piliers de la transition écologique au même titre que l’efficacité énergétique et le déploiement des énergies décarbonées. À ce titre, elle est indispensable, mais reste pourtant un impensé des politiques publiques sur la manière de la mettre en œuvre et de planifier l’atteinte de l’objectif de réduction par deux des consommations énergétiques d’ici 2050. 

En matière de sobriété, il serait pourtant possible de prendre rapidement des mesures efficaces à court-terme en ciblant ceux qui consomment le plus, et, à moyen et long terme, en réalisant les investissements structurants. 

La présente note propose des pistes de mesures à court-terme qui permettraient de réduire en deux ans de minimum 50 plusieurs dizaines de TWh supplémentaires (3,5 %) la consommation énergétique de la France. D’ici dix ans, à la mobilisation de ces gisements s’ajouteraient des mesures structurelles pour atteindre des réductions de consommation en ligne avec nos obligations climatiques.

Arsène Ruhlmann & Jean-Baptiste Grenier

Notes de bas de page

  1. BRAUDEL, F. (1977) La dynamique du capitalisme
  2. Les vecteurs énergétiques désignent la forme sous laquelle l’énergie est transportée et utilisée.
  3. La production pilotable (dispatchable en anglais, acheminable au Québec) « comprend les sources d’énergie électrique dont la production peut être modifiée à la demande d’un opérateur de réseau électrique. Il s’agit de centrales électriques qui peuvent, sur demande, être mises en marche et arrêtées, ou dont la puissance peut être ajustée. » – Production acheminable. In : Wikipédia [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Production_acheminable
  4. CHATELIN, Stéphane. Qu’est-ce que la sobriété. Fil d’argent [en ligne]. Hiver 2016, n° 5. Disponible en ligne : https://negawatt.org/telechargement/Presse/1601_Fil-dargent_Qu-est-ce-que-la-sobriete.pdf
  5. Gouvernement. Plan de sobriété énergétique : une mobilisation générale. In : Ministère de la Transition énergétique. Disponible à l’adresse : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf
  6. Les dépenses des ménages en France en 2017. In : Insee.fr. Disponible à l’adresse : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4648335?sommaire=4648339#titre-bloc-14
  7. Agence ORE. Consommation annuelle d’électricité et gaz par commune et par secteur d’activité. In : Open Data Agence ORE. Disponible à l’adresse : https://opendata.agenceore.fr/explore/dataset/conso-elec-gaz-annuelle-par-secteur-dactivite-agregee-commune/information/
  8. Ces chiffres correspondent à peu près à ceux calculés par Thomas Douenne pour l’Institut des politiques publiques. Voir page 10 : DOUENNE Thomas. The Vertical and Horizontal Distributive Effects of Energy Taxes: A Case Study of a French Policy. Energy Journal, 2020, 41 (3), pp. 231-253. Disponible à l’adresse : https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/douenne-thomas/douenne–the-vertical-and-horizontal-distributive-effects-of-energy-taxes.pdf
  9. POTTIER Antonin, COMBET Emmanuel, CAYLA Jean-Michel et al., « Qui émet du CO2 ? Panorama critique des inégalités écologiques en France », Revue de l’OFCE, 2020/5 (169), pp. 73-132. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2020-5-page-73.htm
  10. La précarité énergétique est la difficulté voire l’incapacité à pouvoir chauffer correctement son logement à un coût acceptable.
  11. VASSEUR Victor. 12 millions de Français concernés : la précarité énergétique en cinq chiffres. In : Radio France [en ligne]. 10 novembre 2021. Disponible à l’adresse : https://www.radiofrance.fr/franceinter/12-millions-de-francais-concernes-la-precarite-energetique-en-cinq-chiffres-4135486
  12. Article R. 241-26 du Code de l’énergie. Disponible à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031748167/
  13. KLEIBER, Marie-Anne. À Paris, remous autour de la piscine Pailleron fermée « à cause de la crise énergétique ». In : Le JDD [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.lejdd.fr/Societe/a-paris-remous-autour-de-la-piscine-pailleron-fermee-a-cause-de-la-crise-energetique-4133120
  14. C’est sur le marché de détail de l’électricité que s’opère la fourniture d’électricité aux clients finals (particuliers, entreprises)
  15. Le marché de gros désigne le marché où l’électricité est négociée (achetée et vendue) avant d’être livrée aux clients finals (particuliers ou entreprises) via le réseau.
  16. Voir notamment la note d’Intéret général, PLANIFIER L’AVENIR DE NOTRE SYSTÈME ÉLECTRIQUE, Episodes I et II
  17. Sobriété : négaWatt présente ses propositions chiffrées. In : négaWatt [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://negawatt.org/sobriete-propositions-chiffrees
  18. HENRIET Fanny. « Peut-on vraiment baisser drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre en maintenant des prix de l’énergie bas pour tous ? ». In : Le Monde [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/11/peut-on-vraiment-baisser-drastiquement-nos-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-en-maintenant-des-prix-de-l-energie-bas-pour-tous_6149443_3232.html
  19. INSEE. Les acteurs économiques et l’environnement. Édition 2017.
  20. BEZAT Jean-Michel. En 2021, pour la deuxième année consécutive, les ventes de voitures neuves ont plafonné. In : Le Monde [en ligne]. 3 janvier 2022. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/03/en-2021-pour-la-deuxieme-annee-consecutive-les-ventes-de-voitures-neuves-ont-plafonne_6107994_3234.html
  21. Service de la donnée et des études statistiques, Commissariat général au développement durable. Bilan annuel des transports en 2019. In : Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-annuel-des-transports-en-2019-0

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