Introduction
Pour tenter de faire oublier les deux ans de retraite volée et se poser en défenseur des classes populaires, Emmanuel Macron répète que l’industrie française est à nouveau dynamique. Le pays serait attractif et créerait de nombreux emplois industriels qui garantiraient sa souveraineté.
Rien n’est moins vrai : décryptage des plus gros mensonges industriels du gouvernement.
Intox n° 1 : La France serait le pays le plus attractif d’Europe
Le Gouvernement s’appuie sur un baromètre publié par un grand cabinet de conseil, Ernst & Young[1], dont une des spécialités est l’organisation de l’optimisation et de l’évasion fiscales chez ses clients. Dans ce baromètre, la France est leader en Europe du nombre de projets d’investissements étrangers depuis quatre ans.
En réalité, ce baromètre fait état de résultats médiocres en matière d’attractivité pour la France. En s’appuyant sur le seul nombre de projets, le gouvernement fait l’impasse sur l’indicateur qui compte réellement : le montant total des investissements. Selon ce critère, la France n’est que 7e en Europe et 26e dans le monde en 2021 selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Même en s’intéressant au nombre de projets, le bilan est peu flatteur. La présentation des résultats est trompeuse car elle compare des chiffres bruts, pour des pays de tailles très hétérogènes. En ramenant le nombre de projets à la population des pays classés, la France n’est même pas sur le podium : elle est dépassée par la Belgique, le Portugal, l’Irlande et la Finlande.
Tableau 1 : Top 5 des pays européens en nombre de projets d’investissements étrangers annoncés en 2022 par million d’habitants
Classement | Pays | Nombre de projets d’investissements étrangers annoncés en 2022, par million d’habitants |
1 | Irlande | 36,8 |
2 | Portugal | 24,1 |
3 | Belgique | 20,3 |
4 | Finlande | 18,9 |
5 | France | 18,7 |
Sources : EY, Insee.
La prétendue profusion d’investissements étrangers pourrait laisser croire que de nouveaux sites de production fleurissent partout sur le territoire. Il n’en est rien.
Dans les faits, deux tiers des projets sont de simples extensions de sites existants, alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni attirent bien plus de nouveaux sites. Ainsi, la France compte par rapport à l’Allemagne et au Royaume-Uni respectivement 100 et 210 annonces de nouveaux sites étrangers en moins.
Graphique 2 : Répartition des projets d’investissements annoncés entre projets de nouveaux sites (“greenfield”) et projets d’extension
Source : EY.
Mais surtout, ces investissements étrangers concernent toute la production et pas seulement l’industrie. Lorsque l’on s’intéresse à l’industrie même, le bât blesse plus encore.
Non seulement les projets industriels ne représentent que 43 % des cas compilés par le cabinet, mais ils apportent très peu d’emplois au pays. En France, les projets industriels étrangers créent en moyenne 33 emplois chacun, contre 118 en Allemagne, 64 au Royaume-Uni et 379 en Espagne. Rapporté à la population totale, la France est seulement cinquième en nombre d’emplois créés par ces projets industriels[2].
Tableau 2 : Classement des pays européens en nombre d’emplois créés par les projets industriels étrangers annoncés en 2022 par million d’habitants
Classement | Pays | Nombre d’emplois créés par les projets industriels étrangers annoncés en 2022 par million d’habitants |
1 | Serbie | 1745 |
2 | Irlande | 1125 |
3 | Espagne | 583 |
4 | Pologne | 353 |
5 | France | 263 |
6 | Belgique | 227 |
7 | Royaume-Uni | 165 |
8 | Allemagne | 150 |
9 | Turquie | 125 |
10 | Italie | 119 |
Sources : EY, Insee.
Autre élément contradictoire avec le récit du gouvernement : la dynamique est clairement à la baisse. Si le nombre de projets annoncés a augmenté de 3 % en 2022, le nombre d’emplois créés par ces investissements étrangers a chuté de 15 %.
Même selon les propres critères mis en avant par Emmanuel Macron, l’attractivité du pays se dégrade auprès des investisseurs étrangers : alors que trois quarts d’entre eux estimaient en 2021 que l’attractivité de la France allait s’améliorer dans les années à venir, ils ne sont plus qu’une moitié à le penser en 2023, toujours selon le même baromètre.
Les investissements annoncés lors des sommets Choose France, pris en compte dans le baromètre, souffrent exactement des mêmes maux. Seuls quatre annonces sur dix relèvent de projets industriels : les milliards d’investissements promis lors du sommet 2023 incluent par exemple l’embauche de 200 personnes chez la banque d’affaires Morgan Stanley. En appliquant ce ratio aux promesses d’emplois créés, il n’y aurait que 3 200 emplois industriels nouveaux, soit 32 emplois par département seulement.
Plus fondamentalement, attirer des investissements étrangers ne constitue absolument pas une politique de réindustrialisation.
Dans la plupart des cas, les centres de décision, les brevets et les grands intérêts financiers sont à l’étranger, ce qui rend le site vulnérable à la moindre décision prise par la direction. Le fabricant de roues de trains Valdunes, situé à côté de Valenciennes, est ainsi menacé de fermeture dans le sillage du retrait de l’actionnaire chinois, après s’être approprié les brevets de l’entreprise.
L’insistance du gouvernement sur l’attractivité du pays tend à masquer l’érosion durable et profonde de sa souveraineté industrielle. Miser toute une politique industrielle sur les investissements étrangers, c’est déposséder le pays de son appareil de production et l’appauvrir en profondeur. Cela s’apparente à une ponction des revenus du pays, rapatriés dans les centres financiers de l’entreprise étrangère.
Emmanuel Macron vend littéralement le pays à la découpe en dépensant massivement (baisse de cotisations, baisse des impôts de production et de l’impôt sur les sociétés, etc.) plutôt qu’en mobilisant les capitaux nationaux pour enclencher une véritable réindustrialisation.
Intox n° 2 : Il y aurait de plus en plus d’usines en France chaque année
Sur ce point, le gouvernement s’appuie sur les publications du cabinet Trendeo[3] qui compile les ouvertures et les fermetures de sites industriels chaque trimestre.
Le bilan est là encore clair : la dynamique est dégradée. Alors qu’en 2021, la France a compté 180 ouvertures d’usine pour 59 fermetures, soit un solde net de 121 nouveaux sites, seules 80 créations nettes ont été comptabilisées en 2022.
La situation est encore plus morose en 2023 : au premier trimestre, le cabinet décompte 8 créations nettes d’unités de production seulement. De nombreuses fermetures menacent, comme à Dunkerque où les sites Aluminium Dunkerque et Arcelor Mittal sont sur la sellette.
Pour évaluer le dynamisme de l’industrie française, il faudrait observer les niveaux de productions plutôt que le nombre de sites.
Comme le note Romaric Godin[4], la production manufacturière a baissé en volume de 4,45 % par rapport à 2017, année de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. La chute s’élève même à 6,6 % depuis la mi-2019, alors que la production avait progressé de 1,2 % entre 2012 et 2017[5]
La part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée globale de l’économie a également baissé d’un point depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, alors qu’elle s’était stabilisée depuis 2010.
Enfin, le solde de la balance commerciale de l’industrie manufacturière s’est brutalement dégradé depuis 2017 avec un déficit ayant plus que doublé, passant de 46,8 milliards d’euros à 105,3 milliards en 2022[6]. La France est obligée de toujours plus importer pour répondre à la demande. Le bilan d’Emmanuel Macron, c’est donc bien un effondrement de la souveraineté industrielle.
Intox n° 3 : La France recréerait de l’emploi industriel
Sur le long terme, la chute est vertigineuse. Entre le deuxième trimestre de 1974 et le dernier trimestre de 2022, la France a perdu 2,26 millions d’emplois privés dans l’industrie. Le gouvernement invoque cependant la création de quelques milliers d’emplois dans l’industrie ces dernières années, loin de suffire pour inverser cette tendance profonde.
Le gouvernement manipule les chiffres et joue sur la période considérée : s’il y a certes des créations nettes d’emplois depuis quelques mois, mais il s’agit uniquement d’un rattrapage des nombreuses destructions d’emplois à la suite du Covid. Surtout, le gouvernement affiche l’évolution du nombre d’emplois mais pas la quantité de travail. Des emplois précaires, à temps partiels sont créées mais, au total, le nombre d’équivalents temps plein diminue. Entre le dernier trimestre 2019 et le dernier trimestre 2022, 3 900 équivalents temps plein ont été perdus dans l’industrie manufacturière[7].
Enfin, la part de l’emploi manufacturier dans l’emploi total continue de diminuer et passe même sous la barre des 10 %, à 9,8 % fin 2022. La France est désormais au 22e rang européen sur 27 en matière d’emploi industriel rapporté à l’emploi total. Même constat dans les secteurs haute et moyenne technologie qui représentent 3,8 % du total des emplois, et l’écart se creuse avec la moyenne européenne (5,9 %) depuis 2017[8].
Intox n° 4 : Il faudrait assouplir les contraintes écologiques pour développer l’industrie
Emmanuel Macron a annoncé vouloir faire une « pause » sur la réglementation écologique pour développer l’industrie verte. Les règles, en l’occurrence écologiques, seraient responsables des difficultés de notre industrie.
Mais le dérèglement climatique, lui, ne fait pas de « pause ». Et pour la survie de l’humanité, il n’y a pas d’autre choix que d’entamer une vaste bifurcation écologique. Il n’y a pas lieu de choisir entre la réindustrialisation et le vivant : les deux sont indispensables et il s’agit de trouver les moyens de les conjuguer.
La réindustrialisation doit alors s’engager selon des normes environnementales exigeantes, au service de la bifurcation écologique : il ne peut pas s’agir de construire n’importe quelle usine, mais plutôt de planifier pour changer en profondeur le système productif.
C’est l’exact inverse de l’action d’Emmanuel Macron depuis qu’il est arrivé au pouvoir. De nombreuses entreprises précieuses pour cette bifurcation écologique ont fermé. Au lieu de planifier la transformation des fonderies, essentielles à la bifurcation écologique vers l’équipement de batteries, les composants d’éoliennes ou encore les réseaux électriques, le gouvernement préfère les sacrifier une par une sur les conseils du cabinet Roland Berger. Poitou Fonte, MBF, VMF, Aluminium du Poitou ou encore SAM ont fait les frais de cette hécatombe. En perdant ces savoir-faire, la France se prive d’atouts précieux pour mener la bifurcation écologique.
La réglementation environnementale est au contraire une arme particulièrement efficace contre la concurrence déloyale lorsqu’elle aboutit à interdire l’entrée sur le territoire européen ou national ce qui a été produit dans des conditions sociales ou écologiques dégradées : elle empêche que le prix soit le seul critère de compétition.
Si le gouvernement rend la réglementation responsable de tous les maux, c’est pour éviter de nommer les véritables obstacles que rencontrent l’industrie française : le prix de l’électricité devrait par exemple être la priorité du gouvernement. Pour se conformer aux directives européennes, les tarifs réglementés ont été supprimés pour les entreprises de plus de 10 salariés, ainsi que celles faisant plus de deux millions d’euros de chiffre d’affaires. Surtout, le marché de l’électricité européen conduit les industriels à devoir subir les fluctuations du marché, elles-mêmes totalement décorrélées de la réalité des coûts de production de l’électricité dans l’hexagone. Et la France en défend le maintien.
Le cercle de réflexion proche du patronat la Fabrique de l’industrie[9] estime à 117 000 la borne haute du nombre d’emplois menacés à cause du coût de l’électricité, aujourd’hui la menace la plus immédiate pour l’industrie française. Les prix de l’électricité ont crû de 22 % en 2022 pour les professionnels, et 2023 s’annonce comme une année noire, avec une hausse, hors mesures d’atténuation de l’État, de 92 % pour l’industrie[10] !
Le mégawattheure devrait bientôt culminer à 225 euros en moyenne, quand l’Allemagne, elle, l’a plafonné à 130 euros pour les grandes entreprises, et envisage un plafonnement durable quitte à fausser la concurrence européenne. Cette envolée et cette volatilité des prix pénalisent les industries électro-intensives (papeterie, chimie, sidérurgie…) et dissuadent les entreprises utilisant massivement des énergies fossiles d’électrifier leur process de production ; elles encouragent en outre les comportements spéculatifs.
Le gouvernement poursuit sa course au moins disant, qu’il soit économique, avec la compression des salaires et les baisses de prélèvements sur les entreprises, ou bien écologique. Cette course est pourtant impossible à gagner : rien que dans la zone Euro, le coût horaire du travail dans l’industrie est presque deux fois moins élevé en Espagne par rapport à la France[11]. Les entreprises qui ont mis en place des productions de masques pendant la crise sanitaire sont aujourd’hui frappées de plein fouet par la concurrence chinoise, tuant à petit feu la filière à peine naissante : la production française de masques FFP2 a chuté de 90 % entre fin 2020 et fin 2021[12]. Reconstruire des filières industrielles puissantes passera donc nécessairement par prendre des mesures de protection de la production face au dumping international.
Conclusion
Contrairement à ce que répète le gouvernement, l’industrie française n’est pas sortie d’affaires, loin de là.
La vente à la découpe de l’outil de production aux capitaux étrangers, dont se vante le gouvernement, menace notre souveraineté et ne constitue en rien une réindustrialisation profonde et utile. L’emploi est atone, la production diminue et le coût de l’électricité met en péril de nombreuses activités.
La méthode Macron est éprouvée : comme pour les retraites, le chômage ou le reste de son bilan économique, il impose un récit mensonger pour fabriquer le consentement à des réformes antisociales.