note

Accidents du travail : les victimes invisibles du libéralisme

Note du département de sociologie

par Anaïs Bonanno, Hadrien Clouet

Les accidents du travail en France sont un phénomène social massif : près de 750 000 accidents sur le lieu de travail en 2021, plus de 120 000 accidents de trajet et plus de 65 000 maladies professionnelles.

La France est la 3e pire élève de l’Union européenne en la matière, avec plus de 2000 accidents et plus de 3 morts chaque jour (accidents sur le lieu de travail, sur les trajets et de maladies professionnelles). C’est deux fois au-dessus de la moyenne et juste devant la Lettonie et la Lituanie. Une situation loin d’aller en s’améliorant : la fréquence des accidents ne diminue plus depuis 2014, et même, leur gravité augmente, une inversion historique d’une courbe qui diminuait depuis les premières lois sur le travail, à la fin du 19e siècle.

L’aggravation de la situation s’explique par les politiques libérales de précarisation de ces dernières décennies : intérim, apprentissage, rémunération à l’activité, sous-traitance… Des réformes ont volontairement désarmé les salarié·es face aux exigences de production imposées par les employeurs, avec notamment la suppression des CHSCT, la supériorité donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche, ou encore la suppression de critères de pénibilité. La réduction massive des effectifs de l’inspection du travail (-17 % en 10 ans) a aussi un effet décisif.

Enfin, alors que la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) est excédentaire chaque année (près de 2 milliards en 2023), l’indemnisation comme la prévention restent très faibles. Le patronat fait tout pour faire baisser ses cotisations dédiées à la branche AT-MP, à grands recours de cabinets de conseil cost killer, et le gouvernement rêve de faire main basse sur ce « magot », comme lorsqu’en 2023, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont détourné 800 millions d’euros pour financer leurs réformes des retraites.

 

Synthèse : 
   La France mauvaise élève des accidents du travail
   Les ouvrier·es, les jeunes et les précaires, premières victimes
   Les politiques libérales responsables de cette hécatombe
   Le démantèlement des moyens de l’État
   Les accidents du travail cachés
   La sous-déclaration des accidents du travail
   La triche des employeurs

I. Les accidents du travail n’ont pas disparu

   A. La France, mauvaise élève de l’Union européenne
      1. Les accidents du travail sont nombreux, et les arrêts de plus en plus longs
      2. D’importantes disparités entre secteurs
      3. Des chiffres largement incomplets

   B. Les politiques néolibérales sur les conditions de travail mettent en danger les travailleur·ses

      1. La précarité fait augmenter les accidents du travail
         Intensification
         Précarisation
         Fragmentation
      2. Les politiques publiques de « flexibilisation du travail » aggravent le triptyque intensification – précarisation – fragmentation
      3. L’allongement de la durée du travail favorise les accidents graves

   C. La France ne se donne pas les moyens de la prévention des accidents du travail

II. Les exclu·es des chiffres : la bataille sur le périmètre et la reconnaissance des accidents du travail

   A. Une vision du travail basée sur le salariat de l’ère industrielle
      1. La création de la notion d’accident du travail, compromis entre le patronat et le salariat
      2. La notion d’accident du travail confrontée la définition du travail en emploi

   B. La reconnaissance de l’accident du travail est toujours un enjeu de lutte
      1. Des obstacles institutionnels liés à la complexité des procédures et aux discriminations
      2. Des obstacles liés aux pressions des employeurs sur les salarié·es, encouragés par les discours sur la culpabilisation des salarié·es

   C. La difficile reconnaissance de la responsabilité pénale de l’employeur

III. Une offensive pour mettre la main sur l’argent destiné à la prévention et l’indemnisation
   A. Des conséquences financières de long terme mal compensées
   B. Des conséquences sociales et psychologiques non prises en compte
   C. Face au manque de contrôle, des entreprises à l’affût pour diminuer leurs cotisations
   D. La bataille pour récupérer le « magot » de la caisse AT-MP

Conclusion

Tous les 28 avril depuis 2003, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) commémore la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail. Bien qu’ils soient encore fréquents dans nos sociétés, les accidents du fait du travail représentent aujourd’hui, une « hécatombe invisible »[1]. Si les mutations sociales et économiques ont fait évoluer le type d’accidents, le travail continue de blesser, de handicaper, de tuer[2].

L’histoire sociale de la France est profondément marquée par la lutte pour les conditions de travail et pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. On pense notamment aux mineurs de fond, dont les accidents historiques ont été au cœur de la lutte pour la protection sociale. Ainsi, la catastrophe de Courrières en 1906[3], qui causa le décès de 1 099 personnes, a provoqué un mouvement de grève massif, avec 50 000 mineurs mobilisés, qui déboucha sur l’instauration du repos hebdomadaire en juillet 1906.

Pourtant, dans la période récente, les accidents du travail ne retiennent que très rarement l’attention des médias[4]. Un discours de minimisation des accidents du travail se développe largement, qui véhicule des clichés tels que : « on ne meurt plus au travail aujourd’hui », « le droit du travail est dur pour les employeurs », « c’est la faute de la victime, elle n’avait pas à être là »[5], « aujourd’hui, on forme davantage les jeunes »…

La réalité est tout autre : les accidents du travail sont un fait social massif, et non une somme de faits divers. En 2022, on compte 744 176 accidents du travail déclarés, auxquels s’ajoutent les maladies professionnelles et les accidents sur les trajets domicile-lieu de travail. 738 personnes en France sont mortes sur leur lieu de travail en 2022, soit 2 par jour ! Ces résultats font de la France le troisième pays le plus endeuillé d’Europe dans ce domaine.

Non seulement le nombre d’accidents ne diminue plus depuis 20 ans, mais les « premier·es de corvées », femmes, jeunes et précaires y sont de plus en plus exposé·es. En cause : l’assouplissement des règles sur les conditions de travail, la précarisation grandissante des travailleur·ses et l’affaiblissement des institutions de protection.

Et encore : ces chiffres minimisent en réalité les faits, car ils ne prennent en compte ni le secteur agricole, ni la fonction publique, ni les travailleur·ses indépendant·es. Enfin s’ajoute à ces manques la sous-déclaration, massive, qui est le résultat des obstacles administratifs et des pressions hiérarchiques organisées.

Derrière cette invisibilisation se cache l’idée dominante que les accidents du travail seraient un mal nécessaire et la santé au travail un coût ou une variable d’ajustement. Comme le dit l’avocat des parents de Tom, mort au travail à 18 ans le 25 octobre 2021, qui témoigne dans l’émission « Travail à mort » diffusée sur France 2 en avril 2024 : « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, c’est leur philosophie. Sauf que là, les œufs c’est de l’humain »[6].

Derrière les chiffres se trouvent des vies, des familles frappées par des drames du fait d’un seul et même système : le capitalisme. Comme le dit l’historienne Rima Hawi,« même si le capitalisme a évolué au cours des siècles du capitalisme commercial au capitalisme mondialisé et financiarisé, sous cette diversité, il y a une unité : celle que confère le pouvoir du capital sur les hommes et les choses»[7].

Synthèse :

La France mauvaise élève des accidents du travail

Le rapport de la branche Accidents du travail – Maladies professionnelles (AT-MP) de l’Assurance Maladie de décembre 2022 dénombre, pour l’année 2021 :

  • 744 176 accidents du travail reconnus et indemnisés ;
  • 123 591 accidents de trajet ; et
  • 66 738 cas de maladies professionnelles.

En 2022, l’Assurance Maladie dénombre :

  • 738 décès d’accidents du travail ;
  • 203 décès dus à des maladies professionnelles ;
  • 286 décès d’accidents de trajet.

Ce sont donc 1 227 personnes qui sont mortes en 2022 du fait du travail.

La France enregistre en 2021 l’un des taux d’incidence d’accidents mortels les plus élevés d’Europe : 3,3 accidents mortels au travail en moyenne pour 100 000 travailleur·ses, soit près de deux fois la moyenne européenne, contre moins de 1aux Pays-Bas, en Grèce, en Allemagne et en Finlande.

Les ouvrier·es, les jeunes et les précaires, premières victimes

La fréquence et la gravité des accidents du travail sont particulièrement importantes dans les activités de gros œuvre, de couverture et de charpente, ainsi que dans la manutention de marchandises et de bagages.

Les jeunes de moins de 30 ans représentent 27 % des victimes d’accidents du travail, alors qu’ils et elles représentent environ 15 % des salarié·es. En 2021, on parle de 37 jeunes décédé·es au travail, sur un chantier, en déplaçant des caisses de poulet dans un abattoir, ou sous un arbre en apprenant le métier de bûcheron.

Les politiques libérales responsables de cette hécatombe

La littérature scientifique sur le sujet a identifié plusieurs facteurs accidentogènes dans les réformes concernant le travail menées depuis les années 1990.

Les lois qui ont assoupli l’organisation et la durée du travail, à travers notamment la négociation d’entreprise, de la loi « Fillon » de 2003 aux ordonnances Macron de 2017 en passant par la loi El Khomri, ont eu pour conséquence l’intensification du travail, ce qui a renforcé structurellement le risque d’accident.

Conséquence : la part des salarié·es exposé·es à au moins trois contraintes physiques[8] [SJ1] a presque triplé depuis 1983, de 12,9 % à près de 35 %. En 2015, plus de 40 % des répondants de plus de 55 ans déclaraient ne pas se sentir capables de continuer dans leur travail jusqu’à 60 ans.

Les dispositions qui ont permis le recours plus important au travail précaire, comme les CDD et surtout l’intérim, jouent un rôle important dans le niveau élevé d’accidents du travail et leur sous-déclaration. En effet, ces contrats place les salarié·es dans une position de faiblesse vis-à-vis de leurs patrons pour revendiquer des conditions de travail sécurisées, et cassent les collectifs de travail qui sont de bons facteurs préventifs des accidents[9].

Plus récemment, les réformes en faveur de l’apprentissage ont encore augmenté le nombre de situations accidentogènes. Derrière cette main-d’œuvre bon marché qui séduit le patronat se cache un manque criant d’encadrement, de formation et une précarité grandissante des jeunes travailleur·ses.

Enfin, les attaques contre la place des représentant·es des salarié·es dans l’entreprise favorisent aussi la multiplication des accidents. C’est notamment le cas pour la suppression des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en 2017 par Macron. Aujourd’hui, seuls 46 % des salarié·es sont couvert·es par la commission dédiée rattachée au Comité social et économique (CSE), quand 75 % l’étaient auparavant par les CHSCT.

Le démantèlement des moyens de l’État

En 2020, on compte un·e agent·e de contrôle de l’inspection du travail pour 9 775 salarié·es, contre un·e pour 8 114 salarié·es dix ans plus tôt, soit une baisse de 17 %. La médecine du travail est en crise. 39 % des salarié·es affirment avoir eu une visite médicale en santé-travail dans l’année écoulée : ils étaient 70 % en 2005.

La moindre présence des agent·es de l’inspection du travail sur les lieux de travail réduit significativement la possibilité pour elles et eux d’identifier les risques auxquels les travailleur·ses sont exposé·es. La raréfaction des personnels de santé au travail et celle des visites médicales privent les travailleur·ses d’interlocuteurs et interlocutrices compétent·es pour évaluer leur état de santé.

Les accidents du travail cachés

Les travailleur·ses indépendant·es, comme les professions libérales, ne sont pas inclus·es dans le décompte des accidents et des maladies professionnelles fait par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Cela comprend notamment tous·tes les travailleur·ses ubérisé·es.

Certains accidents ne sont pas non plus reconnus comme tels, soit parce qu’ils sont intervenus chez soi, lors d’une journée de télétravail, soit parce que les lésions n’ont pas entraîné d’arrêt immédiat de travail, mais quelques heures plus tard…

Enfin, les risques psychosociaux sont moins reconnus comme risques professionnels. Ils concernent d’ailleurs davantage des métiers féminisés. Le syndrome de burn-out n’est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle dans la loi.

La sous-déclaration des accidents du travail

Les accidents du travail sont structurellement sous-déclarés. D’abord pour des raisons financières : les indemnités journalières, versées en cas d’accident, ne couvrent que 60 % du salaire durant les 28 premiers jours d’arrêt, puis 80 % au-delà.

Ensuite, il faut connaître la procédure au moment même de l’accident : il faut être informé qu’il faut s’arrêter immédiatement de travailler, puis avoir accès à un médecin !

La triche des employeurs

De nombreux employeurs cherchent activement à dissimuler les accidents qui ont lieu dans leur entreprise. En effet, leur taux de cotisation à la caisse AT-MP augmente avec le nombre de déclarations recensées.

Certaines entreprises se font même assister de cabinets de conseils spécialisés dans la contestation des accidents du travail. C’est le cas par exemple de « ATMP Solution », des « spécialistes pour faire baisser les cotisations AT-MP », soit une équipe de 80 personnes qui assure le pilotage prévisionnel des cotisations, orchestre les contentieux sur la tarification et organise des contre-visites médicales.

I. Les accidents du travail n’ont pas disparu

A. La France, mauvaise élève de l’Union européenne

1.     Les accidents du travail sont nombreux, et les arrêts de plus en plus longs

Un rappel de définition s’impose avant toute chose. Un accident du travail est défini non pas par le Code du travail lui-même mais bien par le Code de la sécurité sociale, dans son article L. 411-1. Celui-ci dispose qu’« est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise »[10].

La notion d’accident du travail date de 1898, mais il faut attendre 1954 pour que la Cour de cassation, par sa chambre sociale, énonce les critères repris dans cet article, qui permettent d’identifier ce qui caractérise ou non un accident du travail[11]. Les accidents du travail sont ainsi à différencier des accidents de trajet entre le domicile et le lieu de travail et des maladies professionnelles.

L’Assurance Maladie dénombre, pour l’année 2021, 744 176 accidents du travail reconnus et indemnisés, 123 591 accidents de trajet et 66 738 cas de maladies professionnelles. En cumulant, cela représente 72 010 129 jours d’arrêt de travail pour incapacité temporaire.

Pour l’année 2022, l’Assurance Maladie dénombre 738 décès d’accidents du travail. En comptant les 286 décès d’accidents de trajet et les 203 décès dus aux maladies professionnelles, cela mène à un total de 1 227 décès[12]. On dénombre notamment parmi les décès 36 victimes de moins de 25 ans[13].

On compte donc chaque jour, en France, deux décès d’accidents du travail, plus de 2 000 accidents du travail, 350 accidents de trajet, 300 maladies professionnelles.

Cette situation est étonnante pour un pays industrialisé et qui dispose d’une telle protection sociale. La France enregistre en 2021 l’un des taux d’incidence les plus élevés d’Europe : 3,3 accidents mortels en moyenne pour 100 000 travailleur·ses[14], soit près de deux fois la moyenne européenne, contre moins de 1 par exempleaux Pays-Bas, en Grèce, en Allemagne et en Finlande.

31546
Titre : Nombre de décès liés aux accidents du travail pour 100 000 employés en 2021, par pays.
Lecture : En 2021, l’Allemagne compte 0,8 décès pour 100 000 employés, contre 3,8 en Lituanie.
Source : Tristan Gaudiaut, « Accidents du travail : la France mauvaise élève en Europe », Statista, janvier 2024, URL :
https://fr.statista.com/infographie/31546/accidents-du-travail-nombre-de-deces-pour-100-000-travailleurs-europe-france

Si le nombre d’accidents du travail a diminué au cours du XXe siècle, la baisse a fortement ralenti depuis 20 ans. L’indice de fréquence, qui mesure le nombre d’accidents dans l’année pour 100 000 salarié·es, a chuté de 118 à 38 entre 1955 et 2008. Mais depuis 2014, il stagne aux environs de 34[15].

Plus grave encore : le taux de gravité augmente depuis 20 ans, c’est-à-dire que les durées des arrêts augmentent, ainsi que le nombre de reconnaissances de séquelles indemnisables.

Le taux de gravité des accidents du travail en France est calculé par la formule suivante : (le nombre de journées perdues par incapacité temporaire divisé par le nombre d’heures travaillées) x 1 000. Ce taux est en augmentation depuis 2001[16], ainsi que la durée moyenne des arrêts dus aux accidents du travail, passée de 50 à 85 jours de 2007 à 2020[17].

Le nombre de décès au travail a également augmenté : 2022 est l’année la plus mortifère chez les salarié·es depuis 2010[18] avec un total de 738 décès.

2. D’importantes disparités entre secteurs

Les accidents du travail ont lieu dans des secteurs où l’on effectue des tâches physiques.

Les accidents du travail sont en majorité des accidents liés à la manutention manuelle, qui représente la moitié des accidents entraînant 4 jours d’arrêt ou plus. Les chutes de plain-pied et les chutes de hauteur sont également fréquentes, avec respectivement autour de 16 % et de 13 % des accidents avec 4 jours d’arrêt ou plus. Ces types de lésions sont également les premiers responsables des décès (respectivement autour de 15 %, 7 % et 18 %), avec les risques routiers (21 % des décès en 2022)[19].

Les secteurs comptant le plus d’accidents sont ceux du BTP, du travail temporaire, de l’action sociale, de la santé, du nettoyage, des transports, de l’alimentation, du bois et de l’ameublement et du commerce non alimentaire, comptant en 2019 des taux d’incidence de 51 accidents avec arrêt pour 1 000 salarié·es (BTP) à 43 (commerce non alimentaire). La fréquence et la gravité des accidents du travail sont particulièrement importantes dans les activités de gros œuvre, de couverture et de charpente, ainsi que dans la manutention de marchandises ou de bagages[20].

Les secteurs de la métallurgie et de la chimie comptent moins d’accidents avec arrêt (taux d’incidence de 28 et 23), tandis que celui des services comme les banques, assurances et administrations a un taux d’incidence de 9[21].

Les risques diffèrent aussi selon le genre : « même à catégorie socioprofessionnelle identique, les hommes sont beaucoup plus exposés aux accidents du travail mortels que les femmes [SJ2] »[22].

profess
Titre : Fréquence des accidents graves et mortels en fonction du secteur d’activité en 2019 en France.
Lecture : En 2019, on compte dans le secteur de l’intérim près de 1 953 accidents graves[23] pour 1 milliard d’heures rémunérées.
Source : Tableau produit par l’Institut La Boétie à partir des données de : DARES, « Quels sont les salariés les plus touchés par les accidents du travail en 2019 ? », DARES Analyses, no 53, novembre 2022, URL :
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-sont-les-salaries-les-plus-touches-par-les-accidents-du-travail-en-2019

3. Des chiffres largement incomplets

Quoique déjà très élevés, ces chiffres ne représentent qu’une part de la réalité. Et ce pour une raison simple : ils ne prennent en compte qu’environ 20 millions de salarié·es. En sont exclu·es plus de 6 millions de salarié·es, dont les travailleuses et travailleurs de la fonction publique et du secteur agricole[24], ainsi que les indépendant·es (ou faux-indépendant·es) de tous les secteurs[25], dont notamment les travailleur·ses « ubérisé·es ».

Or, le secteur agricole est par exemple particulièrement accidentogène, avec 26 566 accidents du travail avec arrêt en 2021[26]. C’est notamment le cas dans la foresterie ou l’élevage bovin, dans lesquels le nombre de suicides augmente fortement.

Par ailleurs, les chiffres sont biaisés par une sous-déclaration massive, sur laquelle nous reviendrons dans la partie II.B.[SJ3] 

B. Les politiques néolibérales sur les conditions de travail mettent en danger les travailleur·ses

Au-delà des différences prévisibles entre types d’activité, l’analyse précise des chiffres révèle surtout une tendance de fond : plus les travailleur·ses sont concerné·es par la précarité, l’intensification et la fragmentation du travail, plus ils et elles sont exposé·es au risque d’accidents du travail.

Les politiques néolibérales dites de « flexibilisation » du travail vont en effet directement à l’encontre du premier facteur de prévention des accidents : la capacité des salarié·es à adapter leur manière de travailler, individuellement et collectivement.

1. La précarité fait augmenter les accidents du travail

On observe depuis une vingtaine d’années une augmentation du nombre d’accidents du travail chez les femmes, les jeunes et plus généralement les travailleur·ses précarisé·es.

La part des femmes déclarant avoir été victimes d’un accident du travail dans l’année a doublé au cours des dix dernières années, selon l’Observatoire des inégalités, de 5 à 9 %, quand elle passe de 9 à 12 % chez les hommes[27].

L’augmentation du nombre d’accidents est en effet favorisée par le développement du travail temporaire, la fragmentation du temps de travail et le fait de travailler pour des employeurs multiples.

C’est en particulier de plus en plus le cas dans les activités de services en lien avec la santé et le nettoyage, particulièrement féminins[28], qui sont en développement. Ainsi, le service à la personne comptait 883 000 salarié·es en 2000, contre plus d’un million aujourd’hui. En 2018, ces salarié·es sont plus nombreux·ses que la moyenne à déclarer être en mauvaise santé (6 % contre 3 % en moyenne), avoir des problèmes de santé durables (29 % contre 20 %) ou être en situation de handicap ou de perte d’autonomie (6 % contre 4 %).

ho fe
Titre : Évolution du nombre d’accidents du travail selon le sexe entre 2001 et 2019 chez les salarié·es du secteur privé.
Lecture : En 2019, sur 655 715 accidents du travail, 411 157 concernent des hommes, et 244 558 concernent des femmes.
Source : Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, ANACT, juin 2022, URL : https://www.anact.fr/sites/anact/files/photographie_statistique_de_la_sinistralite_au_travail_en_france_selon_le_sexe_2001-2019_vf.pdf

Les jeunes travailleur·ses sont aussi plus touché·es par les accidents du travail, et notamment les apprenti·es provenant des filières professionnelles. La fréquence des accidents du travail est ainsi 2,5 fois plus importante chez les jeunes que chez les autres travailleur·ses[29] : les jeunes de moins de 30 ans représentent 27 % des victimes d’accidents du travail, alors qu’ils sont environ 15 % des salarié·es, soit deux fois moins[30].

En 2021, on parle de 37 jeunes décédé·es au travail[31], certain·es en déplaçant des caisses de poulet dans un abattoir[32], d’autres sur un chantier[33], ou encore sous un arbre en apprenant le métier de bûcheron[34].

Les salarié·es précaires, comme les intérimaires et les sous-traitants sont également surexposé·es au risque d’accident du travail, avec un risque d’accident du travail avec arrêt deux fois plus élevé que la moyenne[35]. C’est en partie lié à leur surreprésentation dans les secteurs accidentogènes tels que l’industrie (6,5 % d’intérimaires) ou le BTP (7 % d’intérimaires) ou le BTP (8 %), tandis qu’ils sont peu présent·es dans le secteur des services (3 %)[36]. Ils et elles sont également plus jeunes, avec une moyenne de 37 ans, contre 42 ans pour l’ensemble des salarié·es[37]. Mais cela ne suffit pas à expliquer leur surexposition aux accidents.

Ces trois catégories – femmes, jeunes, et salarié·es précaires – ont en commun d’exercer de plus en plus des professions concernées par trois phénomènes : l’intensification, la précarisation et la fragmentation. Ces facteurs réduisent la capacité des travailleur·ses à adapter la manière de travailler, faute de temps, de lieux de travail adaptés et de pouvoir de décision sur son propre travail. Or, les ergonomes soulignent le fait que seul·les les travailleur·ses sont en capacité d’adapter leur façon de travailler pour combiner préservation de leur santé et efficacité, à condition qu’ils en aient les moyens[38].

Intensification

L’intensification du travail consiste en l’augmentation du temps passé au travail, du temps consacré au travail (y compris chez soi) et du nombre de tâches à accomplir dans un même temps de travail.

L’intensification se traduit par des productions en flux tendus, l’augmentation des cadences, des obligations de réactivité à la demande du client, le fait de travailler dans l’urgence et en situation de sous-effectifs.

L’intensification du travail se constate dans de nombreux secteurs aujourd’hui.

Dans le service à la personne, par exemple, la part des salarié·es travaillant en soirée a plus que doublé entre 2004 et 2012 (de 4 % à 8 %), ainsi que celle des salarié·es travaillant la nuit (de 2 % à 4 %). Le travail le samedi est également passé de 27 % à 33 %[39].

L’intensification se constate également dans le milieu agricole. En 2019, les trois quarts des salarié·es agricoles et 85 % des agriculteurs exploitants indiquent subir au moins trois contraintes physiques intenses (devoir tenir une posture debout pendant de longues périodes, porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations). 45 % des salarié·es agricoles et 71 % des agriculteur·ices exploitant·es indiquent également être exposé·es à des risques physiques (bruit intense, respirer des fumées ou des poussières, contact avec des produits dangereux). Les salarié·es agricoles sont plus du tiers à travailler plus de 40 heures par semaine, et c’est le cas de 87 % des agriculteur·ices exploitant·es[40].

Si l’intensification se fait aux dépens de la sécurité, c’est aussi parce que ceux qui décident de comment travailler ne sont pas confrontés au danger. Les cadres, chargés de définir les règles de sécurité, ne sont pas les principales victimes des accidents du travail : seuls 4 % des cadres ont déclaré avoir subi un accident du travail en 2019, contre 19 % des ouvriers et 11 % des employés[41].

Pour le chercheur Nicolas Jounin, spécialisé dans le secteur du BTP[42], « le savoir constitué par les ouvriers sur la sécurité est ainsi marginalisé, tandis que la définition des règles de gestion de la sécurité est monopolisée par les cadres. Or ceux-ci portent dans le même temps les exigences de cadence, qui s’opposent potentiellement aux prescriptions de sécurité. Les ouvriers, confrontés à l’impossibilité de respecter en même temps la cadence et la sécurité, doivent assumer clandestinement cette contradiction en négligeant l’une ou l’autre. »

Précarisation

La précarisation est un autre phénomène qui conduit à l’augmentation du risque des accidents : les travailleur·ses précarisé·es disposent en effet d’un rapport de force quasi inexistant pour négocier la manière dont ils et elles travaillent, les forçant à accepter des conditions de travail bien plus accidentogènes.

L’instabilité du salaire est un des premiers aspects de cette précarisation. La rémunération à l’activité est en effet un facteur très accidentogène. Ce phénomène a été analysé dans de nombreux secteurs, comme celui de la pêche, où la sociologue Véronique Daubas-Letourneux établit que le système du « salaire à la part », qui existe depuis le XIXe siècle, encourage les prises de risques pour maximiser la production[43]. L’exigence du nombre réduit alors considérablement la capacité des travailleur·ses à adapter la façon dont ils et elles travaillent.

C’est particulièrement le cas quand, par ailleurs, des dispositifs réglementaires contraignent encore le travail, comme le cas de la pêche à la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc, où celle-ci n’est autorisée que sur des horaires courts, ce qui pousse les salarié·es à prendre des risques importants pour maximiser la pêche et augmenter ainsi leurs salaires[44].

L’instabilité du contrat est un autre facteur accidentogène décisif. C’est le cas du travail en indépendant·e (ou faux-indépendant·e), en intérim ou en apprentissage. La possibilité de perdre facilement son emploi expose davantage aux pressions hiérarchiques, et limite donc la capacité à adapter sa façon de travailler face au risque d’accident.

Cet entretien effectué par Véronique Daubas-Letourneux sur un chantier l’illustre :

« – Est-ce que vous auriez pu leur dire “moi j’y vais pas, c’est dangereux” ?

– Je pense que si j’avais dit “moi j’y vais pas”, le gars, il m’aurait dit “t’as qu’à rentrer chez toi. Si tu veux pas travailler, t’as qu’à rentrer chez toi”. »[45]

La précarisation du contrat de travail peut s’ajouter à une précarité administrative, par exemple pour les personnes en situation irrégulière, particulièrement nombreuses dans ces secteurs précarisés. Ainsi, lors d’un contrôle en mars 2022 par des inspecteur·ices du travail sur le chantier du Village des athlètes en Seine-Saint-Denis, un ouvrier sur six était en situation irrégulière « ce jour-là et sur ce site », où étaient présentes une quinzaine d’entreprises[46].

Les témoignages des études citées dans cette partie évoquent nombre de signalements de situations dangereuses en vain aux employeurs, ou aux encadrants scolaires dans le cadre d’un apprentissage. La subordination des employé·es privé·es de pouvoir dans l’entreprise les met en danger en les exposant davantage aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, à l’épuisement et à l’usure morale. L’usure morale crée aussi des conflits au travail, qui oscillent de la tension à la violence, empêchant ainsi les salarié·es de coopérer davantage, un facteur décisif pour la sécurité collective. Ainsi, la détresse psychique explose[47].

Fragmentation

La précarité des salarié·es est aggravée par le phénomène de sous-traitance : pour Michael Quinlan et Annie Thébaud-Mony, la position dominée d’une entreprise dans une chaîne de sous-traitance, ou par rapport à une filiale-mère, est un facteur accidentogène[48].

Elle est en effet à l’origine d’une division du travail qui le désorganise et fait obstacle à la mise en œuvre des dispositifs réglementaires et législatifs de préventions. L’externalisation provoque également une moindre syndicalisation et conduit à l’invisibilisation des activités risquées données au sous-traitant car les entreprises donneuses d’ordre peuvent exiger un zéro-accident dans leurs appels d’offres. Les activités risquées et accidentogènes sont en effet concentrées dans les entreprises en situation de sous-traitance[49].

Benoît Scalvinoni, Laurence Montcharmont et Rachid Belkacem expliquent ainsi que :

« La spécificité de la relation d’intérim, une relation triangulaire, génère plusieurs formes de contrôle : celle qu’exerce l’entreprise utilisatrice (EU) sur le travail, son résultat et son déroulement, mais aussi celle qu’exerce l’entreprise de travail temporaire (ETT) à l’issue de la mission. Ce double contrôle traduit une double soumission de l’intérimaire à l’ETT, qui peut lui proposer d’autres missions s’il donne satisfaction, mais aussi à l’EU, qui peut lui proposer tout simplement une embauche ferme et le soustraire ainsi à la précarité et au chômage récurrent. »[50]

Cette réalité est d’autant plus compliquée à appréhender que la non-déclaration est la norme dans l’intérim. Nombre d’intérimaires craignent en effet qu’une déclaration ne conduise à se faire écarter sur leurs prochaines missions.

Par ailleurs, l’intérim limite fortement le développement des qualifications, qui est un des facteurs les plus efficaces de prévention des accidents. Ce phénomène est ainsi aggravé par la réduction des durées moyennes des missions d’intérim, passées en moyenne de quatre semaines dans les années 1970[51] à deux semaines aujourd’hui[52]. S’y ajoutent des horaires évolutifs et changeants, ainsi que des mobilisations dans l’urgence.

À l’inverse, l’expérience prouve l’efficacité de la discussion collective pour réduire drastiquement les accidents du travail. C’est le cas par exemple de la station de ski du Grand Tourmalet, où a été engagée une démarche d’écoute collective[53]. Chaque responsable d’équipe, du pistage aux remontées mécaniques en passant par la billetterie, a reçu une formation à la méthode de l’entretien, afin de faire parler les salarié·es de leurs difficultés, de leurs craintes et de leurs maux. Puis, des assemblées générales ont discuté des pistes de transformation du travail. Cette mise en mots a créé un climat de confiance propice à la déclaration des accidents mais aussi des « presqu’accidents », considérés comme des expériences à analyser pour en tirer des conclusions pratiques. Par exemple, de nouvelles procédures de descente à ski ont été élaborées. Quant aux prestataires externes, très coûteux et présents ponctuellement, ils sont remplacés par des formateurs internes. Bilan : le nombre d’accidents a chuté, entre 2019 et 2023, de 38 à 26.

2. Les politiques publiques de « flexibilisation du travail » aggravent le triptyque intensification – précarisation – fragmentation

À la fin des années 1970, alors que les gains de productivité s’effondraient, la plupart des gouvernements européens ont tenté l’option néolibérale : déréguler la finance et accroître la mondialisation des échanges. Face à la concurrence internationale, les entreprises ont accru la pression sur les salarié·es, dans tous les secteurs et à tous les niveaux hiérarchiques.

Cette pression est même devenue un objectif des politiques publiques, avec la stratégie de low cost à la française (produire autant avec moins de gens payés moins cher)[54], la multiplication des exonérations de cotisations sociales sur les très bas salaires,la promotion du « lean management » (l’optimisation de tous les temps à tout prix)[55],le sous-financement et l’alignement du service public sur les normes industrielles privées[56] et la suppression des CHSCT en 2017 par Emmanuel Macron. Le cas le plus exemplaire de cette intensification se trouve dans les entrepôts de la grande distribution, où les préparateur·ices travaillent désormais au rythme des consignes d’un logiciel vocal[57].

Premier élément de ce triptyque : l’intensification du travail découle en premier lieu de politiques d’assouplissement des règles sur le temps de travail et les conditions de travail. La loi du 20 août 2008, le décret du 15 octobre 2002, la loi Fillon de 2003, la loi sur l’organisation du temps de travail en 2005, la loi sur la démocratie sociale et la réforme du temps de travail du 20 août 2008, la loi El Khomri en 2016 et les ordonnances Macron en 2017 ont tous contribué à donner plus de liberté au patronat pour décider des temps et des conditions de travail.

Les dernières lois d’Emmanuel Macron ont notamment donné la priorité aux accords d’entreprise sur les accords de branche, privant les salarié·es des protections obtenues par les syndicats pendant les dernières décennies. Enfin, les politiques d’austérité dans les services publics, et notamment dans les secteurs hospitalier et scolaire, ont créé des situations de sous-effectifs alarmantes, à l’origine de l’intensification du travail.

Résultat : on observe une augmentation de 25 % à 35 % entre 2005 et 2016 de la part de salarié·es qui déclarent avoir un rythme de travail imposé par un contrôle ou un suivi informatisé. La part de salarié·es concerné·es par des normes de production à satisfaire en une journée est passée de 42 % à 48 %, celle concernée par des normes de production à satisfaire en une heure de 25 % à 29 %. En 2016, 43 % des salariés déclarent ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux, alors qu’ils n’étaient que 34 % en 2005.

Ainsi, en 2015, moins de 60 % des Français·es de 55 ans et moins se sentaient capables de tenir dans leur travail jusqu’à 60 ans, contre 73 % des Européen·nes.

L’intensification du travail concerne notamment les intérimaires :

interim caracteristiques
Titre : Les principales caractéristiques des conditions de travail des intérimaires en 2023.
Lecture : 72 % intérimaires sur 60 interrogés déclarent porter des charges lourdes dans le cadre de leur travail.
Source : Benoît Scalvinoni, Laurence Montcharmont et Rachid Belkacem, « Les intérimaires, des travailleurs surexposés aux accidents du travail », La Revue de l’Ires, 2023, vol. 109, no 1, pp. 61-88, URL :
https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2023-1-page-61.htm ?ora.z_ref=li-93045532-pub

Deuxième élément : la précarisation. Les gouvernements successifs de ces vingt dernières années ont considérablement encouragé l’intérim. Son utilisation, à l’origine très encadrée, est progressivement ouverte, par exemple en 2009 aux marchés de la fonction publique. En 2005, la loi permet de réaliser des recrutements en CDI et en CDD pour le compte d’une entreprise tierce, puis en 2013 elle instaure le CDI intérimaire (CDII) qui permet aux agences d’intérim de fidéliser les intérimaires.

L’intérim est ainsi devenu un instrument de gestion des ressources humaines de plus en plus utilisé dans l’industrie, le BTP, la distribution et la logistique[58]. On comptait en 1985 plus de 120 000 intérimaires, contre près de 800 000 en 2018, soit une multiplication par 7 en 30 ans.

Cet instrument permet aux entreprises d’externaliser les aléas de l’activité (retards dans les plannings de production, accroissement imprévu de l’activité, fin d’un chantier dans l’urgence sous peine de pénalités de retard, développement de nouvelles activités…)[59]. L’intérim concentre donc logiquement ces aléas, et les pressions hiérarchiques qui les accompagnent. Selon Scalvinoni, Montcharmont et Belkacem : « Du fait de la répétitivité des tâches qui ne demandent qu’un temps d’apprentissage très court du point de vue des employeurs, ces salariés doivent affronter des cadences élevées : plus de la moitié des intérimaires enquêtés déclarent y être soumis. »[60]

La courte durée des missions aggrave aussi la déstructuration des collectifs de travail, qui jouent un rôle important dans la remontée d’alerte et le respect des normes de sécurité par les employeurs.

Plus récemment, les réformes en faveur de l’apprentissage ont également contribué à augmenter le nombre de situations accidentogènes. Les salarié·es apprenti·es sont passé·es de 289 938 en 2017 à 698 000 en 2021[61] et « de son côté, le Medef se félicite d’avoir été entendu »[62]. Mais derrière cette main-d’œuvre bon marché qui séduit le patronat se cache un manque criant d’encadrement, de formation des apprentis, et une précarité grandissante des jeunes[63].

Ainsi, les salariés de moins de 20 ans, dont la moitié sont des apprentis, sont victimes de 40,1 accidents du travail par million d’heures rémunérées : près du double de l’ensemble des salarié·es (20,4)[64].

3. L’allongement de la durée du travail favorise les accidents graves

La fréquence des accidents diminue avec l’âge mais la gravité, elle, augmente. Les accidents sont moins nombreux chez les personnes âgées : les salarié·es de plus de 50 ans représentent 25 % des accidents du travail, alors qu’ils sont 29 % des salarié·es. Mais les accidents sont plus graves : 41 % des incapacités permanentes et 58 % des accidents mortels concernent les travailleur·ses de plus de 50 ans, contre respectivement 11 % et 8 % chez les moins de 30 ans[65]. L’âge diminue aussi la capacité à se remettre d’un accident. La durée des arrêts de travail devient plus longue chez les travailleur·ses plus âgé·es à la suite d’un accident du travail.[66]

Vieux
Titre : Fréquence des accidents, accidents graves et accidents mortels en fonction de la tranche d’âge en 2019.
Lecture : En 2019, chez les 60 ans ou plus, on compte 16 accidents par millions d’heures travaillées, 1 512 accidents graves et 54 accidents mortels pour un milliard d’heures travaillées.
Source : tableau produit par l’Institut La Boétie à partir des données de la DARES : « Quels sont les salariés les plus touchés par les accidents du travail en 2019 ? », DARES Analyses, no 53, novembre 2022, URL :
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-sont-les-salaries-les-plus-touches-par-les-accidents-du-travail-en-2019

Or, les dernières réformes des retraites ont été à contre-courant de la protection des travailleur·ses âgé·es, notamment confronté·es à la pénibilité au travail.

Premièrement, le report de l’âge de départ ou de l’âge de départ pour obtenir la retraite à taux plein force des personnes déjà usées à continuer des métiers usants[67]. Ensuite, la réforme des retraites d’Emmanuel Macron a supprimé les critères de pénibilité suivants : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux risques chimiques[68]. Ces critères de pénibilité permettaient de rendre visibles les conditions de travail, et ils permettaient aux salarié·es de bénéficier d’un départ à la retraite bien avant l’âge légal. La Cour des comptes elle-même a dénoncé cette réforme qui « ne prend pas assez en compte le sort des personnes abîmées par leur activité professionnelle »[69].

C. La France ne se donne pas les moyens de la prévention des accidents du travail

Le dispositif français de prévention des accidents du travail a été pensé pour empêcher autant que possible les situations accidentogènes. La loi française exige de l’employeur de « prend[re] les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »[70], d’investir dans des équipements de protection individuelle et de protection collective, de former et d’informer les salarié·es vis-à-vis de ces risques et d’organiser le travail de façon à les éviter.

Le Code du travail décline ces obligations en dispositions plus précises, selon la nature des risques professionnels[71]. Différentes institutions – l’inspection du travail, la médecine du travail, et les commissions de représentant·es des salarié·es – ont été construites tout au long du XXe siècle pour faire respecter cette législation.

Encore faut-il que ces acteurs disposent des moyens nécessaires pour agir. Or, la tendance est à l’affaiblissement de ces moyens.

Premièrement, l’inspection du travail est en difficulté. En 2020, on compte un·e agent·e de contrôle de l’inspection du travail pour 9 775 salarié·es[72], contre un·e pour 8 114 salarié·es dix ans plus tôt[73]. Cette diminution des effectifs accroît la nécessité de trier entre les dossiers et la difficulté à assurer le suivi des entreprises sur le temps long. Elle empêche des démarches abouties de prévention, en particulier sur les risques professionnels les plus complexes[74].

La baisse des moyens limite aussi les possibilités de vérifier si les entreprises respectent les processus de prévention. Aussi, en 2019, seules 46 % des entreprises respectent l’obligation légale de mise en œuvre et d’actualisation du document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp)[75]. La sanction en cas de non-respect est également peu incitative, avec un montant limité de 1 500 € !

De même, la médecine du travail est en crise. En 2019, 39 % des salarié·es du privé affirment avoir eu une visite médicale en santé-travail dans l’année écoulée, contre 70 % en 2005[76]. Cette baisse se produit dans un contexte de réduction du nombre de médecins du travail, avec de fortes disparités territoriales : en 2023, on compte par exemple en Indre moins d’un médecin du travail pour 100 000 habitant·es, et 2,3 en Guyane, contre plus de 25 à Paris ! De façon générale, on trouve une moyenne de 8,8 médecins du travail pour 100 000 habitant·es[77].

La possibilité de pouvoir peser dans le rapport de force pour décider des manières d’effectuer ses tâches est, on l’a vu, un facteur essentiel pour empêcher les accidents. Or, la part des entreprises de 10 salarié·es ou plus du secteur privé qui sont couvertes par au moins une instance représentative du personnel a diminué de 7,8 % entre 2018 et 2022[78]. Dans ces instances, des salarié·es sont élu·es par leurs collègues pour les représenter auprès de la direction et leur donner prise sur les orientations économiques de l’entreprise et sur la protection contre les risques.

Historiquement, la part de leur mission sur la protection contre les risques s’est consolidée tout au long du XXe siècle, jusqu’à la création des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) par les lois Auroux en 1982. À l’inverse, depuis le milieu des années 2000, on observe une centralisation progressive des instances représentatives du personnel. Celle-ci atteint son point culminant en 2020 avec la suppression des CHSCT et le transfert de leurs compétences aux Comités sociaux et économiques (CSE).

La conséquence a été de réduire le nombre d’élu·es, et donc le temps dont ils et elles disposent pour se consacrer à leur travail représentatif. Alors que les CHSCT étaient jusqu’ici obligatoires dans les établissements de plus de 50 salarié·es, une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) au sein d’un CSE n’est désormais obligatoire que dans les entreprises de plus de 300 salarié·es ou dans celles qui présentent des risques particuliers[79].

Aujourd’hui, seul·es 46 % des salarié·es sont couvert·es par un CSSCT, contre 75 % couvert·es par les CHSCT avant leur suppression. Or, l’existence d’une instance spécifique sur les questions de santé et de sécurité augmentait fortement la probabilité que les salarié·es aient été informé·es sur les risques professionnels[80]. Plus largement, plusieurs enquêtes montrent à quel point il peut être compliqué pour ces élu·es de s’opposer frontalement à la direction sur les questions de santé au travail[81]. Cela est d’autant plus le cas qu’aujourd’hui, les élu·es, moins nombreux·ses, doivent en même temps traiter les questions économiques et la préparation des réunions, ce qui réduit le temps disponible pour discuter avec les salarié·es et les éloigne du quotidien du travail[82].

Plusieurs recherches attestent des difficultés des représentant·es du personnel à établir, déjà avant la mise en place des CSE, des rapports de force favorables à la prévention. En particulier, sur certains risques particulièrement techniques comme les risques cancérogènes-mutagènes-reprotoxiques (CMR), il est difficile à l’échelle d’une entreprise de maîtriser les savoirs experts sur ces risques pour les faire valoir auprès de la direction.

Cette diminution des moyens humains des acteurs institutionnels de la santé au travail intervient dans un contexte où la prévention est de plus en plus considérée comme un enjeu managérial de gestion de risques plutôt que comme un enjeu de protection de la santé des salarié·es. Ainsi, le fonctionnement des services de santé au travail est régi de façon croissante par des logiques marchandes[83]. De même, dans certaines entreprises comme la SNCF, les dispositifs de prévention des risques visent avant tout à empêcher les conflits sociaux, et sont donc orientés pour protéger la direction plus que les salarié·es[84].

La réduction des capacités d’action des différents acteurs institutionnels en charge de la santé au travail est lourde de conséquences sur la prévention des accidents du travail : elle prive en effet les travailleur·ses de précieux contre-pouvoirs face aux directions d’entreprise.

La moindre présence des élu·es et des agent·es de l’inspection du travail sur les lieux de travail réduit significativement la possibilité pour elles et eux d’identifier les risques auxquels les travailleur·ses sont exposé·es, et de mobiliser les moyens à leur disposition pour les résorber ou les supprimer.

De même, la raréfaction des personnels de santé au travail et celle des visites médicales privent les travailleur·ses d’interlocuteurs et interlocutrices compétent·es pour évaluer leur état de santé, et à qui ils et elles pourraient signaler l’existence de facteurs de risque.

Enfin, moins de moyens humains signifie également moins de contrôles sur les ristournes de cotisation données aux entreprises lorsqu’elles engagent un plan d’action sur les accidents du travail.

Les entreprises de moins de 200 salarié·es peuvent ainsi bénéficier d’avances jusqu’à 70 % de l’investissement engagé, qui resteront acquises en cas d’atteinte des objectifs[85]. Jusqu’à 70 % du prix d’un consultant en risques psychosociaux, ergonomiques ou chutes peut être couvert par la Sécurité sociale pour les TPE de moins de 50 salarié·es. Enfin, des actions en faveur de la prévention au sein de l’établissement ou sur les trajets domicile-lieu de travail dans les TPE au taux collectif ouvrent la possibilité d’une contrepartie pouvant aller jusqu’à 25 % de diminution de cotisations.

Ces allégements de cotisations sont donc conditionnés à des objectifs spécifiques aux entreprises, qui ne sont pas harmonisés, qui demandent donc plus de temps pour vérifier qu’ils sont bien atteints. Ils sont de ce fait peu vérifiés.

II. Les exclu·es des chiffres : la bataille sur le périmètre et la reconnaissance des accidents du travail

A. Une vision du travail basée sur le salariat de l’ère industrielle

Les principes au fondement de la protection contre les accidents du travail découlent du contexte dans lequel cette protection a été obtenue. Ils ont des conséquences non négligeables sur le périmètre de qui peut bénéficier de cette assurance, et de ce qui peut être considéré comme un accident.

1. La création de la notion d’accident du travail, compromis entre le patronat et le salariat

L’obtention de la protection contre les accidents du travail est une histoire de rapports de force et de compromis. Elle arrive en effet relativement tardivement, avec la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans le travail, qui aboutit après deux décennies de débats parlementaires tendus, initiés par une proposition des députés Martin Nadaud et Félix Faure, l’un ancien maçon, et l’autre armateur. Il faudra ensuite attendre 1912 pour une loi sur les maladies professionnelles.

À ce moment-là, l’Allemagne dispose depuis plus de vingt ans d’un système d’assurance qui couvre la majorité des travailleur·ses contre les risques de la maladie, de l’accident et de la vieillesse.

Le compromis sur les accidents du travail est le suivant : une reconnaissance d’une « responsabilité sans faute » de l’employeur en échange d’une « indemnisation automatique mais forfaitaire » pour les salarié·es. Il est l’aboutissement de considérations à la fois en direction des ouvrier·es et en direction du patronat :

  • C’est un droit rattaché au statut d’employé·e : en France, l’employeur paie des cotisations sociales à la caisse d’assurance AT-MP, en fonction des risques professionnels de son activité. Ainsi, lorsqu’un accident arrive, c’est la caisse qui paie les indemnités journalières. Dans le cas français, c’est l’employeur qui cotise : l’assurance ne concerne donc à l’origine que les salarié·es.
  • L’employeur est protégé de poursuites judiciaires : la reconnaissance de l’accident ne découle plus du droit civil ou du droit pénal.
  • En échange, les salarié·es n’ont plus besoin de prouver la faute de l’employeur, grâce à la reconnaissance en amont d’un risque professionnel inhérent à chaque situation de travail. Pour Véronique Daubas-Letourneux, « on passe du principe de causalité à celui de présomption d’origine : tout accident survenu dans le cadre du travail est imputable au risque professionnel lié à la situation de travail et doit donc être réparé »[86]. La définition du risque professionnel en amont est donc essentielle pour qu’un événement soit considéré comme un accident du travail.
  • L’indemnisation est basée sur une logique assurantielle : elle protège l’employeur d’amendes soudaines, et les salarié·es d’une perte brutale de revenus. Mais si les salarié·es obtiennent l’assurance d’un droit à des réparations forfaitaires, cela veut dire que ces réparations peuvent être inférieures au dommage causé.
  • La notion de « risque » est bien présente, mais pas celle de « prévention », mettant de côté la question de l’amélioration des conditions de travail. Cette logique assurantielle nourrit une lecture de ces risques à travers leur « coût », encore très prégnante aujourd’hui.

À l’époque, la nécessité de traiter le problème des accidents du travail était criante. La majorité des accidents ne conduisait pas à une compensation : 60 % des enquêtes de la gendarmerie n’aboutissaient pas, privant du jour au lendemain des familles de revenus[87].

Mais apporter une réponse au problème des accidents du travail ne va pas non plus de soi. Certes, des premiers droits ont déjà été acquis, comme une première loi sur le travail des moins de 8 ans en 1841. Les rapports de Louis René Villermé en 1840 sur le travail des enfants et celui de Louis Blanc à la suite de la Révolution de 1848 ont contribué à faire évoluer les mentalités et les législations.

Mais la loi de 1898 sur les accidents du travail s’inscrit en réalité dans une période, qui court de 1890 à 1920, de changement de registre du droit. L’historien Jacques Le Goff l’analyse comme une période d’émergence d’une politique étatique du travail, d’essor de la protection des salarié·es autour du contrat de travail, d’émergence d’un droit collectif et d’un droit à la parole des salarié·es[88].

Le développement de l’État social passe alors par la création de réglementations, d’une bureaucratie et des corps de fonctionnaires spécifiques, comme les inspecteurs du travail dès 1892. L’Office du travail est créé en 1891, le ministère du Travail en 1906, et le premier Code du travail est publié en 1910. Le Front populaire, puis la création de la Sécurité sociale en 1946 institutionnaliseront davantage cet État social, et entre autres les règles de cotisation et d’indemnisation des accidents du travail.

La protection contre les risques de la vie (accident, maladie, vieillesse, parentalité), évidente de nos jours, est donc le résultat d’un processus de luttes et de compromis, et la protection contre les accidents du travail est l’un des premiers de ces compromis fondamentaux. Ses principes se retrouvent dans les compromis suivants sur la protection sociale en France. Mais les limites de ces principes sont bien visibles aujourd’hui.

2. La notion d’accident du travail confrontée la définition du travail en emploi

La protection sociale sur les accidents du travail a été créée dans le contexte de la relation salarié-employeur. Dès lors, la protection de toutes les personnes travaillant hors-emploi est arrivée beaucoup plus tard. Par exemple, il faut attendre la reconnaissance du statut de la fonction publique en 1946 pour les travailleur·ses des services publics.

Encore aujourd’hui, la Sécurité sociale ne reconnaît pas d’accident du travail pour les travailleur·ses indépendant·es (micro-entrepreneur·ses, artisan·es, commerçant·es). Ils et elles bénéficient en revanche depuis 2006, comme les salarié·es, d’indemnités journalières pendant un arrêt de travail, quelle qu’en soit la cause (maladie, maternité ou accident), avec prise en charge d’une partie des frais médicaux. Mais les conditions ne sont pas négligeables – il faut être en activité depuis 12 mois – et les indemnités sont inférieures à celles dans le cas d’un accident du travail (délai de carence de 3 jours, indemnités journalières égales à 1/30e du salaire, donc inférieures par rapport à celles des salarié·es).

Le sujet est d’autant plus prégnant pour les travailleur·ses indépendant·es dit·es « ubérisé·es », c’est-à-dire travaillant pour les plateformes. Cette catégorie d’indépendant·es est particulièrement exposée à un travail intensif, à la précarité, et qui, du fait de l’isolement, n’a que très peu de moyens de peser dans le rapport de force avec les plateformes[89].

Les professions libérales, quant à elles, ne bénéficient d’aucun régime de protection automatique et doivent contracter volontairement des assurances. Les travailleur·ses indépendant·es et les professions libérales peuvent cependant contribuer à une Assurance Volontaire Accident de Travail (ou AVAT) auprès de l’Assurance Maladie. Elle seule permet en cas d’accident du travail le remboursement intégral des frais médicaux, des indemnités en cas d’incapacité permanente, et un remboursement des frais funéraires.

Si les indépendant·es n’ont pas d’employeur à proprement parler, certain·es salarié·es ont plusieurs employeurs qui pourraient être considérés comme responsables. C’est le cas des travailleur·ses en intérim, ou dans des situations de sous-traitance. Ces chaînes d’acteurs en cascade rendent difficile l’imputation de la responsabilité de l’accident à un employeur. Les transformations du marché de l’emploi avec l’explosion de l’apprentissage, du recours à l’intérim ou encore de la sous-traitance poussent donc à questionner le cadre légal des accidents du travail.

La définition des risques professionnels constitue elle aussi un objet de lutte. On peut prendre l’exemple des risques d’accidents en dehors du lieu du travail. En 1946, le législateur a ajouté les accidents survenus pendant les déplacements domicile-lieu de travail, mais à des conditions très strictes : par exemple, si le ou la salarié·e fait un détour pour faire des achats, le trajet n’est plus considéré comme un trajet domicile-travail. De même, un·e salarié·e qui travaillerait à distance mais qui se blesserait à domicile ne pourra pas faire reconnaître cet accident en accident du travail. Ainsi, les nouvelles temporalités au travail, avec l’essor du télétravail ou des problématiques liées au débordement du travail[90], viennent interroger les limites de la définition d’accident du travail.

Autre exemple, une lésion qui apparaît lors du travail mais qui ne conduit pas à un arrêt immédiat du travail peut ne pas être reconnue comme accident du travail. Véronique Daubas-Letourneux et Annie Thébaud-Mony relèvent des prises de position des Caisses Primaires d’Assurance Maladie (CPAM) en ce sens, qui dénoncent des accidents « volontaires », pour justifier des décisions de ne pas reconnaître le caractère professionnel d’un accident[91]. C’est notamment le cas lorsqu’une douleur de dos apparue pendant le travail a conduit le ou la salarié·e à arrêter le travail non pas immédiatement mais quelques heures après, et qui l’empêche de reprendre le travail ensuite.

Le problème est similaire concernant la sous-estimation des risques professionnels auxquels font face les femmes. Pour la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, cela s’explique par le fait que la catégorie des accidents du travail est « moins représentative de la pénibilité pour les femmes », notamment dans les services d’aide à la personne, de la petite enfance ou du soin, « car la pénibilité est moins spectaculaire »[92]. Or, ces accidents dans le secteur de la petite enfance, lorsqu’ils sont reconnus, conduisent souvent à des arrêts de longue durée, avec en 2023 une moyenne de 66 jours[93] ! On compte notamment un nombre important d’accidents liés à des manutentions manuelles – comme le port d’enfants, des postures accroupies ou du rangement de jeux – et des chutes.

Jusqu’à récemment, les risques psychosociaux n’étaient pas reconnus parmi les risques d’accidents du travail, encore limités à ceux issus de l’époque industrielle. Sans réforme législative, il a fallu que le juge fasse évoluer la jurisprudence pour que les troubles psychosociaux soient considérés comme des accidents du travail, à la condition d’être rattachés à des événements précis et datés. Le burn out, en revanche, n’est toujours pas reconnu dans la loi, malgré de nombreuses propositions en ce sens au Parlement.

La définition du risque professionnel en amont est donc essentielle pour que le lien entre accident et travail soit reconnu. Ainsi, le premier lien établi officiellement entre travail et cancer date de 1926 lors de la réunion d’un sous-comité de la Société des Nations. Cinq ans plus tard, en 1931, quatre nouveaux tableaux de maladies professionnelles sont créés pour inclure les intoxications par le tétrachloréthane, la benzine, le phosphore blanc et les rayons X.

Pour finir, la législation a récemment évolué concernant les suicides liés au travail. La Cour de cassation, dans une décision rendue le 1er juin 2023, a arbitré qu’un suicide est un accident du travail dès lors que celui-ci est lié à la situation professionnelle. Se pose dès lors la question de la preuve à apporter pour justifier d’une telle causalité.

La définition juridique du lieu de travail et des risques professionnels sont donc au cœur des enjeux de lutte pour la reconnaissance de certaines situations en tant qu’accidents du travail.

Il s’agit de faire reconnaître des risques qui sont bien en lien avec le travail, mais qui sont à la frontière de la définition de l’accident (douleur qui n’empêche pas immédiatement l’arrêt du travail) et du lien avec le travail (travail à domicile, trajet pour se rendre au travail, risques psychosociaux, suicides).

B. La reconnaissance de l’accident du travail est toujours un enjeu de lutte

Les chiffres sur les accidents du travail dissimulent en réalité une multitude d’accidents non ou mal déclarés. Les causes en sont multiples : barrières institutionnelles, pressions hiérarchiques, acceptation internalisée par les salarié·es…

Ces obstacles font l’objet d’une reconnaissance institutionnelle : depuis 1996, la branche AT-MP de l’Assurance Maladie doit verser des sommes à la branche maladie en raison de la sous-déclaration manifeste, qui fait qu’un certain nombre d’arrêts maladie sont causés par des accidents du travail non déclarés. Ces montants dépassent le milliard d’euros depuis 2015 et s’établissent à 1,2 milliard d’euros en 2023[94].

1. Des obstacles institutionnels liés à la complexité des procédures et aux discriminations

Toutes les déclarations d’accident du travail n’aboutissent pas à une reconnaissance du lien entre l’accident et le travail et à une indemnisation.

En 2020, sur les 1 006 769 déclarations d’accidents du travail déposées, 251 678 étaient incomplètes, soit un quart. Sur les déclarations complètes, 94 % ont fait l’objet de décisions favorables de l’Assurance Maladie et abouti à une indemnisation[95].

Le processus suit de nombreuses étapes, dont chacune comporte des obstacles à la déclaration en bonne et due forme, la reconnaissance et l’indemnisation.

Première étape : la déclaration. Dès le jour de l’accident, le salarié doit en informer ou en faire informer l’employeur, au plus tard, dans les 24 heures suivantes (sauf cas de force majeure, d’impossibilité absolue ou de motif légitime), de vive voix ou par lettre recommandée. L’employeur déclare ensuite tout accident dont il a eu connaissance à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), sous peine de sanctions[96]. Cette déclaration doit être faite même en l’absence de prescription d’arrêt de travail par un médecin, peu importe l’appréciation que peut avoir l’employeur sur le caractère professionnel ou non de l’accident[97]. Le versement d’indemnités journalières par la CPAM commence alors le lendemain du jour de l’accident.

Deuxième étape : la constatation médicale par un médecin du choix de la victime, qui atteste les lésions et leur localisation, ainsi que les symptômes et les séquelles éventuelles et la durée des soins. Une seconde visite médicale est nécessaire lorsque la blessure est guérie ou consolidée, et une troisième en cas de rechute.

Troisième étape : la CPAM doit statuer sur le caractère professionnel de l’accident. S’il ne fait pas débat, la CPAM rend sa décision avant le délai de 30 jours. Si, en revanche, il est discutable, la CPAM doit procéder à une enquête médico-administrative supplémentaire dans un délai de 30 jours à partir de la réception de la déclaration de l’accident du travail et du premier certificat médical, et de deux mois supplémentaires si l’enquête nécessite des compléments. En l’absence de décision de la caisse à l’issue de ce délai supplémentaire, le caractère professionnel de l’accident est implicitement reconnu. Quelle que soit la décision de la CPAM, le salarié et l’employeur disposent ensuite de recours, avec de nouveaux délais.

Quatrième étape : les éventuelles incapacités permanentes. Ce n’est qu’à partir de la reconnaissance par la caisse du caractère professionnel de l’accident que la victime ou ses ayants droit peuvent accéder au paiement des sommes dues à la victime : indemnisation des séquelles et indemnisation en cas de licenciement.

Pour respecter la procédure, il faut d’abord que le ou la salarié·e en ait connaissance : il faut avoir le réflexe d’arrêter immédiatement le travail, de prévenir immédiatement l’employeur et la CPAM.

Ensuite, cela demande l’accès à un médecin, plusieurs fois, et même en situation d’urgence.

Enfin, s’arrêter demande de disposer de ressources financières importantes. Les indemnités journalières ne représentent en effet que 60 % du salaire pendant les 28 jours qui suivent l’accident, puis 90 % à partir du 29e jour. Si les salarié·es avec plus d’un an bénéficient d’indemnités complémentaires pendant une durée limitée, elles n’atteignent jamais la totalité du salaire, et les salarié·es à domicile, intermittents ou intérimaires en sont exclus.

Les travailleur·ses bénéficiant de bas salaires, qui peuvent le moins assumer une baisse de revenus, même temporaire, sont donc incité·es à la non-déclaration. Les intérimaires, les salarié·es intermittent·es ou les apprenti·es, déjà précaires, bénéficient elles et eux d’une protection au rabais du fait des règles d’indemnisation, alors qu’ils et elles sont davantage exposé·es.

Cette procédure complexe est encore moins accessible pour les travailleur·ses sans papiers ou dont le travail est dissimulé[98], pour des raisons évidentes de compréhension de la langue, mais aussi pour des raisons administratives et techniques. En effet, l’obstacle principal consiste dans le fait de produire des preuves qu’ils et elles travaillent bien dans l’entreprise où a eu lieu l’accident, en l’absence de bulletin de salaire ou de contrat de travail, et lorsque l’employeur refuse de fournir une attestation d’emploi.

Dans le cas des travailleur·ses sans papiers mais avec un contrat de travail, les chercheur·ses Pierre Rogel et Stéphanie Séguès[99] montrent que la situation est particulièrement inextricable lorsque l’employeur falsifie des titres de séjour avec des noms d’emprunt. L’accidenté·e doit alors fournir d’autres preuves, comme des documents attestant le transport par les pompiers, ou des témoignages de personnes témoins de l’accident. Ces derniers sont particulièrement difficiles à obtenir dans ce genre de situation car ils supposent la coopération de collègues eux-mêmes et elles-mêmes soumis·es à une forte pression hiérarchique et à la crainte d’être poursuivi·es s’ils ou elles déclarent leur vraie identité.

Le second obstacle réside dans l’accès aux indemnités journalières de la CPAM : les travailleur·ses sans papiers ou dont le travail est dissimulé n’y ont pas accès, et doivent donc attendre les résultats de l’enquête de la CPAM pour recevoir les éventuelles indemnisations des séquelles. La déclaration d’accident est donc un pari coûteux, notamment quand l’employeur peut menacer de licencier le ou la salarié·e pour dissuader d’autres déclarations d’accidents.

Enfin, les enquêtes de terrain de Rogel et Séguès[100] témoignent de discriminations racistes systémiques dont sont victimes les accidenté·es du travail de nationalité étrangère de la part des CPAM. Elle prend la forme de non-remboursement de frais d’hôpitaux malgré la décision du tribunal en ce sens, d’allers-retours incessants entre différentes CPAM dans le cas de déménagements, de délais excessifs dans les jugements et les remboursements qui peuvent prendre des années.

La reconnaissance d’un accident du travail ne va donc pas de soi et se heurte à des obstacles administratifs. Elle prend du temps, son indemnisation est limitée pour les travailleur·ses pauvres et précaires, et est particulièrement difficile d’accès pour les travailleur·ses déjà soumis·es à des difficultés administratives.

2. Des obstacles liés aux pressions des employeurs sur les salarié·es, encouragés par les discours sur la culpabilisation des salarié·es

Les différentes enquêtes de terrain[101] des chercheur·ses qui questionnent les chiffres des accidents du travail témoignent de pressions hiérarchiques extrêmement importantes de la part des employeurs.

Elles peuvent prendre la forme de retenues sur les primes au prorata des absences pour maladies dans un hypermarché[102], d’incitations par les responsables RH ou chef·fes de prendre des congés payés par exemple[103]. L’enquête de la journaliste Pascale Pascariello auprès des salarié·es d’ArcelorMittal[104] témoigne de dissuasions pour empêcher les salarié·es de signaler des blessures en accident du travail, même lorsqu’elles sont graves. Les campagnes « zéro accident » dissimulent parfois le fait de supprimer les primes d’équipe en cas d’accident, et des postes dits « aménagés » pour les victimes d’accidents pour éviter qu’elles ne déclarent l’accident.

Déjà en 2015, les enquêtes de Frédéric Décosse chez les salarié·es agricoles sous contrat saisonnier dit « OMI »[105] illustrent clairement ce type d’abus : déni des employeurs, refus de déclaration ou négociation du caractère professionnel des accidents, injonctions à écourter l’arrêt de travail[106]

L’objectif est d’éviter de faire augmenter le taux d’accident du travail de l’entreprise, qui détermine les bonus ou malus qu’elle doit payer à la caisse AT-MP. Cet enjeu, on le verra plus loin, est devenu l’une des spécialités des cabinets de conseil en « optimisation des coûts ».

Ces enjeux sont très largement intériorisés par les employé·es, avec des impacts importants sur la sous-déclaration des accidents du travail. Véronique Daubas-Letourneux témoigne d’entretiens où les salarié·es justifient l’accident par des logiques commerciales (« dans le souci de l’esthétique du rayon », « il fallait aller vite »)[107]. Elle explique cette intégration des contraintes par le biais du concept des « risques du métier ». Des accidents presque habituels, connus de tous les salarié·es, considérés comme inéluctables, voire qui semblent contribuer pour les salarié·es à « la construction d’une expérience professionnelle ». Il s’agit par exemple des accidents des marins-pêcheurs lors des sorties en mer, des morsures de chien chez les facteurs, des coupures chez les tourneurs de métal… Ce type d’accident est donc peu déclaré, alors qu’il représente un nombre important de lésions.

Chez les travailleur·ses en sous-effectifs, c’est la conscience professionnelle ou la solidarité avec les collègues qui peut les pousser à ne pas déclarer un accident, ou à écourter un arrêt. C’est notamment le cas dans le milieu hospitalier, notoirement en sous-effectifs, où la pression est d’autant plus grande qu’il ne s’agit pas d’objets à produire mais d’êtres humains à soigner.

Autre obstacle : le souhait d’intégration chez les travailleur·ses étranger·es peut les pousser à ne pas déclarer un accident du travail. Le travail reste effectivement pour les travailleur·ses étranger·es un vecteur clé de leur intégration sociale, et les bonnes relations avec leur hiérarchie un enjeu crucial pour leur évolution professionnelle.

La lutte pour la reconnaissance des accidents du travail passe donc par le rapport de force avec les employeurs d’un côté, et un travail de conscientisation des salarié·es pour que les accidents du travail ne soient pas considérés comme des risques inéluctables et habituels, mais pour ce qu’ils sont : des lésions qui doivent être évitées et indemnisées.

C. La difficile reconnaissance de la responsabilité pénale de l’employeur

Bien que, à l’origine, le compromis autour des accidents du travail dispensait l’employeur de toute responsabilité civile et pénale, de nouvelles lois sont venues réintroduire la question de la faute civile et pénale de l’employeur dans le droit.

La responsabilité pénale de l’employeur est introduite par une succession de jurisprudences [SJ5] (Cass. soc. 21 juillet 1986, no 85-11.775 / Cass. soc. 12 octobre 1988, no 86-18.758 / Cass. civ. 11 octobre 2018, no 17-18.712). Un employeur peut donc être condamné au pénal lorsqu’il a personnellement conscience du danger, et que la faute inexcusable pour inaction a été actée au procès civil.

L’employeur est donc légalement dans une obligation de résultat en matière de sécurité des travailleur·ses[108]. De fait, en moyenne, parmi ceux qui sont parvenus au parquet, 95 % des accidents mortels et 62 % des accidents graves du travail font l’objet de poursuites pénales[109].

Ce taux de poursuite important ne doit cependant pas occulter le fait que les affaires d’accidents du travail graves et mortels, comme les autres affaires liées à des infractions au droit du travail, parviennent rarement jusqu’au parquet[110]. L’inspection du travail a l’obligation d’agir et d’enquêter dès qu’elle prend connaissance d’un accident de ce type[111], et peut communiquer les résultats de l’enquête au parquet sous forme de procès-verbal. Mais les agent·es anticipent souvent l’absence de suite pénale donnée à leur affaire, et choisissent parfois de ne pas communiquer l’enquête au parquet du fait du temps passé à rédiger leur procédure et de la situation de sous-effectifs dans lequel ils et elles se trouvent[112].

Par ailleurs, dans un contexte où la justice est elle-même soumise à une situation de sous-effectifs et à des contraintes de gestion des flux[113], les dossiers d’accidents du travail graves et mortels connaissent un taux de relaxe plus élevé que les infractions à la réglementation du travail et que les autres infractions à la législation sur l’emploi[114]. Ces infractions patronales au Code du travail demeurent donc sous-sanctionnées. Or, elles témoignent le plus souvent de dangers qui continuent de peser sur la santé des salarié-es encore vivant·es ou valides.

Leur pénalisation a non seulement un pouvoir dissuasif pour les directions d’entreprise[115], mais est aussi susceptible de revêtir de forts enjeux symboliques pour les victimes et leurs proches.

III. Une offensive pour mettre la main sur l’argent destiné à la prévention et l’indemnisation

Les cotisations à la branche AT-MP couvrent différentes dépenses.

D’une part, les indemnisations consécutives aux accidents du travail, de trajet et des maladies professionnelles pour les salarié·es victimes ainsi que leurs ayants droit. Cette indemnisation correspond aux arrêts de travail, aux soins, au capital ou aux rentes à la suite d’incapacité permanente partielle.

D’autre part, elles financent les mesures de prévention des accidents de travail, via le Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNP) financé par les cotisations pour réparation.

Le système de cotisation de la caisse AT-MP est unique dans le système de l’Assurance Maladie, avec un principe de modulation dès son origine. Chaque entreprise s’acquitte ainsi d’une cotisation mensuelle qui dépend de la fréquence et de la gravité des accidents, de sa taille et de son secteur d’activité. Dit autrement, elle adopte la perspective du « pollueur-payeur » : l’entreprise accidentogène sur-cotise.

Grâce à cela, et en raison de la sous-déclaration massive, la branche AT-MP assure un équilibre financier notable, avec des comptes excédentaires depuis 2013, en dépit des versements annuels qu’elle fait aux autres branches.

Pour rappel, cette sous-déclaration fait l’objet d’une reconnaissance institutionnelle, et la branche AT-MP doit verser des sommes à la branche maladie depuis 1996,qui fait qu’un certain nombre d’arrêts maladie sont causés par des accidents du travail non déclarés. Ces montants dépassent le milliard d’euros depuis 2015 et s’établissent à 1,2 milliard d’euros en 2023[116].

Même après ce transfert, la caisse AT-MP reste excédentaire. Pourtant, les postes de dépenses potentiels ne manquent pas. Les accidents du travail ont des retentissements lourds sur la vie des accidenté·es, à la fois financières et sociales. Or, les indemnités pendant l’arrêt et lors de séquelles sont relativement faibles, et sont loin de couvrir l’ensemble de ces conséquences.

En réalité, la priorité du gouvernement sur la caisse AT-MP est davantage à la recherche d’allégements de cotisation pour les employeurs, ou à l’utilisation de la caisse comme d’une manne financière pour financer des contre-réformes.

A. Des conséquences financières de long terme mal compensées

Les accidents du travail, comme les maladies professionnelles, peuvent avoir un impact très important sur la vie des victimes. Dans certains cas, l’incapacité à reprendre le travail ne se résorbe pas, et le travailleur doit vivre avec les séquelles. On parle alors d’une diminution durable de la capacité physique ou mentale, ou de déficit fonctionnel, et, lorsque la CPAM les reconnaît, d’une incapacité partielle permanente (IPP).

En plus des séquelles, l’IPP a des effets sur la santé à long terme. Les individus ayant eu un accident du travail avec IPP ont une probabilité plus importante de se retrouver en arrêt maladie d’un trimestre ou plus (en moyenne +2,7 % pour les hommes et de +4,1 % pour les femmes), notamment l’année après l’accident[117].

Un accident du travail a pour conséquence une baisse du salaire annuel. Quand il n’entraîne pas d’incapacité de travail, cette baisse est en moyenne de 1 229 € pour les hommes et 1 037 € pour les femmes, et autour de 1 600 € quatre ans après l’accident.

Quand il entraîne une incapacité, la perte est encore plus importante : environ 5 100 € en moins pour les hommes et les femmes l’année de l’accident, puis autour de 7 500 € l’année suivante, avant de baisser progressivement[118]. Les plus touchées sont les femmes de plus 45 ans, avec 6 000 € l’année de l’accident, et 9 000 € l’année suivante.

Les accidents du travail ont ensuite un impact important sur la perte d’emploi ou d’opportunités professionnelles. Après un accident du travail sans incapacité, la probabilité d’être en emploi chute de 4,2 % chez les hommes et 5,7 % chez les femmes. Après un accident avec incapacité, la chute est de 33,9 % pour les femmes et 28,9 % pour les hommes[119] !

Dans tous les cas, la probabilité d’emploi irrégulier, c’est-à-dire de courtes périodes d’emploi ou des emplois à temps partiel, augmente fortement, entraînant des impacts sur la rémunération et les droits à la retraite sur le long terme[120].

À ces pertes de revenus s’ajoute l’augmentation des frais dans la vie personnelle liée aux coûts domestiques pour compenser le handicap ou la maladie, par exemple l’adaptation du domicile ou l’aide pour le ménage[121].

Face à ces conséquences, les voies d’action des accidentés sont peu nombreuses. La reconnaissance de l’incapacité partielle permanente passe par un processus juridique et administratif de reconnaissance relativement lourd. À partir des observations d’un médecin, la CPAM mène une enquête pour reconnaître un taux d’IPP. Si ce taux est inférieur à 10 %, la victime reçoit une indemnisation unique. Si le taux est supérieur, la victime reçoit une pension mensuelle. Les montants des indemnisations et des pensions dépendent du salaire avant l’accident. Ils sont donc rarement élevés chez les ouvriers, les employé·es et les travailleur·ses précaires.

Pour donner un exemple, Véronique Daubas-Letourneux interroge un jeune homme de 20 ans dont les dernières phalanges des deux majeurs ont été amputées à cause d’une presse dépourvue de dispositif de sécurité. Le taux d’IPP reconnu est de 15 %, soit une rente trimestrielle de 215 €. La chercheuse témoigne du nombre important de séquelles sans reconnaissance d’IPP observées au cours de ses enquêtes[122].

La poursuite en justice de l’employeur pour faute inexcusable au civil ou pour faute grave au pénal est possible, mais coûteuse et, on l’a vu, fastidieuse. La tentation peut être par exemple pour les personnes âgées victimes d’incapacités permanentes de se reporter sur une pension d’invalidité[123]. Ce type de stratégie, bien que compréhensible, est dommageable pour la prévention des risques professionnels en entreprise.

B. Des conséquences sociales et psychologiques non prises en compte

Après un accident du travail, 9 % des victimes sont concernées par la nécessité d’aménager leurs tâches, leur temps ou leur charge de travail.

Pourtant, un tiers des employeurs environ ne suit pas, ou que partiellement, les préconisations du médecin du travail, avec principalement des refus d’aménagement de poste, manquant ainsi à leur obligation de sécurité[124]. 13 % des accidenté·es estiment qu’ils et elles n’ont pas bénéficié des aménagements nécessaires. Cela touche en particulier les travailleur·ses âgé·es et les femmes, mais aussi certaines catégories socioprofessionnelles telles que les agriculteurs, les artisans, commerçants et chefs d’entreprise et les employés[125].

Les victimes d’accidents sont aussi confrontées à des risques psychosociaux très importants, notamment quand l’accident a causé un handicap. Ces risques sont d’abord liés à la nécessité de s’adapter à un nouvel emploi, parfois très différent du précédent, après un accident parfois traumatisant.

Mais ils sont liés aussi aux discriminations que vivent les victimes d’accidents. En 2023, 55 % des personnes atteintes d’une maladie chronique déclarent ainsi avoir vécu une situation de harcèlement moral dans l’emploi, contre 35 % pour le reste de la population active[126]. 30 % des personnes malades ou reconnues handicapées sont davantage confrontées lors d’entretiens de recrutement à des propos stigmatisants et à des attentes discriminatoires de l’employeur. Environ une personne sur huit ayant une maladie chronique déclare notamment qu’on lui a déjà fait comprendre, lors d’un entretien pour un poste ou une promotion, qu’elle devait cacher ses problèmes de santé au travail[127].

Dans la sphère personnelle, l’accident de travail crée une situation d’isolement pendant la rémission et pendant les arrêts de travail liés à l’accident. Les accidenté·es sont particulièrement touché·es par les risques psychosociaux et notamment, après l’accident du travail, par leur exposition quotidienne à leurs traumatismes et aux douleurs liées à l’accident, à la diminution de leurs capacités, et à l’isolement[128].

C. Face au manque de contrôle, des entreprises à l’affût pour diminuer leurs cotisations

Les politiques gouvernementales, on l’a vu, ne cessent de diminuer les moyens humains dans le contrôle des pratiques des entreprises autour des accidents du travail. Or, baisser à tout prix le taux d’accident du travail est doublement stratégique pour les entreprises.

Premièrement, il s’agit d’un enjeu d’image : les entreprises ont besoin d’indicateurs favorables pour rassurer les candidat·es au recrutement et les partenaires commerciaux, dont certains intègrent des objectifs de sécurité à leurs appels d’offres.

Deuxièmement, il s’agit d’un enjeu financier lié aux cotisations : les employeurs paient des malus ajoutés à leurs cotisations lorsque leurs entreprises comptent davantage d’accidents par rapport aux moyennes de leur branche d’activité.

Le taux exact est déterminé chaque année par la CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) ou la CRAMIF (Caisse Régionale d’Assurance Maladie d’Île-de-France). Lorsque l’établissement compte moins de 20 salarié·es, l’entreprise paie un taux forfaitaire, fixé au niveau de la branche. Ainsi, une TPE d’entretien de réseaux de gaz s’acquitte d’une cotisation de 4,72 % de la masse salariale, quand un petit restaurant verse 2,04 % et un cabinet d’architectes 0,81 %.

Pour une PME, entre 20 et 149 salarié·es, le taux de cotisation associe les résultats généraux du secteur et les accidents recensés au sein de l’entreprise depuis 3 ans. Enfin, les grandes entreprises de plus de 150 salarié·es ne répondent que de leur propre politique de sécurité. Elles paient en fonction des arrêts ou maladies professionnelles déclarés, à la fois en matière de nombre (chaque cas est retenu) et de gravité (plus l’arrêt est long, plus la cotisation est élevée).

Cette logique assurantielle fait débat. En théorie, elle encourage les entreprises à faire de la prévention contre les risques d’accidents. Mais elle peut aussi les pousser à éviter, voire à empêcher la déclaration de sinistre.

Certaines entreprises se font assister de cabinets de conseils spécialisés dans la contestation des accidents du travail. Certains de ces « cost killers » sont dédiés à la prévention des risques au sein de l’entreprise, ce qui est légitime. Maisla plupart privilégient l’optimisation financière des dépenses AT-MP. C’est le cas par exemple de « ATMP solution », des « spécialistes pour faire baisser les cotisations AT-MP »[129], soit une équipe de 80 personnes qui assure le pilotage prévisionnel des cotisations, orchestre les contentieux sur la tarification et organise des contre-visites médicales.

On retrouve cette orientation dans nombre de cabinets de conseils ou d’avocats, qui facturent des formations sur la déclaration des accidents, le suivi des dossiers, l’acquittement des cotisations, mais aussi la contestation des accidents, des incapacités permanentes ou des taux de cotisation. Une société de conseils comme BDO revendique ainsi 15 millions d’euros d’économie pour ses clients sur le taux 2018 – lesquels clients comptent le groupe ADP, Europcar, Décathlon, IKKS, HauptPharma, Eurostar, etc.

Certaines grandes entreprises déploient, elles, des stratégies pour minimiser leurs cotisations : fractionner l’activité entre de petites unités ou réaffecter les salarié·es à un autre établissement quand survient un accident. Plutôt que d’assumer les risques de 200 personnes, certains employeurs découpent ainsi l’entreprise en quatre établissements de 50 personnes, pour s’appuyer sur les taux collectifs du secteur, alors même que leur fréquence d’accidents est plus élevée. Bilan : elles sous-cotisent par rapport aux accidents observés.

D’après la Cour des comptes, les entreprises comportant plus de 20 établissements différents ont ainsi soustrait 100 millions d’euros à la Sécurité sociale en 2017[130].

D. La bataille pour récupérer le « magot » de la caisse AT-MP

Le financement de la branche AT-MP demeure largement à la charge du patronat, puisque 91 % de ses recettes proviennent de cotisations patronales. Dès lors, la sous-reconnaissance ou la non-reconnaissance ont pour conséquence de reporter le coût des prises en charge sur les autres caisses de l’Assurance Maladie, au bénéfice du patronat. En effet, avec la « diversification » des sources de financement, la branche maladie n’est plus alimentée qu’à 33 % par les cotisations employeur. Le reste est notamment divisé entre 32 % de taxes sur la consommation et 23 % de CSG.

La logique utilisée jusqu’ici a été en conséquence de prévoir des versements depuis la caisse AT-MP vers les autres caisses, venant compenser la sous-déclaration. Mais cette logique vient en réalité acter la sous-déclaration comme un fait inévitable.

Les fonds de la caisse AT-MP pourraient plutôt être utilisés pour relever les montants des indemnités journalières et des pensions d’invalidité, ce qui limiterait la sous-déclaration pour raisons financières.

Ils pourraient également venir financer davantage les actions de prévention, ainsi que l’accompagnement à moyen et long terme des victimes d’accidents du travail, dont on a vu qu’elles souffrent de risques psychosociaux et de discriminations très peu reconnus.

En réalité, le gouvernement refuse ce type de dépenses car il considère les excédents de la caisse AT-MP comme un « magot » à récupérer, au même titre que l’assurance chômage. En témoigne ainsi la décision d’Élisabeth Borne, en janvier 2023, de diminuer de 800 millions d’euros la contribution patronale à la branche AT-MP, pour venir compenser le déficit de la branche vieillesse, aggravé par le report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite… pourtant censé permettre de réaliser des économies[131].

Conclusion

La reconnaissance, l’indemnisation et la prévention des accidents du travail ont toujours été des enjeux centraux dans la lutte des classes. De la création des inspecteurs du travail en 1892 à la loi de 1898 sur les accidents du travail, de la création de la caisse AT-MP en 1946, en passant par celle du ministère du Travail en 1906, la reconnaissance des maladies professionnelles en 1912 ou la première intégration des substances toxiques à leur tableau en 1931, toutes les avancées en la matière sont filles des luttes ouvrières.

C’est toujours le cas aujourd’hui. Avec la vague néolibérale qui a déferlé sur le monde et la France à partir des années 1980, le patronat a imposé en la matière un certain nombre de reculs ou des contournements de la législation sociale qui visaient à prévenir les accidents du travail.

Si ses conséquences sont très concrètes – des vies broyées ou détruites –, il y a au cœur de cette lutte un enjeu idéologique. Le patronat, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, a toujours tenté de naturaliser la souffrance au travail. Son objectif : faire passer l’organisation du travail qu’il met en place, et les souffrances qu’il engendre sur les corps, comme un processus anhistorique, naturel. Il n’y aurait pas à rechercher ses causes dans l’exploitation capitaliste du travail, mais bien plutôt dans « les risques du métier », malheureux mais inéluctables.

Dans leur logique, toute réglementation, toute surveillance, toute tentative de prévention pour réduire les risques d’accidents est vue comme une intrusion inutile et entravante pour la production. C’est bien sûr la raison réelle derrière la suppression des Comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), la suppression de critères de pénibilité, et la batterie d’arguments rhétoriques de toute sorte déployée pour refuser la reconnaissance de nouveaux risques pourtant constatés unanimement, comme les risques psychosociaux.

Ce discours de dépolitisation des conditions de travail a eu la main depuis une quarantaine d’années. Nous pouvons en mesurer aujourd’hui les effets réels : l’augmentation du nombre de morts au travail.

Pour inverser la tendance, et préserver les vies des travailleur·ses, reconstruire un contre-discours sur les accidents du travail est un impératif.

Non, ces accidents ne surviennent pas par hasard. Ils sont liés à une organisation du travail, conditionnés par la recherche sans fin du profit, qui est directement responsable des processus d’intensification, de précarisation, de fragmentation du travail.

Ces processus ne viennent eux-mêmes pas de nulle part. Ils ont été encouragés par des décisions politiques et des lois, qui ont détricoté sciemment des pans entiers du Code du travail, créé de nouveaux statuts d’emploi précaires et accompagné les stratégies capitalistes de déstructuration des collectifs de travail.

Il faut mettre en lumière ces mécanismes, ce que cette note contribue à faire. C’est la condition sine qua non pour enclencher de nouvelles politiques de mise en sécurité des  travailleur·ses.

Sans discours offensif sur les accidents, la porte est laissée grand ouverte à de nouveaux abus de pouvoir. Ils sont légion et parfois pernicieux : création d’une véritable industrie privée pour aider le patronat à cacher les accidents, volonté pour le gouvernement de faire main basse sur la caisse AT-MP pour financer ses réductions massives d’impôts aux entreprises et aux plus riches, ou encore mise en ruine des services publics de l’inspection et de la médecine du travail.

Une autre politique est possible. Elle consisterait à envisager les évolutions de la législation du travail à travers le prisme prioritaire de la réduction des risques pour les travailleur·ses. Elle renforcerait l’autonomie des collectifs de travail et le pouvoir des salariés sur l’organisation du travail. Elle travaillerait à la reconnaissance de nouveaux risques d’accidents et de nouvelles maladies professionnelles.

C’est une bataille. Elle a pour objectif de sauver des vies. Nous voulons apporter notre modeste pierre à l’édifice.


Anaïs Bonanno, Hadrien Clouet

Notes de bas de page

[1] Matthieu Lépine, L’hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail, Paris, Seuil, 2023, p. 224.

[2] Jules Thomas, « Accidents du travail : une réalité persistante », Le Monde, 23 novembre 2022.

[3] Podcast « Courrières 1906 : du drame à la colère », épisode 3 : « Grèves et luttes sociales », URL : https://www.archivespasdecalais.fr/Decouvrir/Raconte-moi-une-archive-s/Courrieres-1906-du-drame-a-la-colere-3-3

[4] Matthieu Lépine, L’hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail, op. cit., p. 224 ; Philippe Roger, « Un second Courrières : la catastrophe minière du 19 avril 1948 », Revue du Nord, 2016, vol. 414, no 1, pp. 113-144.

[5] Joseph Gordillo, « Travail à mort », Émission Infrarouge, France 2, 2 avril 2024.

[6] Ibid.

[7] Rima Hawi, « Crise(s) ou catastrophe du capitalisme ? Deux livres qui raniment le débat », La Pensée, 2018, vol. 395, no 3, pp. 69-73.

[8]  Dares, « Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ? », Dares Analyses, n°82, décembre 2017

[9] Michel Gollac et Serge Volkoff, « La santé au travail et ses masques », Actes de la recherche en sciences sociales, 2006, vol. 163, no 3, pp. 4-17.

[10] Art. L.411-1 du Code de la sécurité sociale.

[11] Cass. soc., 28 janvier 1954, no 54-07.081

[12] Assurance Maladie, « Rapport annuel 2022 de l’Assurance Maladie – Risques professionnels, Éléments statistiques et financiers », 2023, URL : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/rapport_annuel_2022_de_lassurance_maladie_-_risques_professionnels_d%C3%A9cembre_2023.pdf

[13] Ibid.

[14] Tristan Gaudiaut, « Accidents du travail : la France mauvaise élève en Europe », Statista, janvier 2024, URL : https://fr.statista.com/infographie/31546/accidents-du-travail-nombre-de-deces-pour-100-000-travailleurs-europe-france

[15] Assurance Maladie, « Rapport annuel 2022 de l’Assurance Maladie – Risques professionnels, Éléments statistiques et financiers », 2020, URL : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/rapport_annuel_2019_de_lassurance_maladie_-_risques_professionnels_decembre_2020.pdf

[16] Sécurité Sociale, « Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale – Accidents du travail et maladies professionnelles », PLFSS 2022, URL : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLFSS/2022/PLFSS-2022-REPSS-ATMP.pdf

[17] Rapports annuels de l’Assurance Maladie sur les risques professionnels 2010-2021, URL : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2022-rapport-annuel-assurance-maladie-risques-professionnels

[18] Rapports annuels de l’Assurance Maladie sur les risques professionnels 2010-2021, URL : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2022-rapport-annuel-assurance-maladie-risques-professionnels

[19] Assurance Maladie, « Rapport annuel 2022 de l’Assurance Maladie – Risques professionnels, Éléments statistiques et financiers », 2023, URL : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/rapport_annuel_2022_de_lassurance_maladie_-_risques_professionnels_d%C3%A9cembre_2023.pdf

[20] DARES, « Quels sont les salariés les plus touchés par les accidents du travail en 2019 », DARES Analyses, no 53, octobre 2022, URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-sont-les-salaries-les-plus-touches-par-les-accidents-du-travail-en-2019

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] On appelle un accident grave un accident qui occasionne une incapacité partielle permanente, c’est-à-dire des séquelles.

[24] Affilié·es à des caisses spécifiques, ces travailleur·ses ne sont pas comptabilisé·es car les modes de protection et de calcul sont difficiles à harmoniser avec ceux du régime général.

[25] Les travailleurs et travailleuses indépendant·es n’étant pas obligatoirement affilié·es à une caisse d’assurance pour les accidents du travail, les chiffres sont très compliqués à établir.

[26] INSEE, « Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires », Édition 2024, URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7728867 ?sommaire=7728903

[27] Observatoire des inégalités, « Données – Les ouvriers plus fréquemment victimes d’accidents du travail », janvier 2020, URL : https://inegalites.fr/Les-ouvriers-plus-frequemment-victimes-d-accidents-du-travail

[28] DARES, « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d’emploi ? », DARES Analyses, no 38, août 2018.

[29] INRS, « 2 fois moins d’accidents du travail chez les jeunes formés à la santé et sécurité au travail », février 2018.

[30] La Mutualité française, « L’observatoire : la santé au travail », 6e éd., février 2023, p. 25.

[31] travail-emploi.gouv.fr, « La prévention des accidents du travail pour les jeunes et nouveaux embauchés », septembre 2023, URL : https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/stop-aux-accidents-du-travail-graves-et-mortels/article/la-prevention-des-accidents-du-travail-pour-les-jeunes-et-nouveaux-embauches

[32] Margot Bonnery, « Morts au travail : pour que ces accidents deviennent un fait de société, l’État doit agir », l’Humanité, mars 2024.

[33] « Le prof qui recense les accidents du travail », Podcast « Les Pieds sur terre », Radio France, 7 décembre 2023.

[34] Matthieu Lépine, L’hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail, op. cit., p. 24.

[35] DARES, « Quels sont les salariés les plus touchés par les accidents du travail en 2019 », DARES Analyses, no 53, octobre 2022, p. 4.

[36] Ibid.

[37] Baromètre Prism’ emploi, 2021

[38] Corinne Gaudart et Serge Volkoff, Le Travail pressé. Pour une écologie des temps du travail, Paris, Les Petits Matins, 2022.

[39] DARES, « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d’emploi ? », DARES Analyses, no 38, août 2018.

[40] INSEE, « Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires », Édition 2024, URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7728867?sommaire=7728903

[41] Observatoire des inégalités, « Données – Les ouvriers plus fréquemment victimes d’accidents du travail », janvier 2020, URL : https://inegalites.fr/Les-ouvriers-plus-frequemment-victimes-d-accidents-du-travail

[42] Nicolas Jounin, Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, Paris, La Découverte, 2018.

[43] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, Paris, Bayard, 2021.

[44] Bureau d’enquêtes sur les événements de mer, « Rapport d’activité 2019 », 2019, URL : https://www.bea-mer.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/beamer-fr_rapport-activite_2019.pdf

[45] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit.

[46] Linh-lan Dao, « Paris 2024 : comment des ouvriers sans papiers ont travaillé sur des chantiers des Jeux », Franceinfo, janvier 2024, URL : https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/paris-2024-comment-des-ouvriers-sans-papiers-ont-travaille-sur-des-chantiers-des-jeux_6240894.html

[47] Santé publique France, « Troubles musculo-squelettiques et souffrance psychique : maladies à caractère professionnel les plus fréquemment signalées et en augmentation », 2023, URL : https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2023/troubles-musculo-squelettiques-et-souffrance-psychique-maladies-a-caractere-professionnel-les-plus-frequemment-signalees-et-en-augmentation

[48] Michael Quinlan et Annie Thébaud-Mony, « La sous-traitance : un outil majeur de la transformation du système productif », dans Annie Thébaud-Mony, Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, Paris, La Découverte, 2015, pp. 44-52.

[49] DARES, « Les salariés des entreprises sous-traitantes sont-ils davantage exposés aux accidents du travail ? », Février 2023, URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/34f3368d026743e68b7cf3ecfee2d08e/DA_AT_sous-traitance.pdf

[50] Benoît Scalvinoni, Laurence Montcharmont et Rachid Belkacem, « Les intérimaires, des travailleurs surexposés aux accidents du travail », La Revue de l’Ires, 2023, vol. 109, no 1, 2023, pp. 61-88, URL : https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2023-1-page-61.htm?ora.z_ref=li-93045532-pub

[51] Rachid Belkacem, La relation salariale dans l’intérim, thèse, 1997, URL : https://theses.fr/1997PA010021

[52] DARES, « L’emploi intérimaire », avril 2024, URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/lemploi-interimaire

[53] Joëlle Maraschin, « Sur les pistes de la prévention », Santé et travail, janvier 2023, URL : https://www.sante-et-travail.fr/pistes-prevention

[54] Clément Carbonnier et Bruno Palier, Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord, investissement social et économie de la qualité, Paris, PUF, 2022.

[55] Salima Benhamou et Edward Lorenz, « Les organisations du travail apprenantes : enjeux et défis pour la France », Document de travail France Stratégie, avril 2020, no 3.

[56] Philippe Bezes, « Le nouveau phénomène bureaucratique : Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique », Revue française de science politique, 2020, no 1, pp. 21-47.

[57] David Gaborieau, « Travailler sous commande vocale dans les entrepôts de la grande distribution », dans Annie Thébaud-Mony, Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner,Paris, La Découverte, 2015, pp. 219-222.

[58] Lucas Tranchant, « L’intérim de masse comme vecteur de disqualification professionnelle‪ : le cas des emplois ouvriers de la logistique », Travail et emploi, 2018, URL : https://doi.org/10.4000/travailemploi.8667

[59] Benoît Scalvinoni, Laurence Montcharmont et Rachid Belkacem. « Les intérimaires, des travailleurs surexposés aux accidents du travail », op. cit., pp. 61-88, URL : https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2023-1-page-61.htm?ora.z_ref=li-93045532-pub

[60] Ibid.

[61] DARES, « L’apprentissage en 2021 », septembre 2022, no 42.

[62] Matthieu Lépine, L’hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail, op. cit., p. 224.

[63] Ibid.

[64] Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, « La prévention des accidents du travail pour les jeunes et nouveaux embauchés », septembre 2023, URL : https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/stop-aux-accidents-du-travail-graves-et-mortels/article/la-prevention-des-accidents-du-travail-pour-les-jeunes-et-nouveaux-embauches

[65] La Mutualité française, « L’observatoire : la santé au travail », 6e éd., février 2023, p. 25.

[66] Jean-Claude Bastide et Claire Tissot, « Accidents du travail, quelles particularités chez les séniors ? », INRS, 2012.

[67] Ibid.

[68] Romain Geoffroy, « Réformes des retraites : ce que cela va changer pour la pénibilité au travail », Le Monde, janvier 2023.

[69] Bertrand Bissuel, « Pénibilité au travail : la Cour des comptes critique la réforme sous le premier quinquennat Macron », Le Monde, décembre. 2022.

[70] Art. L.4121-1 du Code du travail.

[71] Par exemple, l’obligation de prévention des risques professionnels s’applique autant aux risques de chute de hauteur, aux risques chimiques, ainsi qu’aux risques psychosociaux.

[72] Calculs effectués sur la base de Direction générale du travail, « Tableau de bord du système d’inspection du travail. Janvier à septembre 2020 ».

[73] Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, « L’inspection du travail en France en 2010 », p. 7.

[74] Anaïs Bonanno, Des guichets aux contrôles. L’inspection du travail et ses publics dans la mise en conformité au droit, thèse, ENS de Lyon, 2023, chapitres 5 et 6.

[75] Inspection générale des affaires sociales, « Réforme du document unique d’évaluation des risques professionnels : état des lieux et propositions », mai 2023, URL : https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2022-109r-duerp.pdf

[76] Amélie Mauroux, « Quelle est l’évolution de la fréquence du suivi des salariés par les services de santé au travail ? », DARES Analyses, no 72, décembre 2021.

[77] Conseil national de l’ordre des médecins, « Atlas de la démographie médicale », tome 2, 2023, p. 161, URL : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/analyse_etude/egnnt2/cnom_atlas_demographie_2023_approche_territoriale_des_specialites.pdf

[78] Maria-Teresa Pignoni, « Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2022. Une érosion qui se poursuit », DARES Résultats, no 17, 2022 ; Christophe Michel et Maria-Teresa Pignoni, « Les élections professionnelles dans le secteur privé. Entre les deux derniers cycles électoraux (2013-2016 et 2017-2020), des élus moins nombreux et des instances plus centralisées », Dares Résultats, no 15, 2024.

[79] L’inspection du travail peut aussi imposer la création de telles commissions dans certaines conditions, dans les établissements de plus de cinquante salarié·es.

[80] Arnaud Mias, Émilie Legrand, Danièle Carricaburu, François Féliu et Ludovic Jamet, Le travail de prévention. Les relations professionnelles face aux risques cancérogènes, Toulouse, Octarès éditions, 2013.

[81] Voir à ce propos plusieurs contributions portant sur les CHSCT dans Lucie Goussard et Guillaume Tiffon (dir.), Syndicalisme et santé au travail. Quel renouvellement de la conflictualité au travail ?, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2017 ; Arnaud Mias, Émilie Legrand, Danièle Carricaburu et al., Le travail de prévention, op. cit.

[82] Sophie Béroud et Cristina Nizzoli, « Par-delà le clivage privé-public, une représentation syndicale déstabilisée par le passage au CSE », Entreprises et histoire, 2023, vol. 113, no 4, pp. 107-119.

[83] Blandine Barlet, La santé au travail en danger. Dépolitisation et gestionnarisation de la prévention des risques professionnels, Toulouse, Octarès éditions, 2019.

[84] Julien Kubiak, La « managérialisation » de la prévention des risques professionnels en entreprise. Enquête parmi les préventeurs de la SNCF, Thèse de sociologie, Université Paris Saclay, 2016.

[85] CARSAT, « Entreprises de moins de 200 salariés : le contrat de prévention », URL : https://www.carsat-mp.fr/home/entreprises/ameliorer-vos-conditions-de-travail/nos-incitations-financieres/contrat-de-prevention

[86] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit.

[87] Philippe-Jean Hesse, « Le nouveau tarif des corps laborieux : la loi du 8 avril 1898 concernant les responsabilités des accidents du travail dont les ouvriers sont victimes dans leur travail », dans Jean-Pierre Le Crom, Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 1998.

[88] Jacques Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

[89] Marick Fèvre (animatrice) et al., « La santé des “travailleurs du clic” et des “travailleurs ubérisés” : le droit est-il un remède », EHESP – Module interprofessionnel de santé publique – 2020, URL : https://documentation.ehesp.fr/memoires/2020/mip/groupe25.pdf

[90] Lucie Goussard et Guillaume Tiffon. « ‪Quand le travail déborde…‪ La pénibilité du surtravail à domicile des chercheurs de l’industrie énergétique », Travail et emploi, 2016, vol. 147, no 3, pp. 27-52.

[91] Annie Thébaud-Mony, De la connaissance à la reconnaissance des maladies professionnelles en France, Paris, La Documentation française, 1991.

[92] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit.

[93] Assurance Maladie, « Métiers de la petite enfance », août 2023, URL : https://www.ameli.fr/paris/entreprise/sante-travail/votre-secteur/aide-soins-personne/petite-enfance#:~:text=Les%20risques%20professionnels%20dans%20le,de%20travail%20perdues%20par%20an

[94] Sécurité Sociale, « Rapport d’Évaluation des Politiques de Sécurité Sociale (REPSS) / AT-MP », 2023, URL : https://evaluation.securite-sociale.fr/home/at-mp/SyntheseATMP.html

[95] Ibid.

[96] Art. L.441-2 et R.441-1 du Code de la sécurité sociale.

[97] Cass. soc., 26 janvier 1972, no 70-13.569, Bull. civ., V, no 65.

[98] Pierre Rogel et Stéphanie Séguès, « L’accident du travail : généalogie de pratiques discriminatoires », Plein droit, décembre 2022, URL : https://www.gisti.org/article6981

[99] Ibid.

[100] Ibid.

[101] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit. ; Pierre Rogel et Stéphanie Séguès, « L’accident du travail : généalogie de pratiques discriminatoires », op. cit.

[102] Véronique Daubas-Letourneux, ibid.

[103] Ibid.

[104] Enquête présentée dans l’émission de France Culture « Les Pieds sur terre », Sonia Kronlund, diffusée le 11 décembre 2020, première diffusion en novembre 2018.

[105] Les contrats dits « OMI » (Office des migrations internationales) offraient la possibilité d’introduire légalement, sur le territoire français, un travailleur étranger via un CDD « saisonnier » de 4 à 6 mois maximum. Ils ont été principalement utilisés dans le secteur agricole, et faisaient office de titre de séjour. Aujourd’hui, l’OMI a été remplacé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), et les contrats OMI ont été remplacés par une carte de séjour pluriannuelle « travailleur saisonnier ».

[106] Frédéric Décosse, « Travail ou santé ? Le dilemme des saisonniers agricoles migrants », dans Annie Thébaud-Mony, Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, op. cit., pp. 88-91.

[107] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit.

[108] Voir notamment les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail qui fixent l’obligation générale de sécurité de l’employeur ; l’article L.4741-1 du Code du travail qui établit la sanction pénale associée ; l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale qui engage la responsabilité civile de l’employeur en cas de faute inexcusable.

[109] Évelyne Serverin, « Les comptes de la justice pénale du travail », Le Droit Ouvrier, juin 2020, no 863, p. 399.

[110] Ibid., p.393. À titre indicatif, d’après cet article, 228 affaires d’accidents mortels du travail sont arrivées au parquet en 2019, alors que l’Assurance Maladie en recense 733 cette même année (Assurance Maladie, « Rapport annuel 2021 de l’Assurance Maladie – Risques professionnels. Éléments statistiques et financiers », 2021, p. 114). Autrement dit, moins d’un tiers de ces accidents sont parvenus au parquet cette année-là.

[111] Art. R.8124-28 du Code du travail.

[112] Anaïs Bonanno, Des guichets aux contrôles. L’inspection du travail et ses publics dans la mise en conformité au droit, op. cit., chapitres 5 et 6.

[113] Virginie Gautron, « L’impact des préoccupations managériales sur l’administration locale de la justice pénale française », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. XI | 2014, URL : https://journals.openedition.org/champpenal/8715

[114] Le taux est de 26 % pour les accidents mortels du travail et de 22 % pour les accidents graves, contre 16 % pour l’ensemble des infractions. Béatrice Le Rhun, « Les infractions à la législation du travail entre 2014 et 2017 », Infostat justice – Bulletin d’information statistique, 2019, no 173, pp. 1-8.

[115] Gérald Le Corre, « L’inspection du travail face aux infractions du Code du travail », dans Annie Thébaud-Mony, Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, op. cit., pp. 467-470.

[116] Sécurité Sociale, « Rapport d’Évaluation des Politiques de Sécurité Sociale (REPSS) / AT-MP », 2023, URL : https://evaluation.securite-sociale.fr/home/at-mp/SyntheseATMP.html

[117] Mohamed Ali Ben Halima et Camille Regaert, « Quel est l’impact de la survenue d’un accident du travail sur la santé et le parcours professionnel ? », IRDES, DT no 68, septembre 2015, pp. 25-32, URL : https://www.irdes.fr/recherche/documents-de-travail/068-quel-est-l-impact-de-la-survenue-d-un-accident-du-travail-sur-la-sante-et-le-parcours-professionnel.pdf

[118] Ibid.

[119] Ibid.

[120] Ibid.

[121] Ibid.

[122] Véronique Daubas-Letourneux, Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, op. cit.

[123] Ibid.

[124] Défenseur des droits et OIT, « Concilier maladies chroniques et travail : un enjeu d’égalité », 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, 2023.

[125] Damien Babet et Jérôme Lê, « Une personne sur quatre a été blessée au travail au cours de sa carrière », INSEE, Division emploi, no 1719 (15/11/2018).

[126] Mohamed Ali Ben Halima et Camille Regaert, « Quel est l’impact de la survenue d’un accident du travail sur la santé et le parcours professionnel ? », op. cit., pp. 25-32.

[127] Défenseur des droits et OIT, « Concilier maladies chroniques et travail : un enjeu d’égalité », op. cit.

[128] INRS, « Analyse des accidents du travail », URL : https://www.inrs.fr/demarche/analyse-accidents-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html#:~:text=L%27analyse%20des%20accidents%20du%20travail%20est%20une%20%C3%A9tape%20cruciale,%C5%93uvre%20d%27actions%20correctives%20adapt%C3%A9es

[129] https://www.atmpsolution.com/

[130] Cour des comptes, « La tarification des accidents du travail et maladies professionnelles : une gestion lourde, un caractère incitatif à renforcer », octobre 2018, p. 299.

[131] Cyprien Boganda, « Retraites. Un hold-up à un milliard d’euros », L’Humanité, 27 février 2023, URL : https://www.humanite.fr/social-et-economie/reforme-des-retraites/retraites-un-hold-up-a-un-milliard-deuros-784191

Menu