Cette tribune, initiée par Jean-Luc Mélenchon et Clémence Guetté, co-présidents de l’Institut La Boétie, est parue dans Libération le vendredi 31 mars 2023.
« Et les retraites, elles sont à qui ? Elles sont à nous ! » scandent depuis plus de deux mois les Français mobilisés, dans les cortèges les plus amples recensés en France depuis une cinquantaine d’années.
Ils parlent vrai ! La Sécurité sociale, dont le régime de retraites par répartition est une des branches, a été créée à la Libération comme une institution du monde du travail, gérée démocratiquement par ses cotisants. A l’époque, diverses professions comme les paysans ou les artisans refusèrent l’intégration et créèrent leur propre système. Tous ont par la suite fini par demander leur intégration, tout en maintenant des systèmes complémentaires séparés qui interrogent.
Le régime général devait être administré par les représentants élus des cotisants : et ce fut bien le cas de 1945 à 1967, puis à nouveau en 1983. Depuis : pas d’élection. Mais le conseil d’administration, composé de syndicalistes ouvriers et patronaux, existe toujours, se renouvelant par cooptation. Le Medef, introduit de force initialement dans cette gestion, redoute en effet une élection qui verrait son hégémonie disputée par d’autres organisations patronales, comme en 1962, où un tiers des représentants patronaux furent élus contre le Medef de l’époque, le CNPF.
Aujourd’hui, le projet de retraite à 64 ans d’Emmanuel Macron est dans une impasse. Le vol, pour tout le monde, de deux ans de vie libérée des contraintes de l’emploi salarié n’a pas trouvé de majorité parlementaire. Mais une écrasante majorité populaire se dresse pour l’empêcher. Le monarque présidentiel invoque pour se légitimer une élection présidentielle, pourtant remportée dans un vote par défaut. Quant à l’élection législative suivante, il l’a perdue.
Son entêtement, qui est directement responsable de bloquer tout le pays, repose la question des institutions qui rendent possible ce comportement et toute la dérive autoritaire qui l’accompagne. L’exigence d’une VIe République démocratique est reposée. Mais elle doit prendre place dans un renouveau général de la démocratie en France. Cela inclut le renouveau de la démocratie sociale, notamment pour la Sécurité sociale en général, et la gestion des retraites en particulier.
De quoi parle-t-on ? La Sécurité sociale est un mécanisme d’assurance collective. Au lieu de confier à des compagnies privées, possédées par des actionnaires, la gestion des grands risques encourus par les personnes comme la vieillesse, la maladie, les accidents du travail ou le handicap, les salariés les prennent en charge eux-mêmes. L’assurance chômage fonctionne selon le même principe. La démocratie, via l’élection des administrateurs par les cotisants et les ayants droit, est son mode de gestion naturel et logique. La reprise en main des retraites et des autres branches par les assurés les mettrait à l’abri des prétendues « réformes » dont l’objectif caché est bien leur privatisation, comme c’est le cas actuellement.
Le retour des élections pour les administrateurs des caisses de la Sécurité sociale fait d’ailleurs partie du programme partagé de gouvernement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), que les dernières élections législatives ont placé en tête au premier tour.
Réinstaurer la démocratie élective à la Sécurité sociale, pilier de la République sociale française, aurait donc pour effet de rompre avec la longue litanie des reculs sociaux imposés par des pouvoirs mal élus.
Aujourd’hui, l’autoritarisme bloque tout. L’incroyable force actuelle du mouvement populaire ouvre la voie à des propositions audacieuses. La démocratisation de notre système social en est une. Pour cela, il faut obtenir le retrait de la retraite à 64 ans. C’est évidemment la priorité des priorités. Seule la lutte peut l’obtenir.
Renvoyer la question des retraites devant le conseil d’administration de la Sécurité sociale est à cette heure une des portes de sorties qu’Emmanuel Macron peut utiliser. Elle débloquerait le pays, apaiserait les colères et se conclurait par un juste progrès de la démocratie, tant de fois piétinée dans ce pays.